Le centenaire de Takarazuka

Takarazuka, une compagnie théâtrale unique en son genre

Culture

Takurazaka Kagekidan est une compagnie théâtrale spécialisée dans les spectacles musicaux et les revues dont le siège se trouve à Takarazuka, dans la préfecture de Hyôgo, entre Kôbe et Osaka. Sa particularité : elle est exclusivement composée d’actrices célibataires. L’article suivant raconte l’histoire de cette troupe de théâtre unique en son genre.

La compagnie de théâtre spécialisée dans les comédies musicales Takarazuka Kagekidan est composée d’actrices célibataires que les Japonais appellent volontiers les « Takarasiennes » en raison de leur élégance très proche, à bien des égards, de celle des Parisiennes. Les Takarasiennes qui interprètent des rôles masculins avec un maquillage spécial et des vêtements d’homme sont tout particulièrement appréciées du public.

Les quelque quatre cent vingt artistes que compte Takarazuka sont réparties en cinq groupes appelés respectivement « Fleur » (hana), « Lune » (tsuki), « Neige » (yuki), « Étoile » (hoshi) et « Ciel » (sora). Chacun de ces groupes joue dix spectacles par an. La compagnie dispose aussi d’ « interprètes spéciales » (senka) qui vont d’un groupe à l’autre en fonction des besoins. Elle donne des spectacles romantiques pleins de rêve tout au long de l’année dans les deux théâtres qu’elle possède, dont l’un se trouve à Takarazuka et l’autre en plein cœur de Tokyo.

Le 1er avril 2014, la compagnie Takarazuka a fêté son centième anniversaire, un événement qui devrait à n’en pas douter l’encourager à continuer à aller de l’avant.

Ranju Tomu (au centre), star du groupe « Fleur » de la compagnie Takarazuka, en train de mener une revue au cours d’un spectacle donné en 2012.

Un divertissement pour la clientèle d’une station thermale

La première représentation de la compagnie Takarazuka a eu lieu le 1er avril 1914 dans la station thermale de la préfecture de Hyôgo à laquelle elle a emprunté son nom. Au départ, il s’agissait avant tout d’attirer les clients et de les distraire. Mais celui qui avait conçu ce projet était un homme tout à fait singulier qui s’appelait Kobayashi Ichizô (1873-1957). Il avait réussi dans le monde des affaires en fondant le groupe Hankyû-Tôhô, mais il éprouvait aussi une véritable passion pour la cérémonie du thé, les arts et le théâtre.

En mais 1911, Kobayashi Ichizô a inauguré la Nouvelle station thermale de Takarazuka (Takarazuka Shin-onsen) au terminus de la ligne de chemins de fer Minô-Arima Denki Kidô — appelée aujourd’hui Hankyû Dentetsu — qui reliait la ville au centre d’Osaka. C’est alors qu’il a eu l’idée de créer un groupe musical exclusivement féminin pour attirer la clientèle et la divertir.

Kobayashi Ichizô a mis son projet à exécution en 1913, en engageant seize adolescentes. L’année suivante, ce groupe de jeunes filles a joué trois œuvres dont l’opérette Dom Brako de Kitamura Sueharu (1872-1931) basée sur le thème populaire de Momotarô. Ces spectacles, qui étaient gratuits, se déroulaient dans une piscine couverte reconvertie en théâtre pour l’occasion. Ils ont eu un tel succès qu’ils ont été repris régulièrement, à raison de quatre fois par an. En 1918, la troupe de Kobayashi Ichizô a donné une représentation au prestigieux Théâtre impérial de Tokyo. En 1924, elle a inauguré le Grand Théâtre de Takarazuka qui pouvait accueillir quelque quatre mille spectateurs et dix ans plus tard, elle s’est dotée d’une deuxième salle, le Théâtre Takarazuka de Tokyo installé en plein cœur de la capitale. Le moins que l’on puisse dire c’est que Takarazuka a réalisé un parcours impressionnant en très peu de temps.

Le fondateur de Takarazuka nourrissait en fait l’ambition de créer une « nouvelle forme de théâtre populaire » qui allie la culture théâtrale traditionnelle japonaise, entre autres le kabuki, et la musique occidentale dans des spectacles accessibles à un large public. Et sa compagnie est restée fidèle à ses idées.

Les « Rocket Girls », une chorégraphie synchronisée de la revue Parisette de Shirai Tetsuzô, jouée en 1930 par la compagnie Takarazuka

Les premières « revues » japonaises

L’âge d’or de la compagnie Takarazuka a commencé à partir du moment où elle s’est lancée dans le genre la « revue » qui allie le chant et la danse dans une série de tableaux spectaculaires. En 1927, elle a joué Mon Paris de Kishida Tatsuya (1892-1944), un spectacle composé de danses et de chants qui étaient en vogue à l’étranger et surtout en France. C’est alors que les chorégraphies synchronisées et les danses sur des escaliers monumentaux, qui tiennent toujours une place essentielle dans les productions de Takarazuka, ont fait leur apparition.

Trois années plus tard, Shirai Tetsuzô (1900-1983), surnommé le « roi de la revue », a monté la revue Parisette qui a eu un succès foudroyant. Les costumes et les décors brillamment colorés et les danses originales de ce spectacle s’inspiraient directement de ce que l’on voyait à l’époque sur les scènes européennes et américaines. Sumire no hana saku koro (Le temps des violettes en fleurs), la chanson phare de la revue a conquis le cœur des Japonais.

La compagnie Takarazuka a continué à accumuler les réussites avec Bouquet d’amour, en 1932, puis Hanashishû (Poèmes-fleurs), en 1933, jusqu’à ce que les événements viennent mettre un terme à cette période faste.

Une période perturbée par la guerre

Les choses ont changé à partir du moment où le Japon est entré dans une période de conflits armés. En 1937, au moment de la guerre sino-japonaise, la compagnie a commencé à jouer des œuvres avec une connotation militariste et impérialiste de plus en plus marquée. Elle a, par exemple, évité d’utiliser des titres comportant des mots étrangers.

Durant cette période, les actrices de Takarazuka ont effectué des tournées dans les usines d’armement et les hôpitaux de l’Archipel et même sur le front, notamment en Chine et en Mandchourie, afin de soutenir le moral des troupes. En 1944, trois ans après le début des hostilités dans le Pacifique, l’armée japonaise a réquisitionné les deux théâtres de Takarazuka.

À la fin des combats, les forces alliées se sont elles aussi appropriées les deux salles de la compagnie. Si le Théâtre Takarazuka de Tokyo n’a repris ses activités qu’en 1955, le Grand Théâtre de Takarazuka a pu recommencer à fonctionner dès le mois d’avril 1946. Le public s’est aussitôt enthousiasmé pour ce type de spectacle qui avait le mérite de lui faire oublier les horreurs de la guerre.

« La Rose de Versailles », un succès fabuleux

L’histoire de Takarazuka dans la période de l’après-guerre est indissociable de celle de l’actrice Kasugano Yachiyo surnommée « le prince à la rose blanche » en raison de son altière beauté. Elle a servi de référence à toutes les actrices de Takarazuka qui ont interprété des rôles masculins (otokoyaku), et ce jusqu’à aujourd’hui. Son prestige était tel qu’elle a figuré sur la liste des « interprètes spéciales » (senka) jusqu’à sa mort, en 2012, à l’âge de quatre-vingt seize ans.

Nemuranai otoko Naporeon — ai to eikô no hateni (Napoléon, l’homme qui ne dort pas — la fin du pouvoir et de l’amour), interprété par le groupe « Étoile » au Grand Théâtre Takarazuka, en janvier 2014.

Le plus grand succès de Takarazuka a été sans nul doute La rose de Versailles d’Ikeda Riyoko représenté pour la première fois en 1974. Cette œuvre, qui a largement contribué à la popularité actuelle de la compagnie, a fait l’objet d’un grand nombre de reprises jusqu’à ce jour. Elle se situe au moment de la Révolution française et raconte l’histoire d’Oscar, une jeune fille travestie en homme pour pouvoir hériter des biens de son père, et d’André, son ami d’enfance. On y voit aussi apparaître la reine Marie Antoinette et le comte suédois Hans Axel von Fersen.

L’argument de « La rose de Versailles » a été emprunté à un manga pour adolescentes d’Ikeda Riyoko publié dans une revue spécialisée et il a été fidèlement adapté pour la scène par Ueda Shinji, un des meilleurs metteurs en scène de Takarazuka. Le caractère ambivalent du personnage principal convenait à merveille au répertoire de la compagnie. L’histoire d’amour tragique avait de quoi séduire tous les cœurs féminins et la mise en scène baroque pleine de romantisme était à la hauteur des attentes des fans de manga. Le succès de ce spectacle a été phénoménal. Les cinq groupes de la compagnie ont tous joué une version différente de la revue tant et si bien qu’en l’espace de deux ans « La rose de Versailles » a donné lieu à cinq cent soixante représentations auxquelles ont assisté au total un million quatre cent mille spectateurs !

Une pléiade d’actrices exceptionnelles

À ce jour, la compagnie a formé au total quatre mille quatre cent vingt-six Takarasiennes dont beaucoup ont fait, après leur départ, une brillante carrière sur scène et à l’écran où elles ont donné pleinement la mesure de leur talent.

Le 4 avril 2014, d’anciennes stars de Takarazuka se sont retrouvées au Grand Théâtre de Takarazuka pour un spectacle intitulé « Festival du rêve », dans le cadre de la commémoration du centenaire de la compagnie.

L’une d’entre elles n’est autre que Yachigusa Kaoru qui a joué aux côté du grand Mifune Toshirô (1920-1977) dans La Légende de Musashi (1954) d’Inagaki Hiroshi (1905-1980). Otowa Nobuko a interprété quant à elle de superbes rôles dans Onibaba et Kuroneko (Le chat noir), deux films-cultes réalisés respectivement en 1964 et 1968 par Shindô Kaneto (1912-2012). Beaucoup d’autres se sont brillamment illustrées non seulement dans le domaine du cinéma mais aussi à la télévision et dans la chanson, en particulier Asaoka Yukiji, Daichi Mao, Amami Yûki, Kuroki Hitomi, et Dan Rei. À vrai dire, il est bien rare qu’on ne trouve pas d’anciennes actrices de Takarazuka dans les grandes productions théâtrales japonaises.

Le 4 avril 2014, des anciennes Takarasiennes se sont réunies au Grand Théâtre de Takarazuka pour célébrer le centième anniversaire de la compagnie avec un spectacle intitulé « Festival du rêve ». La présence de toutes ces actrices exceptionnelles sur la même scène a donné la mesure de l’histoire fabuleuse de cette compagnie théâtrale.

Une sélection très sévère

Une des raisons du succès de Takarazuka et du style de théâtre sans équivalent qui est le sien, c’est que toutes les actrices doivent obligatoirement passer par une formation à l’école de musique de la compagnie. Chaque année des adolescentes qui rêvent de se produire sur scène affluent de tout le pays vers Takarazuka pour présenter leur candidature. La compétition est si féroce qu’on la compare à celle du concours d’entrée à l’Université de Tokyo (Tôdai) qui a la réputation d’être le plus difficile du Japon. « À l’est Tôdai, à l’ouest Takarazuka » disent volontiers les Japonais.

Les heureuses élues doivent suivre deux années de formation intensive consacrées notamment à l’étude de la danse classique, de la danse traditionnelle japonaise (buyô), du chant et du piano. Grâce à ce système, la compagnie dispose en permanence d’une réserve de talents exceptionnels qui lui permet de se régénérer constamment et de maintenir en place la pyramide au sommet de laquelle se trouvent les stars. Les fans n’ont que l’embarras du choix pour trouver de nouvelles Takarasiennes à leur convenance.

Un autre atout de Takarazuka, qui dispose aussi de son propre orchestre, c’est qu’elle forme elle-même non seulement les actrices mais aussi les scénaristes, les metteurs en scène et les producteurs de la compagnie. Quand ceux-ci sont engagés, ils font office d’assistants et acquièrent de l’expérience en participant aux activités du théâtre. Dans la mesure où la production de nouveaux spectacles a une importance capitale pour la compagnie, tous ses membres doivent connaître parfaitement les caractéristiques et les objectifs qui lui sont propres.

La compagnie Takarazuka doit aussi beaucoup au fait qu’elle bénéficie de l’appui de Hankyû Dentetsu, une entreprise solide qui s’occupe de sa gestion administrative. Comme le voulait Kobayashi Ichizô, Hankyû Dentetsu a soutenu Takarazuka tout au long de son histoire en lui prodiguant les fonds et les encouragements dont elle avait besoin avec une extraordinaire générosité, chaque fois qu’elle traversait des moments difficiles. En fait, Takarazuka incarne l’image du groupe Hankyû-Hanshin auprès du public japonais au même titre que l’équipe professionnelle de base-ball Hanshin Tigers dont cette entreprise est également le sponsor.

 « Le changement est en lui-même une forme d’art extraordinaire »

Les plus grandes stars de la compagnie Takarazuka se sont réunies en avril 2014 au Grand Théâtre de Takarazuka pour interpréter un spectacle intitulé « Festival du rêve ».

Depuis quelques temps, la compagnie Takarazuka envisage d’organiser des tournées à l’étranger. Jusque-là, elle avait présenté des spectacles dans un grand nombre de pays et de villes à travers le monde, y compris Paris en 1965, 1975 et 1976. Mais ces manifestations se situaient toujours dans le cadre d’invitations liées à des échanges culturels ou au développement de relations d’amitié entre les pays. En 2013, le groupe « Étoile » a donné une série de représentations à Taïwan dont l’initiative revenait entièrement à Takarazuka. Cette fois, c’est la compagnie qui s’est entièrement chargée de la logistique, depuis la recherche de sponsors jusqu’à la vente des billets. La tournée a duré neuf jours au cours desquels les Takarasiennes ont joué à douze reprises à guichets fermés devant quelque dix-huit mille personnes. Takarazuka a fait un premier pas décisif dans le sens d’un développement de ses activités outre-mer. Une seconde tournée à Taïwan au cours de laquelle le groupe « Fleur » devrait interpréter entre autres La rose de Versailles est d’ailleurs prévue pour le mois d’août 2015.

La compagnie Takarazuka doit la devise « pureté, droiture et beauté », à laquelle elle est toujours restée fidèle, à son fondateur, Kobayashi Ichizô. Mais si elle continue à aller de l’avant en affrontant courageusement les défis posés par le monde en perpétuel changement dans lequel nous vivons, c’est peut-être à cause d’une autre maxime de ce personnage hors du commun : « Le changement est en lui-même une forme d’art extraordinaire ».

(Adapté d’un article en japonais de Kamitani Chiaki. Photos avec l’aimable autorisation de Kobe Shimbun. Photo du titre : le 5 avril 2014 au Grand Théâtre de Takarazuka.)

La compagnie Takarazuka en quelques dates

*chronologie établie par la rédaction de Nippon.com

mars 1910 Inauguration de la ligne de chemin de fer Minô-Arima Denki Kidô (Hankyû Dentetsu) reliant Umeda à Takarazuka.
mai 1911 Ouverture de la station thermale de Takarazuka Shin-onsen.
juillet 1913 Fondation du groupe choral Takarazuka Shôkatai, composé de seize jeunes filles. Au mois de décembre, celui-ci prend le nom de Takarazuka Shôjo Kageki Yôseikai (Association pour la formation de la compagnie théâtrale féminine Takarazuka).
avril 1914 Premières représentations au théâtre « Paradise » de Takarazuka. L’opérette Dom Brako.
janvier 1919 Fondation de l’école de musique Takarazuka. Dissolution de l’association Takarazuka Shôjo Kageki Yôseikai. Création de Takarazuka Shôjo Kagekidan (la compagnie théâtrale féminine Takarazuka).
juillet 1924 Inauguration du Grand Théâtre de Takarazuka qui peut accueillir 4 000 spectateurs.
septembre 1927 La compagnie monte Mon Paris, la première revue japonaise. Les chorégraphies synchronisées et les escaliers font leur apparition pour la première fois sur une scène de l’Archipel.
août 1930 La revue Parisette où figure la chanson Sumire no hana saku koro (Le temps des violettes en fleurs) remporte un énorme succès.
janvier 1934 Inauguration du Théâtre Takarazuka de Tokyo.
1938-1939 Premières représentations à l’étranger en Allemagne, en Pologne, en Italie et en Croatie.
octobre 1940 La compagnie change de nom et prend celui de  Takarazuka Kagekidan (compagnie théâtrale Takarazuka).
mars 1944 Les représentations sont suspendues en raison de l’intensification des combats dans le Pacifique.
avril 1946 Les spectacles reprennent au Grand Théâtre de Takarazuka. (Ils ne recommenceront à Tokyo qu’en 1955.)
août 1974 Première représentation de La rose de Versailles d’Ikeda Riyoko, qui a un immense succès.
janvier 1993 Inauguration du nouveau Grand Théâtre de Takarazuka, qui a été entièrement reconstruit.
janvier 1995 Suspension provisoire des représentations en raison du tremblement de terre qui a ravagé la région de Kôbe et l’île d’Awaji, le 17 janvier.
février 1996 Première représentation de l’opérette viennoise Elizabeth, le spectacle le plus célèbre de Takarazuka à cette époque.
janvier 2001 Inauguration du nouveau Théâtre Takarazuka de Tokyo.
avril 2013 Première tournée à l’étranger à l’initiative de Takarazuka. Elle a lieu à Taïwan.
avril 2014 Représentation spéciale donnée le 5 avril au Grand Théâtre Takarazuka, à l’occasion du centième anniversaire de la compagnie.

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