Mettre le baby-sitting à la portée des femmes japonaises

Société

En 2014, Tsunezawa Kahoko a créé une agence de baby-sitting qu’elle a baptisée Kidsline. Son expérience en tant que mère et aussi fondatrice de la firme de marketing Trenders lui a été très utile à cet égard. Dans l’article qui suit, la jeune femme nous renseigne sur le monde du baby-sitting au Japon tout en donnant des précisions sur les circonstances dans lesquelles Kidsline est née et sur le fonctionnement de l’entreprise.

Tsunezawa Kahoko TSUNEZAWA Kahoko

Après l’obtention d’un diplôme à l’Université Keiô, Tsunezawa Kahoko travaille d’abord pour Recruit puis pour Rakuten. Elle créé ensuite Trenders, sa propre agence de marketing, à l’âge de 26 ans. En 2012, elle devient la plus jeune directrice générale à faire coter son entreprise à l’indice Mothers (Market of the High-growth and Emerging Stocks) de la Bourse de Tokyo. En 2014, elle fonde Kidsline, une agence proposant des services de baby-sitting à des prix abordables. À l’heure actuelle, elle est en train de développer ses activités dans tout le Japon afin de familiariser les habitants de l’Archipel avec la pratique du baby-sitting. Auteur de divers ouvrages dont Subete no onna wa jiyû de aru (Toutes les femmes sont libres), publié en 2016 par Diamond Inc.

Un service de haute qualité à un prix raisonnable

Abe Shinzô, le Premier ministre japonais, ne cesse d’affirmer que l’Archipel doit devenir un pays où « toutes les femmes puissent briller ». Toutefois, il reste encore beaucoup d’obstacles à franchir avant que ce mot d’ordre devienne réalité. Au Japon, le soin des enfants est toujours considéré pour l’essentiel comme l’affaire des femmes et trouver un mode de garde est une des plus grosses difficultés auxquelles les Japonaises sont confrontées.

D’après une enquête effectuée par le gouvernement, en octobre 2017, il y avait 55 000 enfants sur des listes d’attente pour une place en garderie, soit 7 600 de plus que douze mois auparavant. Pour mettre un terme à cette situation, les autorités doivent résoudre plusieurs problèmes, à commencer par le manque de personnel qualifié et par la difficulté de trouver des terrains où construire des garderies à Tokyo.

Tsunezawa Kahoko a parfaitement conscience des carences de l’Archipel en matière de garde d’enfants. C’est pourquoi en 2014, elle a mis sur pied Kidsline, un système pratique et peu onéreux de baby-sitters fiables en ligne. Au Japon, le baby-sitting commence tout juste à entrer dans les mœurs et d’après Tsunezawa Kahoko, il est toujours considéré par quantité de gens comme un service coûteux utilisé uniquement par les familles aisées. Mais Kidsline est en train de changer les choses en permettant aux parents de trouver un baby-sitter pour un tarif aussi peu élevé que 1 000 yens (environ 7,50 euros) de l’heure.

« Les femmes japonaises ne peuvent pas devenir pleinement autonomes avec un soutien pour l’éducation de leurs enfants aussi limité », déclare Tsunezawa Kahoko. « Beaucoup de jeunes viennent à Tokyo pour faire des études universitaires et une fois sur place, ils restent, trouvent un emploi et se marient. Ce qui veut dire qu’un grand nombre de jeunes couples vivent très loin de leurs parents et beaux-parents. À l’heure actuelle, de plus en plus de femmes travaillent en dehors de chez elles sans avoir personne de leur famille pour les aider à s’occuper de leurs enfants. Par ailleurs une grande partie des Japonaises actives considèrent qu’elles doivent assumer entièrement la responsabilité de l’éducation de leurs rejetons. Oui, le Japon a besoin d’un système social qui assure la garde des enfants. Mais sa mise en place ne se fera pas en un jour. C’est pourquoi en attendant, je propose un service susceptible de pallier aux carences actuelles. »

Les leçons d’une expérience douloureuse

À la fin des années 1990, Tsunezawa Kahoko a terminé ses études universitaires et elle a été embauchée par Recruit, une entreprise japonaise spécialisée dans la gestion intégrée des ressources humaines et bien connue pour ses pratiques de recrutement proactif. Recruit considère que ses employés doivent tous pouvoir accéder aux mêmes responsabilités, sans distinction de sexe. Tsunezawa Kahoko a été aussitôt mise à l’épreuve en étant affectée au démarchage téléphonique « à froid » (cold calling).

Quelques années plus tard, la jeune femme est entrée chez Rakuten, une firme japonaise qui venait de se lancer dans le secteur alors entièrement balbutiant du commerce en ligne et des services Internet, et elle a été chargée du développement de nouvelles activités. En l’an 2000, à 26 ans, Tsunezawa Kahoko s’est fait remarquer en tant qu’entrepreneur particulièrement prometteur en fondant Trenders, une agence de marketing ciblée sur les femmes qui a très bien marché. Mais quatre ans plus tard, elle a dû faire face aux problèmes des mères qui travaillent.

« J’ai eu mes trois enfants entre 31 et 35 ans. Et j’ai compris à quel point il est difficile de mener de front vie professionnelle et vie familiale. J’ai eu particulièrement du mal avec ma première fille parce qu’elle est née avec une maladie incurable et qu’à ce titre, elle avait besoin de soins particuliers. La situation était telle qu’à un moment donné, j’ai envisagé de cesser de travailler. »

Quand sa fille aînée est venue au monde en 2005, Tsunezawa Kahoko s’est trouvée dans l’impossibilité de confier l’enfant à une garderie en raison de son état de santé, et elle a failli mettre son entreprise en vente. Heureusement, elle a réussi, avec l’aide de membres de sa famille et de baby-sitters, à continuer à travailler tout en s’occupant de sa fille jusqu’au décès de celle-ci, à l’âge de quatre ans. Cette douloureuse expérience lui a malgré tout fait comprendre l’importance du « travail en équipe dans l’éducation des enfants » et des joies qu’il procure.

Tsunezawa Kahoko a conservé son emploi à plein temps tout en prenant soin de ses deux plus jeunes enfants avec sa mère et des baby-sitters. En 2012, Trenders, son entreprise, a été cotée à l’indice Mothers (Market of the High-growth and Emerging Stocks) de la bourse de Tokyo (TSE). Pourtant, cela ne l’a pas empêchée de s’en séparer deux ans plus tard pour fonder Kidsline. Ce qui a poussé la jeune femme à franchir le pas, c’est sa propre expérience et le désir de faciliter la vie des mères d’enfants atteints de maladies et de ceux qui sont sur les listes d’attente des garderies.

Tsunezawa Kahoko avec sa fille cadette et son fils. (Photos avec l’aimable autorisation de Tsunezawa Kahoko)

La fondatrice de Kidsline dit qu’elle voudrait que son entreprise soit présente à tous les niveaux de la société nippone. « Au Japon, un grand nombre de garderies sont ouvertes uniquement de neuf heures du matin à cinq heures du soir, ce qui n’est compatible ni avec la vie des familles où les deux conjoints ont un emploi ni avec la diversification actuelle des horaires et des modes de travail. Dans l’idéal, les parents devraient pouvoir trouver un baby-sitter chaque fois qu’ils en ont besoin. Si les courses en ligne livrées à domicile sont aussi pratiques, c’est parce que les services de livraison apportent la commande chez le client où qu’il vive au Japon. J’ai l’intention de créer un réseau de baby-sitting d’envergure nationale offrant un service de garde d’enfants pratique et fiable. Celui-ci devrait prendre la forme d’une infrastructure invisible qui pourrait avoir un impact sur le faible taux de natalité de l’Archipel et aider ses habitants à trouver un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. » (Voir article Le Japon à la recherche de l’équilibre entre travail et vie de famille)

Un service d’une qualité irréprochable grâce aux commentaires des clients

En fondant Kidsline, Tsunezawa Kahoko a compris que les Japonais sont plus que jamais demandeurs d’un service de garde d’enfants digne de confiance. « Il y a tellement de mères qui n’ont personne à qui s’adresser pour avoir des conseils sur l’éducation des enfants. Certains parents, par exemple, sont inquiets de voir que le développement de leur fils ou de leur fille n’est pas aussi rapide que celui des autres. Dans un tel cas, par exemple, un baby-sitter qualifié peut très bien les rassurer en leur expliquant que tout va bien. »

D’après Tsunezawa Kahoko, la réussite de Kidsline repose sur la qualité de ses prestations. « À en croire certains, une des raisons du retard du Japon en matière de garde d’enfants serait que les recrues ayant du talent ne restent pas car c’est un travail trop mal payé. Pour ma part, je pense que les choses peuvent changer. Nous avons des entretiens approfondis avec nos baby-sitters et nous recueillons les commentaires de nos clients chaque fois qu’ils font appel à nos services. Et nous mettons ces données à la disposition de nos utilisateurs inscrits. Nos gardes d’enfants savent qu’ils font l’objet d’une évaluation, ce qui contribue au maintien d’une qualité de prestations élevée. Par ailleurs, la transparence de l’information permet de limiter les incidents. Le recours aux technologies de l’information augmente l’efficacité du processus de mise en correspondance et il réduit par voie de conséquence la marge de l’intermédiaire. Plus les choses se passent bien, plus l’entreprise et les baby-sitters trouvent une bonne entente financière. Et c’est précisément ce à quoi je m’attèle. »

À l’heure actuelle, Kidsline regroupe 1 700 baby-sitters inscrits dans ses fichiers. Le nombre des utilisateurs réguliers est en augmentation et il existe un réseau opérationnel d’entraide Kidsline d’envergure nationale. Les candidats baby-sitters passent d’abord un entretien avec des membres de l’agence et ils font ensuite l’objet d’une formation sur le tas dispensée par des « mamans-formatrices » qui sont aussi des clientes de Kidsline. L’entreprise de Tsunezawa Kahoko propose des services de garde de 0 à 15 ans. Pour les enfants les plus âgés, les baby-sitters font souvent office de répétiteurs.

D’après Tsunezawa Kahoko, la question des devoirs joue un rôle important pour beaucoup de parents. « Nous avons 600 étudiants inscrits dans nos fichiers. Certains parlent plusieurs langues. Ils vont chercher les enfants à la sortie de l’école, les aident à faire leurs devoirs et dînent avec eux. Il est vrai qu’un grand nombre de femmes ont du mal à laisser d’autres personnes s’occuper de leur progéniture, alors les choses sont plus faciles pour elles – en particulier si elles sont très sensibles à l’opinion de leurs collègues – quand elles peuvent dire que leur enfant est entre les mains d’un répétiteur et recourir à nos services en évitant soigneusement le préjugé social associé aux baby-sitters. »

Des contrats avec les entreprises et les municipalités

Le tarif de Kidsline pour une heure de garde est de 1 000 yens (environ 7,50 euros). Les baby-sitters ont toutefois la possibilité de modifier ce montant en fonction de leur expérience et des services qu’ils sont susceptibles de rendre. Afin que ses prix restent abordables, Tsunezawa Kahoko a contacté des entreprises et des municipalités.

« Une firme peut conclure avec nous un contrat par lequel elle offre des heures de garde en tant qu’avantage en nature et verse une indemnité aux utilisateurs de nos services. Nous avons aussi signé des accords avec plusieurs municipalités, notamment à Tokyo et dans ses environs, en vue d’obtenir des subventions pour les clients de Kidsline. »

« Une grande partie de ceux qui ont recours à nos services sont des mères célibataires », précise Tsunezawa Kahoko (voir article Les mères célibataires japonaises). « Les medias parlent souvent du problème de la pauvreté dans cette catégorie de la population, mais il faut aussi mettre l’accent sur des facteurs comme le manque de garderies qui empêche ces Japonaises de travailler un nombre d’heures suffisant pour avoir une paie décente. Si certaines mères célibataires s’en sortent très bien financièrement, beaucoup d’autres ont du mal à joindre les deux bouts. Grâce aux indemnités accordées par les entreprises et les mairies, les services de baby-sitting sont plus abordables et ces femmes peuvent se concentrer davantage sur leur carrière tout en donnant à leurs enfants l’occasion d’avoir des contacts avec toutes sortes d’adultes. Les mères célibataires sont souvent si préoccupées qu’elles n’ont ni le temps ni l’énergie de sortir de l’univers limité où elles évoluent. Je souhaite que le recours aux baby-sitters contribue à élargir le cercle de leurs relations. J’aimerais que Kidsline apporte une lueur d’espoir à ces femmes et à leurs enfants en leur ouvrant de nouveaux horizons. »

S’occuper des enfants des autres, une lourde responsabilité

Kidsline emploie quelque 30 personnes dont 15 de façon régulière. Une grande partie de son personnel a une expérience des technologies de l’information dans la publicité et dans la conception de jeux. « La plupart de nos ingénieurs sont mariés avec des enfants et beaucoup sont entrés à Kidsline parce qu’ils voulaient travailler dans un secteur qui mette les nouvelles technologies au service de la société. »

Le personnel des bureaux Kidsline de Roppongi est constitué d’autant de femmes que d’hommes.

Quatre ans après la création de Kidsline, Tsunezawa Kahoko envisage de développer les activités de son entreprise à l’étranger et même de la coter en bourse. Quand on lui demande si elle est préoccupée par la concurrence qui commence à se manifester dans ce domaine, elle répond qu’elle est confiante parce que son expérience constitue un atout pour Kidsline.

« Une agence de services comme la nôtre ne peut fonctionner qu’avec un dirigeant dévoué corps et âme à sa tâche. Car c’est la vie des enfants qui est en jeu. J’ai fondé Kidsline en me basant sur mon vécu en tant qu’entrepreneur et que mère. J’ai l’impression que la plupart des gens sont préoccupés par les risques encourus et qu’ils mettent en place toutes sortes de règles au lieu de rechercher la transparence. Ce qui risque de compliquer davantage ce genre de service, d’augmenter son prix et de le rendre encore plus difficile d’accès. »

Les atouts majeurs de Kidsline sont indéniablement la qualité des prestations offertes, due aux compétences de Tsunezawa Kahoko en tant qu’entrepreneur et que mère, et la solide réputation dont l’entreprise jouit auprès de sa clientèle.

(D’après un texte en japonais du 1er juin 2018. Interview et texte : Itakura Kimie de Nippon.com. Photos : Miwa Noriaki, sauf mention contraire)

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