Sous le feuillage des arbres géants du Japon

Les géants de la forêt : ginkgo à la fin de l’automne

Culture

Quand vient la fin de l’automne, les ginkgos biloba colorent de jaune temples, sanctuaires, parcs et rues. Cet arbre très familier des Japonais, ne possède aucun cousin dans la classification des espèces végétales. C’est un « fossile vivant » qui a survécu à tous les âges glaciaires. Les spécimens que nous présentons ci-dessous témoignent de son extraordinaire force vitale.

Une espèce menacée très familière des Japonais

Le ginkgo biloba est l’un des arbres les plus familiers du Japon. Souvent plantés dans les parcs et le long des artères des grandes villes, ils sont de plus souvent vénérés comme des arbres sacrés dans les sanctuaires shintô. Il est donc parfaitement intégré au paysage quotidien de la population.

Il est probable que le ginkgo biloba s’est répandu sur la surface du globe entre le mésozoïque et la troisième période du cénozoïque. Il a ensuite peu à peu diminué depuis environ un million d’années, au point de presque disparaître. Il a finalement survécu quasi miraculeusement dans son lieu d’origine, en Chine. Certains récits font remonter son introduction au Japon à l’époque Heian ou à l’époque Muromachi, mais il est plus sûr de dire qu’il a été importé pour la première fois il y a 600 ou 700 ans.

Le ginkgo biloba, qui a survécu aux cycles glaciaires, est la seule espèce de sa famille végétale, ce qui en fait un « taxon monotypique », ce que l’on appelait autrefois un « fossile vivant ». Cela peut paraître étonnant, compte tenu de la facilité avec laquelle on trouve cet arbre au Japon, mais la vérité est qu’il fait partie des espèces végétales en voie de disparition à l’état sauvage. Il y a 200 ans, il ne poussait que dans le nord-est asiatique. Il est aujourd’hui planté dans diverses régions du monde. On dit qu’il pourrait être retiré à brève échéance de la liste des espèces en danger.

Le Grand ginkgo Ichônokikubo (Aomori)

Espèce : ginkgo (ginkgo biloba)
Localisation : Aza Ichônokikubo, Dôbutsu, Hashikami-cho, Sannohe-gun, Aomori-ken 039-1201
Circonférence : 13,28 m, hauteur : 27 m (mesurée par l’auteur), âge : 1 000 ans
Patrimoine naturel de Hashikami
Taille ★★★★★
Vigueur  ★★★★
Forme  ★★★★
Branchage ★★★
Majesté  ★★★★

Son existence est longtemps restée insoupçonnée, y compris des amoureux de grands arbres. Le ministère de l’environnement lui attribuait une circonférence de 10 mètres pour le tronc. Or, quand je suis allé sur place en 2001, mes mesures ont donné un résultat de 13,28 m., ce qui fait tout de même une sacrée différence, de quoi le faire passer dans la catégorie des dix plus gros ginkgo du pays à l’époque. Inutile de dire que j’ai immédiatement fait corriger la base de données du ministère pour rendre justice à ce géant. Sa popularité a bien grandi depuis.

Incroyable mais vrai, jusqu’à il y a une dizaine d’années, ce géant n’avait même pas encore de nom propre. On disait « ichô » (ginkgo en japonais), comme s’il s’agissait d’un ginkgo ordinaire, à peine un peu plus grand que les autres !

Ce n’est qu’il y a huit ans que la décision fut prise de lui donner un nom digne de lui, quand le bourg de Hashikami décida de répertorier de façon complète ses biens culturels. Le Maison de la Forêt de Tokyo à Okutama, où je travaille et qui gère la base de données des arbres géants du ministère de l’Environnement, fut contacté par la mairie de Hashikami. La personne responsable du dossier à Hashikami et moi-même nous sommes donc penchés sur la question, et avons finalement décidé de le baptiser : le Grand ginkgo Ichônokikubo.

Néanmoins, comme le nom du lieu dit Ichônokikubo l’indique (« le terrain bas du ginkgo »), ce ginkgo était déjà considéré depuis fort longtemps comme l’arbre tutélaire de la région. Ses nombreuses racines aériennes qui pendent et plongent dans la terre semblent comme des mamelles maternelles, et cette image lui a valu une vénération particulière de la part des mères allaitantes de la région.

Ce ginkgo géant était en outre remarquable de par sa forme parfaite. Malheureusement, une tempête de 2011 a cassé l’une des grosses branches d’où partaient des racines aériennes qui faisaient sa spécificité, ce qui a ôté un peu de sa superbe. Mais des bourgeons ont poussé de la branche tombée à terre. Si ces bourgeons prennent racine, ils finiront par se réunir au tronc principal, et dans quelques centaines d’années cela pourrait devenir le plus grand ginkgo du Japon !

Le grand ginkgo de Shôbôji (Saitama)

Espèce : ginkgo (ginkgo biloba)
Localisation : 1229, Iwadono, Higashi-Matsuyama-shi, Saitama-ken 355-0065
Circonférence : 10,9 m, hauteur : 31 m (mesurée par l’auteur), âge : 700 ans
Patrimoine naturel de Higashi-Matsuyama
Taille ★★★★
Vigueur  ★★★★
Forme  ★★★★★
Branchage ★★★★
Majesté  ★★★★

C’est le plus gros ginkgo de la préfecture de Saitama. Le Shôbôji est un célèbre temple de l’école Shingon, situé dans la partie ouest de la ville de Higashi-Matsuyama, riche d’une histoire de 1300 ans. C’est également le temple n°10 du pèlerinage des 33 lieux sacrés dédiés au boddhisattva Kannon du Bandô (Kantô). Les gens l’appellent généralement Iwadono Kannon. Situé sur le flanc d’une hauteur à la frontière de la plaine du Kantô et des collines de Chichibu, le temple bénéficie d’un panorama exceptionnel.

Prenez le « chemin d’accès » (sandô) qui mene jusqu’au portique sanmon, et après avoir gravi le long escalier de pierre vous découvrez l’énorme ginkgo, le plus gros de la préfecture de Saitama, cachant le pavillon dédié à Kannon. Encore plus surprenant, ce géant a poussé sur un rocher d’environ trois mètres de diamètre. Le fait qu’il ait pu grandir à ce point, sans s’effondrer, est en soi un miracle. Il a certainement été planté là exprès, bien que le but poursuivi ne soit pas éclairci. Il est probable qu’il ne soit pas constitué d’une seule souche, mais de plusieurs qui se sont amalgamées au fil des siècles.

Sa spécificité essentielle réside dans ses racines aériennes, dont certaines tombent d’une hauteur de 3 mètres. Dès le premier coup d’œil la grosseur extraordinaire de ces racines a de quoi surprendre. Alors qu’il poussait à l’origine sur un rocher instable, l’arbre a de lui-même et comme consciemment tiré parti de toutes les ressources de sa vie végétative pour stabiliser son assise, ce qui lui donne aujourd’hui son aspect d’innombrables serpents entrelacés, qui représentent la vitalité exceptionnelle de ce ginkgo mâle. Cette force sauvage fait de lui l’un des ginkgo les plus extraordinaires du pays, et très certainement le plus impressionnant du Kantô.

La période idéale pour admirer ses feuilles jaunes est de mi-novembre à début décembre. Entièrement jaune, il présente alors un visage incomparable. La seconde moitié de cette période, la pluie de feuilles jaunes qui forment un tapis doré à ses pieds est un spectacle à ne pas manquer.

Le Shôbôji a plusieurs fois été détruit par des incendies dans le passé. Mais chaque fois, le ginkgo a survécu. On dit que les ginkgos font gicler de l’eau en cas d’incendie. Peut-être a-t-il ainsi préservé le pavillon principal du temple ? Comme nous aimerions tous posséder cette même chance et cette même vigueur, n’est-ce pas ?

Le ginkgo de Hôryô (Aomori)

Espèce : ginkgo (ginkgo biloba)
Localisation : 16-2, Aza Ichônoki, Hôryô, Towada-shi, Aomori-ken 034-0303
Circonférence : 13,48 m, hauteur : 31 m (mesurée par l’auteur), âge : 1 100 ans
Patrimoine naturel du Japon
Taille ★★★★★
Vigueur  ★★★
Forme  ★★★
Branchage ★★★
Majesté  ★★★★

Selon la tradition, le temple Zenshôji aurait été fondé ici à la période de Heian, et ce ginkgo aurait été planté pour marqué l’événement. Aujourd’hui, le ginkgo géant se dresse au milieu des forêts et des champs, et il ne reste plus aucun vestige d’un temple. C’est vraisemblablement sur la foi de ce récit que l’âge du ginkgo a été estimé.

En 1926, le ministère de l’Intérieur a listé cinq ginkgos à travers le pays et les a désignés pour la première fois « Patrimoine naturel national ». Le ginkgo de Horyô faisait partie des cinq. Ce qui a valu à son nom de résonner dans l’ensemble du pays. Le fait de se dresser au bord de la route aussi, peut-être.

Le ginkgo de Horyô est placé en 4e position des ginkgos géants japonais pour la grosseur du tronc. En 1990 il a également été classé dans les 100 arbres les plus remarquables du Nouveau classement des plus beaux arbres du Japon. Il ne fait aucun doute en tout cas que c’est l’un des ginkgos emblématiques de la préfecture d’Aomori.

À une hauteur d’environ 7 mètres du sol, il se divise en 6 branches principales. Ses racines aériennes typiques des vieux ginkgos mâles pendent et s’enfoncent dans le sol. Cela ne l’empêche pas d’être vénéré comme « ginkgo donneur de lait » par les femmes qui allaitent, pour demander un lait riche.

Bien que j’en ignore la raison, on peut remarquer que les ginkgos géants ont tendance à prendre leurs feuilles jaunes plus tard que les autres. Le ginkgo de Horyô ne fait pas exception, et ne devient jaune qu’à la mi-novembre, ce qui est très tardif pour la région du Tôhoku. C’est pourquoi, presque chaque année, la moitié de ses feuilles, celles du côté nord, tombent avant même de jaunir. Les premières neiges tombent alors qu’il est encore vert, et parfois, l’hiver vient et se retrouve sans feuille avant qu’elles aient eu l’occasion de jaunir. Les amateurs de photos automnales s’en désolent : « c’est le ginkgo le plus capricieux du Japon ». Mais quand il veut bien jaunir, alors le contraste de l’or sur le vert profond de la forêt de cèdres est à couper le souffle. Voir le paysage de cet arbre en pleine couleur est une expérience inoubliable.

Le typhon n°10 qui a dévasté la région du Tôhoku le 30 août 2016 a brisé plusieurs de ses grosses branches, ainsi que sa branche centrale, la plus haute. Son apparence générale avait grandement perdu de sa superbe et on a parlé un certain temps de le retirer de la liste des patrimoines naturels nationaux. Heureusement, un arboriste a pu vérifier que le corps principal de l’arbre était intact, ce qui a fait taire les rumeurs de perte de son statut. Tout le monde est soulagé. Il lui a néanmoins fallu subir une opération chirurgicale en novembre. Tous nos vœux de prompt rétablissement et nous espérons tous le revoir bientôt dans sa magnificence originelle.

(D’après un article en japonais du 19 novembre 2016. Texte et photos : Takahashi Hiroshi)

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