La modernité de l’esthétique traditionnelle

Requiem pour une épouse défunte : Yamamoto Motoï, artiste du sel

Culture Art

Pourquoi le sel ? C’est la question que nous avons voulu poser à Yamamoto Motoï, artiste atypique, qui utilise ce matériau pour la réalisation de ses installations. Nous l’avons rencontré à Onomichi, son pays natal, et suivi lors de sa création artistique pour une galerie locale.

Le sel pour surmonter le deuil

Yamamoto Motoï est un artiste qui utilise le sel comme matière principale pour son expression artistique personnelle. C’est le décès de sa sœur, de trois ans plus jeune, qui a éveillé en lui ce choix. C’était en 1994. Alors encore étudiant, il lui donnait des soins dévoués jour et nuit, mais en vain. Elle est décédée à 24 ans d’une tumeur au cerveau.

Après sa mort, il réalise des installations sur le thème des funérailles en utilisant le sel comme purificateur, Yamamoto s’aperçoit alors de la corrélation entre la vie, qui semble être le jouet d’une force invisible, et les formes si fragiles de ce matériau.

Les cristaux blancs du sel sont incolores et transparents. En donnant forme à cette blancheur translucide, l’artiste en est venu à penser qu’il tentait de dépasser la douleur du deuil, en étant confronté avec sa réalité et en la conservant comme un lieu de mémoire de sa soeur.

Yamamoto Motoï
Né en 1966 à Onomichi, dans la préfecture de Hiroshima. Diplômé de l’Université des beaux-arts de Kanazawa en 1995. Réside actuellement à Kanazawa, préfecture d’Ishikawa. Réalise des installations avec du sel afin de faire ressortir le concept d’épuration, de purification. Parmi ses principales expositions : Saltz (2010, église Sankt Peter, Cologne) ; Shiroki mori e (« Vers la forêt blanche », 2011, Musée en plein air de Hakone, Hakone) ; Umi ni kaeru (« Retour vers la mer », 2012 à 2014, exposition itinérante aux États-Unis) ; Mono no aware (« La beauté des choses éphémères », 2012, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg) ; Festival international d’art de Setouchi, entre autres.

Le sel qu’il utilise n’a rien de spécial. C’est du sel ordinaire, que l’on peut tout à fait employer en cuisine. Yamamoto le façonne en y ajoutant de l’eau et en le chauffant pour en faire des blocs solides qui composeront ses œuvres en relief, ou il le passe au tamis pour dessiner des motifs de grains uniformes.

Parmi les motifs de ses installations, des tourbillons, des labyrinthes, des escaliers, des tunnels… des choses simples en majorité. Car il veut exprimer des formes familières à tous.

Utsusemi (« Corps de ce monde », P.S. 1 MoMA, New York, 2003) © Yamamoto Motoi

Meikyû (« Labyrinthe », Musée des arts de la préfecture de Hiroshima, 2013) © Yamamoto Motoi

Tayutau niwa (« Jardin flottant », Aigues-Mortes, France, 2015) © Yamamoto Motoi

Des œuvres éphémères, qui retournent à la mer

Yamamoto s’accroupit sur le sol ou plie les genoux, et passe de 7 à 8 heures, voire 14 heures par jour, à dessiner. Il reste ainsi toute la journée, sauf lorsqu’il se lève pour regarder l’ensemble de l’œuvre. Et le travail se poursuit pendant plusieurs jours, parfois plusieurs semaines…

« Lorsque je dessine mes lignes, je laisse ma main et mon corps se déplacer naturellement. » déclare Yamamoto. Mais en plein travail, « À vrai dire, c’est dur !» admet-il avec un rire forcé. Pour ne pas se déconcentrer durant la création, il fait très attention à ses forces physiques. Il commence la journée par un rituel qui n’a rien à envier à celui des athlètes : étirements, musculation, bandage des hanches et des genoux, et massages. Parfois, il doit avoir recours aux antalgiques pour pouvoir continuer son travail.

Des lignes tracées par les mouvements naturels du corps

Les œuvres de Yamamoto, de par la nature même du sel, se modifient facilement et ne résistent pas au temps. « Il y a souvent des imprévus sur les sites des expositions, et j’ai dû souvent tout refaire. » raconte-t-il en souriant.

En France, un chien est entré au beau milieu de l’oeuvre et une vieille dame a marché dessus en s’aidant de sa canne. En Allemagne, le conservateur du musée a laissé tomber un tournevis sur l’œuvre terminée. Au Japon, c’est l’humidité qui a détruit sa création lors du festival d’art organisé sur une île de la mer intérieure de Seto.

Yamamoto voit tous ces contretemps de manière positive et les considère comme des expériences lui permettant de toujours progresser. Pour sa dernière œuvre Ruri no ryû, « Le dragon de lapis-lazuli », il a entouré le site d’une bâche en plastique pour éviter l’humidité et il laisse tourner les déshumidificateurs en permanence.

Le site de création de Ruri no ryû, « Le dragon de lapis-lazuli » à Onomichi

L’artiste nous dit apprécier le moment où il prend son installation en photo une fois qu’elle est terminée. C’est bien sûr pour conserver sa création qui va très prochainement disparaître, mais c’est aussi « un moment de bonheur où je fais face à mon œuvre. »

Pour les quantités de sel qui lui sont nécessaires, cela va de plusieurs dizaines de kilos pour les plus petites pièces, jusqu’à 11 tonnes pour les plus grandes.

L’exposition terminée, Yamamoto récupère le sel et le remet à la mer. Il le fit la première fois en 2006, en retournant son précieux matériau dans l’océan Atlantique après une exposition en Caroline du Nord aux États-Unis. Informé par un article de journal relatant l’action de l’artiste, un Américain envoie alors un mail à Yamamoto en lui disant qu’il avait été très ému. Le jeune homme venait juste de perdre son père.

Un voyage éternel à travers la mémoire

Ruri no ryû (« Le dragon de lapis-lazuli », Art Base Momoshima, Onomichi, préfecture de Hiroshima, 2017)

Cette fois-ci, Yamamoto a réalisé en six jours, pour l’exposition Cross Road 2 organisée à Art Base Momoshima, une des îles de la mer intérieure de Seto, son fameux Ruri no ryû. C’est sa première création après une interruption d’activité pendant presque un an. Elle est dédiée à son épouse, emportée par un cancer à l’âge de 43 ans, il y a un an. Sur le site, sa fille bien-aimée de 5 ans, Yûno, l’accompagne.

La petite Yûno, une assistante parfaite pour la création de Ruri no ryû

Yamamoto a introduit cette fois une nouvelle manière de procéder pour réaliser cette œuvre. Prenant la tresse pour motif, il utilise pour la première fois de grandes lignes, jusqu’alors inexistantes dans ses installations.

Une fois son œuvre achevée, alors qu’il est en train de gravir une rue en pente de l’île, imprégné d’un intense sentiment de libération, Yamamoto aperçoit un morceau de ciel bleu entre les nuages. Un soir de fin d’automne, un an auparavant, Atsuko, son épouse, a prononcé ses dernières paroles avant de partir au ciel en laissant derrière elle son mari et sa jeune enfant : « Je m’en vais de l’autre côté du ciel bleu. »

Nous espérons que les activités créatrices de Yamamoto Motoï, débutées pour retracer le souvenir de sa sœur, prendront, à la triste occasion de la séparation d’avec son épouse, leur envol vers une nouvelle dimension. Très haut dans le ciel bleu.

L’artiste avec sa fille, remettant le sel à la mer à Onomichi, son pays natal

(Photos et texte : Sawabe Katsuhito. Avec la collaboration de Art Base Momoshima)

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