Promenade autour de la Tokyo Skytree

Tokyo Skytree : une structure à la fois ultramoderne et traditionnelle

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Le projet de la tour Tokyo Skytree a vu le jour en 2006. Les concepteurs de l’édifice ont décidé, dès le début, de bâtir une tour ultramoderne qui soit digne de la capitale du Japon de demain tout en tenant compte des principes et de l’esthétique de l’architecture japonaise la plus ancienne.

Le 29 février 2012, Ôbayashi Corp, maître d’œuvre de l’ouvrage, a mis un point final aux travaux de la tour Tokyo Skytree. Avec ses 634 mètres de hauteur, cet édifice est le plus élevé du Japon, et il arrive au second rang au niveau mondial. Par ailleurs, c’est la tour de télécommunication à structure autoportée sans haubans la plus haute du monde. Il a fallu quelque quatre ans pour la concevoir, et trois ans et huit mois de plus pour la construire. Au total 585 000 personnes ont participé à sa réalisation.

Jusque-là, l’édifice le plus élevé du Japon était la Tour de Tokyo qui mesure 333 mètres de hauteur et a été achevée en 1958. Comparé à cette tour à la silhouette triangulaire avec une base largement évasée, la Tokyo Skytree a une forme beaucoup plus élancée. Avec ses lignes complexes dessinées par les milliers de poutres qui composent sa structure, elle se présente sous un aspect toujours différent quel que soit l’angle sous lequel on la regarde. C’est un édifice surprenant très intéressant à observer. Mais d’où lui vient son apparence si singulière ?

La Tokyo Skytree (à gauche) est beaucoup plus élancée que la Tour de Tokyo qui a une base largement évasée.

Une tour de 634 mètres de haut sur un terrain de 60 mètres de large

Concevoir un édifice élevé est d’autant plus aisé que sa base est large. La Tour de Tokyo, par exemple, repose sur une base évasée qui lui donne d’emblée une plus grande stabilité que si elle reposait sur des fondations plus étroites. Si l’on avait voulu appliquer le rapport base/hauteur (95 x 333 mètres) de la Tour de Tokyo à la Tokyo Skytree, il aurait fallu doter celle-ci d’une base de 181 mètres de large pour 634 mètres de hauteur.

Or l’emplacement où l’on devait bâtir la Tokyo Skytree ne permettait pas de lui donner une base aussi large. Ce terrain, qui servait auparavant d’entrepôt pour trains de marchandises, ne pouvait abriter qu’une structure avec une base carrée de 60 mètres de côté, ou un édifice à base circulaire qui ne fasse pas plus de 60 mètres de diamètre au sol. Les architectes ont réussi à gagner 8 mètres supplémentaires en largeur en donnant à la base la forme d’un trépied dont l’un des côtés mesure 68 mètres. La solution adoptée avait aussi l’avantage d’assurer une plus grande stabilité à l’ensemble, même sur un espace aussi restreint.


Le terrain sur lequel a été bâti le Tokyo Skytree mesure à peine 400 mètres d’est en ouest sur 100 mètres du nord au sud, à l’endroit où il est le plus large.

La tâche des architectes a été encore compliquée par la nécessité de prévoir des plates-formes d’observation en hauteur qui offrent aux visiteurs un panorama à 360° sur la ville. La solution qu’ils ont trouvée a consisté à donner à la tour une base à trois pieds formant au sol un triangle équilatéral, qui s’arrondit peu à peu au fur et à mesure qu’elle s’élève et devient complètement cylindrique à partir de 350 mètres de hauteur. C’est ce qui explique la forme unique de cette structure qui change constamment d’aspect quand on la parcourt du regard.

Durant la phase de conception de la tour, les architectes ont réalisé quelque quarante maquettes différentes. Ils ont retenu celle qui posait le moins de problèmes structurels en termes de réalisation et possédait les profils et les courbures qui lui assureraient un maximum de solidité. Les profils qu’ils recherchaient étaient très particuliers puisqu’ils se sont inspirés de celui des sabres traditionnels japonais dont la ligne s’infléchit progressivement au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’extrémité de la lame. Quant aux courbures, les bâtisseurs de la Tokyo Skytree ont pris pour modèle les anciens temples japonais et en particulier la forme légèrement renflée des rangées de piliers qui soutiennent les toitures du temple du Hôryûji construit durant la période de Nara (710-794), ainsi que les structures des édifices bouddhiques de l’époque de Heian (794-1185). On retrouve ces mêmes profils élégants sur les lignes de faîte qui s’élèvent des angles de la base triangulaire de la Tokyo Skytree et forment des courbures remarquables au fur et à mesure que l’édifice, au départ en forme de trépied, se métamorphose progressivement en structure cylindrique. Le résultat, c’est une œuvre architecturale d’une stupéfiante complexité.

Les architectes de la Tokyo Skytree se sont inspirés du profil des sabres japonais et de la courbure des piliers des temples bouddhiques de l’Archipel.

Des pagodes millénaires antisismiques

Une autre caractéristique de la tour ultra moderne Tokyo Skytree, c’est qu’elle reprend la technique millénaire du shinbashira, le pilier central des anciennes pagodes à cinq étages japonaises. Ces édifices en bois ont traversé les siècles sans être affectés outre mesure par les tremblements de terre grâce à leur pilier central qui n’est pas solidaire du reste de l’édifice.

Il n’existe pratiquement aucun témoignage historique faisant état de l’effondrement d’une pagode à cinq étages de ce type à la suite d’un séisme. Une des raisons de la résistance étonnante de ces édifices aux secousses sismiques, c’est leur pilier central indépendant du reste de la structure, qui en cas de séisme, oscille à la manière d’un pendule et absorbe la poussée horizontale des secousses.

La tour Tokyo Skytree est probablement le premier édifice moderne qui a repris la technique du shinbashira pour assurer la résistance de la structure aux séismes. Le centre de la tour est occupé par un cylindre en béton armé d’acier de 375 mètres de haut, qui fait 8 mètres de diamètre et pèse 11 000 tonnes. Le tiers inférieur de ce cylindre, qui va jusqu’à une hauteur de 125 mètres, est fixé solidement à la structure de la tour. Les deux tiers supérieurs du pilier, qui culmine à 375 mètres, ne sont pas soudés au reste de la tour. La partie du shinbashira qui n’est pas fixée à la structure peut osciller librement et ses mouvements sont absorbés par les amortisseurs hydrauliques placés entre le pilier central et les poutres qui l’entourent. Quand un tremblement de terre lui inflige une secousse horizontale, le pilier central oscille à une fréquence différente de celle de la tour, ce qui a pour effet de contrebalancer la secousse et de préserver la stabilité de l’édifice. Avec ce type de structure, le déplacement latéral engendré par un séisme peut être réduit de 50 %. L’efficacité du shinbashira de la Tokyo Skytree a été testée dès avant l’achèvement des travaux. Quand le séisme dévastateur du 11 mars 2011 a frappé le nord-est du Japon, la tour était encore en cours de construction, mais le dispositif antisismique a fonctionné comme prévu et toutes les personnes qui travaillaient sur place ce jour-là en sont ressorties indemnes. La structure n’a pas été affectée et le 18 mars, soit à peine une semaine plus tard, on a posé un paratonnerre au sommet de la tour, ce qui a porté sa hauteur totale à 634 mètres.

Des couleurs traditionnelles pour une tour ultramoderne

Les couleurs choisies pour l’éclairage de la tour s’inspirent directement de l’esthétique traditionnelle de la ville d’Edo, capitale shogounale du Japon de 1603 à 1868. (Photo : EPA / Jiji)

La catastrophe du 11 mars a retardé de quelque deux mois la fin des travaux, qui était à l’origine prévue pour la fin de l’année 2011. Le 22 mai 2012, le jour où la tour a ouvert ses portes, son sommet était malheureusement environné de nuages de pluie, mais cela n’a pas empêché quelque 220 000 personnes de la visiter.

Ce jour-là, quand la nuit est tombée, les spectateurs ont eu droit à une illumination de la tour dans des couleurs inspirées de la tradition japonaise. Un bleu « iki », c’est-à-dire dans l’esprit de la plus pure tradition de l’esthétique et de l’art de vivre développés par les habitants de la ville d’Edo et du quartier de la rivière Sumida, entre 1603 et 1868. Un mauve pâle « miyabi », autrement dit d’une élégance raffinée. Deux couleurs symbolisant l’esthétique qui a inspiré les bâtisseurs du nouveau point culminant de la ville de Tokyo. Le soir de l’inauguration, ces deux couleurs se sont subtilement mêlées à celles des lumières de l’éclairage de la tour. Le lendemain quand le jour s’est levé, les nuages avaient disparu et laissé place à une tour d’un blanc légèrement bleuté, la nuance indigo la plus pâle que l’on puisse obtenir, qui se dressait dans un ciel bleu étincelant.

L’entreprise Tôbu Railway, qui est propriétaire du Tokyo Skytree, affirme que ce projet avait dès le début pour ambition de créer « un paysage urbain qui transcende le temps ». On peut dire que cet objectif a été pleinement atteint dans la mesure où la tour s’inscrit dans le cadre ultramoderne de la capitale tout en incarnant les principes architecturaux traditionnels les plus anciens du Japon.

(D’après un article en japonais de Yanagisawa Miho)

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