Pour un nouveau regard sur les animaux de compagnie

Société

Le vétérinaire Tokuda Ryûnosuke a ouvert un refuge destiné aux personnes accompagnées de leurs animaux lors du séisme de Kumamoto, en 2016. Témoin à la fois de la douleur des gens séparés de leur animal familier dans le sillage de catastrophes, mais aussi du manque de considération de la population japonaise envers les animaux, il lutte pour que ces situations s’améliorent.

Tokuda Ryûnosuke TOKUDA Ryūnosuke

Vétérinaire. Né en 1961 dans la préfecture de Kagoshima, diplômé en 1989 de l’école vétérinaire de l’université Azabu. Après avoir exercé à Abiko (Chiba) et Sagami (Kanagawa), il ouvre en 1994 à Kumamoto son propre cabinet, la Clinique vétérinaire Ryûnosuke, ouverte toute l’année 24 heures sur 24. En 2004, il fonde l’institut animalière de Kyûshû, dédié à la formation des professionnels exerçant dans les cliniques vétérinaires, les animaleries, les salons de toilettage ou encore les zoos.

Les leçons du séisme de mars 2011

——Lors du séisme de Kumamoto, en avril 2016, vous avez transformé votre clinique vétérinaire en refuge ouvert aux personnes et à leurs animaux de compagnie. Pourquoi ?

TOKUDA RYÛNOSUKE Quand je me suis rendu dans le nord-est du Japon, six mois après le séisme et le tsunami de mars 2011, j’ai constaté qu’aucun refuge n’acceptait les animaux domestiques. Pourtant, pour leurs propriétaires, ces animaux font partie de la famille. Alors, quand j’ai rénové ma clinique en 2013, j’ai eu l’idée de prévoir un lieu où accueillir les gens et leurs animaux en cas de catastrophe. En m’appuyant sur les leçons tirées du séisme de 2011, j’ai fait construire un immeuble aux normes antisismiques, équipé d’un générateur et d’une citerne ; en cas d’urgence, l’Institut animalier dans la même enceinte sert de refuge pour les hommes et les animaux.

——Trois ans plus tard survient le séisme de Kumamoto (voir notre article). Vous avertissez alors immédiatement, sur les réseaux sociaux, de l’ouverture de votre refuge.

T. R. J’ai lancé mon message deux heures après le séisme. Des familles sont arrivées les unes après les autres. Avec l’aide des élèves et du personnel de l’Institut, nous avons accueilli pendant un mois 1 500 personnes et 1 000 animaux domestiques. Ma prévoyance a été utile non seulement aux personnes qui ont pu garder leur animal près d’elles après avoir perdu leur maison, mais aussi parce que cela a permis de souligner la nécessité d’ouvrir de tels lieux de refuge.

À Mashiki, après le séisme de Kumamoto en 2016. Leur maison détruite, de nombreuses personnes n’avaient nulle part où aller, même après la remise en service des infrastructures de base.

——Cette expérience a débouché sur le lancement d’une pétition demandant qu’un quart des refuges soit ouvert aux animaux domestiques.

T. R. Jusqu’à présent, 34 000 signatures ont été recueillies. J’ai vu beaucoup de gens retrouver de l’allant parce qu’ils avaient réussi à sauver leur animal de compagnie. Clairement, si l’on veut aider les rescapés, il faut aussi aider leurs compagnons domestiques. Bien entendu, la vie humaine est prioritaire, mais parfois, un animal peut aider à sauver une vie. Vivre ensemble dans un refuge permet au maître comme à l’animal de rester serein. Les personnes âgées qui ont un chat trouvent ainsi la force de vivre, pour continuer à s’en occuper. L’instinct de protection est un moteur puissant. Environ 20 % de la population possède un animal de compagnie ; il me paraît donc souhaitable qu’un quart des refuges d’urgence leur soit ouvert. On peut prévoir des lieux séparés, car certaines personnes souffrent d’allergies, et d’autres n’aiment pas les animaux. Je pense que ce serait une bonne chose ; en matière de statut des animaux de compagnie, le Japon est en retard par rapport à l’Occident.

L’animal domestique, un objet ?

——Sur quels points le Japon est-il en retard dans ce domaine ?

T. R. Au Japon, on commence à considérer l’animal de compagnie comme un membre de la famille, mais aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Australie, il est déjà un membre à part entière de la société. Au regard de la loi japonaise, l’animal est une chose. S’il se fait renverser par une voiture, par exemple, il s’agit d’un dommage matériel et non corporel. En avion, au Japon, les animaux voyagent en soute, mais dans les pays occidentaux, ils voyagent en cabine. Mais les choses commencent à changer. En 2015, au moment de la crue de la rivière Kinugawa, un hélicoptère des Forces d’autodéfense a secouru une famille réfugiée sur le toit de sa maison ; la loi ne prévoit pas le secours des animaux, mais les sauveteurs ont accepté l’animal domestique de la famille dans l’hélicoptère. C’est un grand pas en avant.

En haut : visite dans les logements provisoires à Mashiki (Kumamoto). En bas : dans une crèche, des enfants se familiarisent avec les animaux domestiques.

Cultiver les interactions entre l’homme et l’animal

——Vous participez à de nombreuses autres actions en faveur des animaux.

T. R. Je participe entre autres à un programme de contrôle de la population féline. Il s’agit du programme TNR (Trap-Neuter-Return) qui consiste à capturer les chats errants pour les stériliser avant de les rendre à leur environnement d’origine, une action qui existe au niveau mondial. Cela permet aussi de redynamiser le lien social grâce à la participation des habitants.

Stériliser les chats errants pour leur éviter l’euthanasie en cas de surpopulation.

Par ailleurs, j’agis également pour l’éradication de la rage en Indonésie, sur l’île de Bali. Des bracelets vantant notre action sont mis en vente : cela permet de récolter des fonds et de diffuser notre message. L’éducation de la population est indispensable à l’éradication de la rage ; je suis convaincu que cette action au Japon permettra de faire changer les choses à Bali.

Bracelet pour l’action en faveur de l’éradication de la rage

——Quels sont vos projets pour l’avenir ?

T. R. À l’Institut animalier de Kyûshû, qui jouxte la clinique, les élèves apprennent que les animaux sont des êtres vivants, au même titre que les humains, et qu’ils sont eux aussi des membres à part entière de la société. J’entends œuvrer à l’amélioration de la qualité de vie des animaux de compagnie et de leurs propriétaires, pour les animaux, pour les hommes et pour la société. Dans cette optique, les cliniques vétérinaires locales doivent aider à mieux faire connaître les animaux.

Le « chien vétérinaire » à l’entrée de la Clinique Ryûnosuke

Avec le personnel de la clinique vétérinaire

(Propos recueillis par Kataoka Yuka. Photo de titre : Tokuda Ryûnosuke et Saigô, le chien de race Tosa qui fournit son sang lorsque la clinique en a besoin pour sauver un animal. Photos : Clinique vétérinaire Ryûnosuke)

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