Quand gourmandise rime avec plaisir

Un restaurant français, un groupe de personnes par jour, des produits de Fukushima

Le restaurant « Hagi France Ryôriten » n’est pas un restaurant comme les autres. Situé dans la préfecture de Fukushima, ce restaurant unique se propose de servir des plats composés de légumes de saison cueillis du jour à un seul groupe de clients par jour. Le chef, Hagi Harutomo, est le premier Japonais à avoir eu le prestige de se retrouver derrière les fourneaux du Palais de l’Élysée. Les plats ainsi concoctés par le maître queux nippon ont pu être soumis à l’appréciation des exigeantes papilles du président François Hollande.

Hagi Harutomo HAGI Harutomo

Gérant et chef de cuisine du restaurant « Hagi France Ryôriten ». Il est né en 1976 à Iwaki dans la préfecture de Fukushima. En 2000, il a ouvert un restaurant français, le « Bellecour ». Suite au tremblement de terre de 2011, les clients se faisant de plus en plus rares, il a choisi de changer du tout au tout la gestion de son restaurant. Son établissement ne fonctionne plus que sur réservation et relève le défi audacieux de ne servir des plats qu’à un seul groupe de personnes par jour. En 2013, il a été invité jusqu’en Europe et a pu faire apprécier sa cuisine au président français et même au prince Albert II de Monaco. En 2014, il reçoit le prix culinaire du ministère japonais de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche « Ryori Masters ».

Le chef n’élabore son menu qu’après avoir vu les légumes

Le restaurant « Hagi France Ryôriten » se trouve dans le sud de la préfecture de Fukushima, à 10 minutes en voiture de la gare JR d’Iwaki, dans une zone résidentielle, située sur un plateau. Le chef Hagi Harutomo, âgé de 40 ans, ne sert qu’un seul groupe de personnes par jour. Ce pari osé attire même des clients originaires d’autres préfectures. De bon matin, se préparant pour le service du soir, il commence par faire la tournée des maraîchers locaux. Il en visite 4 ou 5. Intransigeant, il ne retient que des légumes dont il a pu s’assurer de ses yeux et de son palais, et qu’il a sélectionnés avec le plus grand soin. En ce qui concerne la viande et le poisson, ils sont choisis en fonction des légumes qui seront cuisinés ce jour-là.

Avant la préparation, le chef Hagi donne aux clients des explications concernant les légumes qui seront servis ce jour-là.

Avant le repas, les légumes, fraîchement cueillis, sont placés dans un bac. Le chef Hagi les emporte et les présente au groupe de convives. Il y a des aubergines zébrées, des asperges, des légumes traditionnels tels que des concombres Ojiroi, des okuimo (sorte de pommes de terre). Il donne avec soin des explications sur chacun des ingrédients qui composeront le repas. La carte, il n’y en a pas. Elle est décidée en fonction des légumes qui seront cueillis ce jour-là. À la place de la carte, avant de servir chacun des plats, la femme du chef apporte aux convives des fiches explicatives sur chacun des ingrédients composant le repas.

En entrée ce jour-là : des junsai cultivés à Ura-Bandai. Ils accompagneront un consommé triple. Pour le chef Hagi, ces junsai, qui se parent d’une abondante gelée externe à la consistance fondante afin de lutter contre le froid, sont sans conteste les meilleurs du Japon. Sur ce lit de junsai, ce sera un consommé triple de bœuf élevé à Fukushima, de chapon de Kawamata et de porc Berkshire de Mandchourie pure race élevé à Iwaki, maïs et oursin. Le dîner commence donc par une sensation agréable, unique et fraîche dans la bouche.

Junsai et son consommé triple

Ensuite, un lit de purée d’okuimo, l’un des légumes traditionnels par excellence d’Iwaki, accompagnera un morceau d’agneau de race Suffolk élevé dans le village de Samegawa, dans la préfecture de Fukushima. L’agneau de race Suffolk, en raison de la qualité de sa viande et de sa graisse, est également appelé « agneau miracle ». L’okuimo, ayant à la fois une texture fondante et une saveur sucrée qui se rapproche de celle de la patate douce, se marie parfaitement avec la viande d’agneau. En garniture, une asperge, dont la consistance rappelle celle des fèves. Ce sont ces ingrédients mêmes que le chef Hagi appelle le « trésor de Fukushima ».

Voir tous les plats du menu du jour à la fin de cet article

Agneau de race Suffolk sur purée d’okuimo

À la place du menu, des fiches. Tout y est écrit, de la provenance des différents ingrédients aux producteurs.

Le pari audacieux de ne servir qu’un seul groupe de personnes par jour

Après ses études au lycée, Hagi Harutomo a fréquenté une école de cuisine. En 2000, à l’âge de 23 ans, il ouvre dans sa ville natale son propre restaurant français, de type brasserie, le Bellecour. Comme un prolongement des connaissances apprises sur la cuisine classique dans cette école, il pensait que les légumes n’étaient qu’un simple accompagnement de la viande et du poisson. Les affaires de son restaurant étaient bonnes mais il reconnaît lui-même que sa gestion lui a donné du fil à retordre.

Hagi France Ryôriten à Iwaki

11 mars 2011, tremblement de terre et catastrophe à la centrale nucléaire de Fukushima. Sa vie change du tout au tout.

« Ce jour-là, c’est comme si les couleurs du paysage avaient disparu pour laisser place au noir et au blanc et que d’anonyme, j’étais devenu une victime, un sinistré du tremblement de terre », se souvient-il.

Les dommages dus aux rumeurs circulant sur la ville d’Iwaki ont été considérables, et ce bien que la municipalité n’ait pas été considérée comme zone d’évacuation suite à la catastrophe nucléaire. Et la ville en a énormément pâti. Le fait que la ville ait été privée d’eau pendant un mois n’a rien arrangé. Trois mois après le tremblement de terre, les clients n’étaient toujours pas au rendez-vous.

Hagi Harutomo a donc retroussé ses manches, mis tout son cœur à l’ouvrage et a cuisiné pour un seul groupe de personnes venues dans son restaurant des mets préparés avec une quantité d’ingrédients limités. Et un jour, il a remarqué que les convives ont quitté son établissement le sourire aux lèvres, tel qu’il n’en avait jamais vu auparavant.

La rencontre avec la Ferme Shiraishi

C’est à ce moment-là que le chef Hagi a participé dans la région à des activités avec des producteurs, pas seulement dans son domaine, et qu’il a fait la connaissance de Shiraishi Nagatoshi, âgé de 35 ans, une rencontre qui allait, même s’il ne le savait pas encore, être décisive. Le chef Hagi dégusta des tomates de la Ferme Shiraishi. Elles étaient délicieuses et avaient juste ce qu’il fallait d’acidité. Rien à voir avec des tomates ordinaires. « J’ai eu la conviction que c’était là, la force des ingrédients et j’ai commencé à travailler avec M. Shiraishi à la production de ses légumes. » La municipalité lui a même demandé d'inventer en collaboration avec la Ferme Shiraishi des recettes à base de légumes traditionnels.

Shiraishi Nagatoshi donna des tomates vertes qu’il avait cueillies prêtes à l’expédition. Quelques jours plus tard, le chef Hagi les lui rendit sous forme de confiture. « J’ai été littéralement sous le charme. En une seule bouchée, on comprend tout de suite que la cuisine de ce chef est hors du commun », nous confie M. Shiraishi.

Avec l’aide des producteurs, regorgeant de créativité, le chef Hagi propose également des confitures et des sauces faites à base de ces légumes.

Le chef Hagi se fait sa propre idée en croquant les légumes crus

À la fin de l’été, nous nous sommes rendus avec le chef Hagi à la Ferme Shiraishi, située à une vingtaine de minutes en voiture de son restaurant. Shiraishi Nagatoshi incarne la 8e génération d'agriculteurs à Iwaki, sa ville natale.

M. Shiraishi cultive des légumes d’hiver tels que des choux, des brocolis, des poireaux ou encore des pommes de terre, et des okuimo, légume traditionnel par excellence de la ville d’Iwaki. Il n’utilise ni pesticides, ni engrais chimiques.

Ce jour-là, le chef Hagi croqua crue l’aubergine qui venait d’être cueillie. Elle était croquante, juteuse et sucrée. Pour le chef, le sol du champ de M. Shiraishi est différent.

Avant d’ouvrir son restaurant, le chef Hagi se rend lui-même à la Ferme Shiraishi pour aller chercher les légumes qui composeront le repas. M. Shiraishi (à droite) lui donne des explications sur la condition des légumes.

Des liens solides avec les producteurs locaux

Le chef Hagi avait 35 ans au moment du tremblement de terre. Il avait toujours concentré son attention sur sa cuisine et la gestion de son restaurant, et délaissé le plus important : les ingrédients en eux-mêmes. Il décida de se rendre dans plusieurs exploitations, il se mit à lire des ouvrages sur l’agriculture, il apprit les termes spécifiques, il alla donner un coup de main aux producteurs, une occasion d’approfondir ses relations de confiance dans une ambiance conviviale, jusque tard dans la nuit autour de verres de saké.

Le chef Hagi et M. Shiraishi ont presque le même âge. Ils ont tous deux été victimes du séisme. « Le tremblement de terre a emporté sur son passage de bonnes et de mauvaises choses et nous nous sommes rencontrés au moment où on ne pouvait plus tomber plus bas », se souvient-il.

« Des légumes fraîchement cueillis nous procurent une énergie à 100 %. Et c’est en mettant à profit cette énergie que je me donne moi aussi à 100 %, pour cuisiner des plats qui puissent rivaliser avec cette énergie. C’est comme cela que j’ai complètement changé mon style de cuisine. “Comment faire ressortir le meilleur de ces légumes ? ”, c’est la question qui me taraude chaque jour. »

Les étudiants et bénévoles sont nombreux à vouloir apprendre à la Ferme Shiraishi.

Aux fourneaux à l’Élysée

Un jour, alors qu’il participait avec M. Shiraishi à des activités de présentation des produits de la région, il reçut un appel de la part du bureau préfectoral de l’Agriculture et des Forêts. Le Club des chefs des chefs voulait l’inviter à passer deux mois en Europe à partir d’octobre 2013.

Cela faisait 18 ans que Hagi Harutomo n’avait pas mis un pied à Paris, depuis la fin de ses études dans une école culinaire. C’était la première fois qu’en tant que chef japonais, il mettait ses talents au profit du Palais de l’Élysée. Et il avait emmené dans ses valises des chapons originaires de Fukushima, du riz, des pêches de la préfecture, dont l’innocuité avait été certifiée. François Hollande, réputé pour son palais de fin gourmet, a donc notamment pu déguster une salade nori-maki de chapon et de légumes et un sorbet à base de riz et de saké.

La production s’exporte hors des frontières de la préfecture

Quand on lui pose la question : « Vous vous en sortez en ne servant qu’un seul groupe de personnes par jour ? » « Oui, ça me suffit », répond-il avec le sourire aux lèvres. Il y a trois menus le midi et le soir, à 10 000 yens, 15 000 yens et 20 000 yens, hors taxes, boissons et service non compris. « Nous n’acceptons les clients que sur réservation. En ne servant qu’un seul groupe de personnes par jour, et en cuisinant des légumes fraîchement cueillis du jour, je pense être en mesure servir des plats dans des conditions optimales. Bien sûr, je ne parle pas d’un menu complet pour 20 personnes. »

Le chef Hagi souhaite répandre un nouveau concept en province et montrer qu’il est possible de gérer son restaurant avec des petites quantités, contrairement à des métropoles telles que Tokyo. En japonais, il y a le mot miyagemono (土産物), qui veut dire « petit souvenir en cadeau ». Il est composé des caractères signifiant « sol » (土), « naissance » (産) et « chose » (物). Ce que le chef Hagi souhaite faire, c’est cuisiner des plats qui seront des cadeaux pour le cœur, principalement à base de légumes de la préfecture de Fukushima.

Exemple d’un menu à base de produits de Fukushima

Enfin, une présentation d’un menu à partir de produits et de légumes traditionnels de la ville d’Iwaki et de la préfecture de Fukushima.

En entrée, lit de junsai cultivé à Ura-Bandai et consommé triple, maïs de la Ferme Shiraishi, oursin

Tartare de bonite avec aubergines « maboroshi », poivron rouge et poudre gelée de tomates

Jeunes ayu frits et sa purée de fèves et d’abats de jeunes ayu

Aspic de mioga (gingembre japonais) fraîchement cueilli, de crabe « kegani » et d’extraits de tomates de la Ferme Shiraishi

Anguille grillée et risotto (riz d’Iwaki), sauce mijotée au vin rouge à partir d’arrêtes retirées d’anguilles vivantes

Poisson nodoguro croustillant d’Iwaki, sauce de tomates Cookgold, parsemé de capucine et de basilic

Ormeaux d’Iwaki, un mets de choix, à peine saisis sur le feu accompagnés d’une sauce de safran d’Aizu et de concombres Ojiroi, légumes traditionnels d’Iwaki. Les ormeaux, qui ne sont pas le produit d’élevage, portent une mention selon laquelle aucune trace de radioactivité n’a été détectée ou que les niveaux relevés sont en deçà des normes en vigueur.

Agneau de Suffolk, élevé à Samegawa, et sa purée d’okuimo, l'un des quelque soixante-dix légumes traditionnels d’Iwaki.

Tarte aux framboises d’Iwaki et son sorbet aux framboises

Pêche Akatsuki neo d’un verger de Furuyama (à Fukushima) et glace au lait de jersiaise de la Ferme Tsubasa. D’ordinaire, la teneur en sucre des pêches est d’environ 14 degrés, mais celles-ci peuvent parfois atteindre 30 degrés.

Hagi France Ryôriten

Adresse : 171-10, Onigoe, Uchigô-Midaisakai-machi, Iwaki-shi, Fukusima-ken 973-8409 JAPON
Tél : +81.0246.26.51.74
Site web (uniquement en japonais) : http://www.hagi-france.com/

(D’après un texte en japonais de Doi Emiko, Nippon.com, publié le 12 octobre 2016. Photos : Kodera Kei)

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