Miyazaki Yoshifumi explore le pouvoir de guérison de la forêt, le « shinrin-yoku »

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Le shinrin-yoku est un terme qui signifie littéralement « bain de forêt ». Si le mot a été inventé dans les années 1980 au Japon, des gens du monde entier sont maintenant de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Miyazaki Yoshifumi étudie le shinrin-yoku depuis une trentaine d’années. Son livre dresse une liste de preuves scientifiques de cette thérapie de la nature.

Miyazaki Yoshifumi MIYAZAKI Yoshifumi

Chercheur et auteur spécialisé dans le shinrin-yoku, « bain de forêt ». Né à Kobe en 1954. Il obtient sa maîtrise de l'Université d'agriculture et de technologie de Tokyo et son doctorat en médecine de l'Université médicale et dentaire de Tokyo. En 1990, il entreprend ces premières expériences scientifiques sur le shinrin-yoku sur l'île de Yakushima. En 1988, il rejoint à l'Institut japonais de recherches sur la forêt et les produits forestiers. Depuis 2007, il est professeur au Centre pour les sciences de l'environnement, de la santé et de la Terre de l'Université de Chiba. En 2018, il publie Shinrin Yoku – Les bains de forêt : le secret de santé naturelle des Japonais, disponible en français aux Éditions Trédaniel.

L’homme est uniquement conditionné pour vivre dans la nature

— Qu’est-ce que le shinrin-yoku?

MIYAZAKI YOSHIFUMI   C’est une activité où les gens se détendent en étant en harmonie avec la forêt, en ne faisant plus qu’un avec elle. Le terme a été inventé en 1982 par Akiyama Tomohide, directeur de l’Agence japonaise des Forêts. L’agence voulait que les gens visitent les forêts du Japon et puissent s’y détendre. C’était un moyen d’augmenter la valeur de ces terres.

— Comment les recherches scientifiques sur le shinrin-yoku ont-elles débuté ?

M.Y.  J’ai mené les premières expériences pour étudier les effets des bains de forêt sur l’île de Yakushima en 1990. À l’époque, j’avais 35 ans et je n’avais pas de fonds de recherche, mais la NHK (la chaîne publique du Japon) a montré un certain intérêt et a financé mes expériences dans le cadre d’un programme télévisé. Une nouvelle technique venait tout juste d’être développée pour détecter les taux de cortisol dans la salive. Le cortisol est une hormone liée au stress, et ce procédé était justement utilisé afin de mesurer le degré de stress et de relaxation. La « thérapie forestière », quant à elle, évoque le shinrin-yoku, étayé par des données scientifiques. C’est un terme que j’ai inventé en 2003.

Un chercheur mesure l’activité cérébrale pendant la marche en forêt. (Photo avec l’aimable autorisation du laboratoire du Pr Miyazaki Yoshifumi)

— Pourquoi selon vous le shinrin-yoku suscite-t-il à l’heure actuelle un intérêt grandissant ?

M.Y.  Il y a deux raisons pour lesquelles nous en avons besoin aujourd’hui. L’une est le passage à une société artificielle. Bien que les êtres humains et leurs ancêtres directs existent depuis près de 7 millions d’années, nous avons passé plus de 99,99 % de ce temps à vivre dans la nature. Nos gènes sont donc adaptés à un habitat dans la nature, et ils n’ont pas évolué au cours des deux ou trois siècles qui ont suivi la révolution industrielle. C’est parce que nous avons des corps adaptés à la nature que vivre dans la société moderne nous met dans une situation de stress.

La deuxième raison est le passage à une société de technologie de l’information, où les ordinateurs tiennent une place importante. Il est à ce titre intéressant de constater que deux ans après que le mot shinrin yoku a été inventé en 1982, le mot « technostress » a lui aussi fait son apparition en Amérique. Nous avons ainsi malheureusement franchi une deuxième étape de stress.

Une guérison possible par le shinrin-yoku

— Comment le shinrin-yoku peut-il avoir un effet bénéfique sur la santé ?

M.Y.  Puisque nous nous trouvons dans cette condition de stress due à notre séparation d’avec la nature, nous avons besoin de retrouver un environnement naturel, comme la forêt par exemple. En diminuant notre stress, nous pouvons récupérer nos défenses immunitaires et rendre nos corps plus résistants face aux maladies. Au final, cela permettra également une réduction des coûts médicaux.

Beaucoup se méprennent, cependant. Le shinrin-yoku ne permet pas de guérir des maladies comme le cancer ou la grippe ; dans ce cas, l’état de santé de la personne ne ferait qu’empirer. Par contre, le shinrin-yoku peut aider à rendre un corps bien plus fort face aux maladies.

Selon les recherches du professeur Miyazaki, il suffit de s’asseoir et de regarder autour de soi dans la forêt pour bénéficier de ses effets. (Photo avec l’aimable autorisation du laboratoire du Pr Miyazaki Yoshifumi)

— À qui selon vous les bains de forêt peuvent-ils être les plus salutaires ?

M.Y.  Ce sont essentiellement les personnes faibles les plus exposées aux maladies. L’hypertension artérielle, pour prendre un exemple facile à comprendre, peut être réduite par la thérapie de la nature.

Dans notre société moderne, les jeunes ont moins de contacts avec la nature qu’auparavant, et il semble qu’ils soient plus stressés que jamais… Mais il n’y a rien de surprenant dans tout ça, tout simplement car nos corps sont initialement adaptés à la vie dans la nature.

Vous savez, à l’heure actuelle, la dépression chez les jeunes augmente. Nous avons mené des expériences avec des lycéens, en leur faisant observer des roses et des plantes à feuilles. Ce faisant, il a alors été clairement montré qu’ils ressentent un effet de relaxation physiologique.

Un bain de forêt pour n’importe qui… et n’importe où ?

— Pourquoi, selon vous, le shinrin-yoku a-t-il été développé au Japon ?

Miyazaki Yoshifumi, Shinrin Yoku – Les bains de forêt : le secret de santé naturelle des Japonais (Guy Trédaniel)

M.Y.  C’est un concept qui existe au Japon depuis longtemps. Les Japonais se considèrent comme sur un pied d’égalité avec la nature. J’écrivais dans mon livre, Shinrin Yoku – Les bains de forêt : le secret de santé naturelle des Japonais, ce que font les Japonais au commencement de la cérémonie de l’ikebana (arrangement floral traditionnel) : ils se tournent et s’inclinent devant les fleurs. D’une manière générale, en Occident, certains se considèrent comme étant au-dessus de la nature. Mais, pour eux comme pour n’importe qui, il suffit qu’ils se rendent en forêt et entrent en contact avec la nature pour se sentir bien. Notre corps réagit de la même manière, que l’on soit Japonais ou non.

— Que recommandez-vous à des personnes qui n’ont pas facilement accès à la nature ?

M.Y.  C’est une bonne question. C’est une merveilleuse chose d’aller se détendre en forêt, mais il est possible que vous n’ayez la possibilité de le faire qu’une fois par mois ou une fois par an. Par ailleurs, beaucoup de gens n’en sont pas friands, et au Japon, certains sont allergiques au pollen des arbres ou n’aiment pas les insectes.

Une option à votre disposition est de se rendre au parc ou profiter au mieux de votre jardin. À un niveau inférieur, il y a les balcons des appartements. Vous pouvez également utiliser des huiles essentielles ou des fleurs. Mais le plus important est de choisir quelque chose que vous aimez. Lors de nos recherches, nous avons constaté que même les éléments les plus infimes de la nature ont un effet de relaxation physiologique. Ils ont également un avantage : vous pouvez rester en contact avec eux pendant de longues périodes de temps.

Il y a une dizaine d’années, un journaliste d’Al Jazeera est venu m’interviewer. Le journaliste m’a dit qu’il n’y avait pas de forêts dans son pays d’origine et m’a demandé si le désert pouvait avoir le même effet. Je lui ai répondu que personne n’avait mené d’études à ce sujet, donc que nous ne pouvions rien affirmer avec certitude, mais je serais plutôt d’avis que même les déserts, en tant qu’environnement naturel, fourniraient également un effet positif sur la santé.

Une thérapie en devenir

— Pourquoi avez-vous choisi de vous consacrer à l’étude du shinrin yoku ?

M.Y.  Quand j’étais à l’école primaire, mon père aimait beaucoup les arbres et les arbustes, alors je l’aidais à jardiner. C’est en plantant des arbres, en regardant des tulipes, en touchant la terre, que j’ai moi-même ressenti le pouvoir bénéfique et relaxant de cette activité. J’ai gardé ce sentiment et j’ai fini par étudier l’agriculture. Au cours de mes années de lycée, j’ai commencé à ressentir le besoin d’expliquer ce qui est à l’origine de cette sensation.

À l’âge de 34 ans, je suis intégré à l’Institut de recherches sur la forêt et les produits forestiers. À ce moment-là, j’ai réalisé qu’en combinant les résultats de la recherche en médecine et en agriculture, je pourrais faire des recherches sur les effets physiologiques du shinrin-yoku. C’est ce que j’ai effectué deux ans plus tard, en 1990, avec les premières expériences au monde sur ce thème, sur l’île de Yakushima.

— À quelles sortes d’expériences avez-vous procédé ?

M.Y.  Il y avait d’une part, les expériences en intérieur, faisant appels à des stimuli visuels et olfactifs, et des expériences sur le terrain.
Initialement, pour les deux types d’expériences, nous avons choisi des sujets masculins et féminins dans la vingtaine, car ils étaient faciles à impliquer dans nos expériences. Plus récemment, nous avons accumulé des données physiologiques chez des sujets appartenant à des groupes à haut risque tels que ceux qui présentent une pression artérielle élevée, qui souffrent de dépression, des personnes en fauteuils roulants présentant des lésions de la colonne vertébrale et des patients âgés en cours de rééducation.

— Quelle sera la prochaine étape de vos recherches ?

Dans ces tests, les sujets respirent les arômes de la forêt pendant que leur activité cérébrale préfrontale est mesurée. Ikei Harumi, à l’arrière, mène l’expérience.

M.Y.  Au Japon, divers programmes de shinrin-yoku ont été développés. Ceux-ci impliquent diverses activités : celles de base, comme la marche lente et le simple fait de s’asseoir, mais aussi la respiration profonde, la marche nordique, prendre les arbres dans ses bras, la pratique du yoga, de la méditation, les étirements et même les pique-niques. Il y a aussi l’observation du ciel nocturne, des nuages, des cascades, les jeux d’eau et les concerts de musique en forêt.

Au cours de nos premières expériences sur le terrain, nous avons étudié l’influence du shinrin-yoku pendant de courtes périodes d’environ 15 minutes. Plus récemment, nous avons étudié les effets des programmes de thérapie forestière pendant les heures de la journée.

Mais les données que nous avons recueillies jusqu’à présent proviennent principalement d’expériences uniques. Nous devons répéter ces expériences de façon régulière et ensuite concevoir des programmes de shinrin-yoku basés sur les résultats que nous constaterons. À l’avenir, nous devrons développer des programmes de thérapie forestière continues destinés aux patients souffrant d’hypertension, de dépression et d’autres pathologies que le shinrin-yoku est le plus susceptible d’aider à guérir.

(Propos recueillis par Tony McNicol. Photos : © Tony McNicol, sauf indication contraire. Photo de titre : Miyazaki Yoshifumi dans son laboratoire, la forêt.)

Note : Shinrin Yoku – Les bains de forêt : le secret de santé naturelle des Japonais est disponible en français aux Editions Trédaniel.

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