Introduction au zen

Hakuin Ekaku et l’art zen

Culture

Le bouddhisme zen a exercé une profonde influence sur la culture et la société japonaises. Aujourd’hui, l’« attention juste» du zen (autrement appelée la « pleine conscience») suscite de l’intérêt dans le monde entier. Penchons-nous sur les grands maîtres du temps jadis et examinons en quoi le zen reste pertinent pour les gens de la société contemporaine.

Le zen nous apprend à regarder la réalité en face. Il s’agit d’une philosophie enracinée dans la pratique, et le zazen, la méditation, en constitue le cœur. Le moine Hakuin Ekaku (1686-1769), dont les enseignements sur les bienfaits de la méditation zen pour la santé du corps et de l’esprit ont joué un rôle prépondérant, disait que la méditation recelait le secret de la longévité et de la bonne santé. Dans cet article, nous nous intéressons à la tradition toujours vivante de la méditation zen et à l’inspiration que les arts y ont puisée au cours des siècles.

Imaginez-vous assis en méditation, un morceau de beurre de la taille d’un œuf posé sur la tête. Peu à peu le beurre fond et suinte lentement sur vos épaules. Telle est la méthode nanso, une forme de méditation introspective développée par Hakuin Ekaku, lequel demandait à ses disciples de visualiser le beurre en train de fondre et de dégouliner sur leur corps pendant qu’ils méditaient. Il pensait qu’en pratiquant régulièrement cet exercice, les gens pouvaient acquérir une conscience plus aiguë de leur esprit et de leur corps, et s’approcher de l’illumination. Avec le temps, cette méthode aurait le pouvoir de guérir nos maux physiques et de nous apporter le succès sur tous les chemins que nous choisissons d’emprunter dans notre vie.

Aujourd’hui, la pratique de la méditation de l’« attention juste », qui consiste à se concentrer sur sa respiration et à prendre conscience de son corps, connaît une vague de popularité dans le monde entier. L’efficacité de la méditation zen dans le traitement des maladies a été démontrée, et plusieurs multinationales, convaincues qu’elle peut contribuer à améliorer le rendement de leur personnel, l’ont introduite sur les lieux de travail. Disons-le en vérité, la technique du beurre fondu est à la racine de la fascination actuelle pour l’« attention juste ».

Une visite au temple Daruma

Le Hôrin-ji, un temple de l’école Myôshin-ji du bouddhisme zen Rinzai situé à Kyoto dans l’arrondissement de Kamigyô, porte le surnom affectueux de « temple Daruma ». Le personnage de Daruma est très familier au Japon, où ses poupées rondelettes en papier mâché servent de porte-bonheur et ont leur place dans des milliers de foyers et de locaux professionnels d’un bout à l’autre du pays. Mais avant de devenir un porte-bonheur, Daruma a bel et bien existé : c’était un moine répondant au nom de Bodhidharma, et c’est lui qui a apporté le bouddhisme zen (chan) d’Inde en Chine. Hakuin est connu pour avoir réalisé de nombreux portraits de ce moine.

Sano Yasunori, prêtre du Hôrin-ji, debout devant un portrait géant de Bodhidharma (Daruma) réalisé par Hakuin. (Photo : Koyama Tetsuya)

Par une chaude journée du début de l’automne, alors que je franchis les portes du temple sous un ciel imprégné d’un reste d’humidité de l’été pluvieux, je croise un groupe de femmes entre deux âges marchant dans l’autre sens. « Profitez bien de votre visite », me lancent-elles, « le temple est surprenant ! »

Je comprends effectivement ces paroles en pénétrant dans l’enceinte du temple. Partout où porte mon regard, il rencontre des poupées et des images de toutes tailles de Daruma. Il doit y en avoir des milliers. Sano Yasunori, le prêtre en charge des lieux, interrompt ses occupations pour me parler de l’enseignement de Hakuin, qui reste une source d’inspiration pour des gens du monde entier.

« À notre époque, bien des gens ont perdu le bon équilibre du corps et de l’esprit », m’a dit-il. « Il en résulte des déséquilibres et des tensions. Les gens comptent sur les médecins et les médicaments modernes, mais en fait, les êtres humains ont en eux-mêmes une force naturelle. Le zazen et la méditation peuvent vous aider à mettre votre esprit en ordre. Vous apprendrez à ne pas céder à la colère au moindre prétexte, et à ne pas vous faire du souci pour des raisons futiles. Le maintien de cet état spirituel est le meilleur raccourci vers la réussite dans tout ce que vous entreprenez ou souhaitez faire. »

Une exposition consacrée à l’art zen

Une représentation de Daruma par Hakuin Ekaku, XVIIIe siècle, Manjuji, Ôita.

En 2016, divers événements ont été organisés pour célébrer le 250e anniversaire de la mort de Hakuin. À l’heure où le zen jouit d’un regain de popularité au Japon, nombre de ces cérémonies ont attiré un large public.

À la mi-octobre, une exposition appelée « L’art zen : de l’esprit à la forme » s’est tenue au Musée national de Tokyo, dans le parc de Ueno. Cette exposition marquait non seulement le 250e anniversaire de la mort de Hakuin, mais aussi le 1150e de celle de Linji Yixuan (Rinzai Gigen), le fondateur de l’école Rinzai du zen. Pour la première fois depuis 50 ans, de nombreuses et précieuses œuvres d’art se trouvaient réunies, dont 24 trésors nationaux et 102 objets classés biens culturels importants. Parmi les œuvres exposées figuraient des portraits des maîtres les plus révérés de toute l’histoire du zen, des calligraphies de moines célèbres et des images bouddhistes, dont un grand nombre avaient été prêtés par les temples principaux de l’école Rinzai et de l’école Ôbaku, qui prend son origine dans la même lignée.

Dès le hall d’entrée, les visiteurs étaient accueillis par une impressionnante vision : une toile de deux mètres d’où jaillit le regard de deux grands yeux exorbités. Ce tableau, aussi puissant qu’humoristique, est l’un des célèbres portraits de Daruma réalisés par Hakuin. Sur l’arrière-plan noir d’encre se détache une inscription zen : Jikishi ninshin, kenshô jôbutsu, qui veut dire « Regardez droit dans votre cœur, n’essayez pas de devenir Bouddha, éveillez-vous à la bouddhéité en vous. » Il s’agit là de l’essence même du zen. Hakuin a laissé plus de 10 000 peintures et calligraphies, qui lui servaient à exprimer les enseignements zen d’une façon plus accessible aux gens ordinaires.

Entre toutes les œuvres remarquables présentées à cette exposition, une sculpture de Rahula, le fils de Shakyamuni (Siddharta Gautama, le Bouddha historique) est particulièrement emblématique de cette volonté de rendre plus accessible le message, parfois déconcertant, du zen. La légende veut que Rahula n’ait pas été doté d’une belle apparence, mais sur la sculpture, une ouverture dans la poitrine de Rahula laisse apparaître le visage au doux sourire du Bouddha. L’un des enseignements essentiels de Hakuin était que tous les êtres humains sont fondamentalement des Bouddhas : Shujô honrai hotoke nari, « Tous les êtres possèdent originellement la nature de Bouddha ». La sculpture, dans sa façon même, est une incarnation de cet enseignement.

Rahula, l’un des 18 arhats assis de Fan Daosheng (Han Dosei), 1664, Manpukuji, Kyoto.

En japonais, lorsqu’on parle d’une personne ayant une expression douce et paisible, on dit parfois qu’elle a un visage de Bouddha. Et pourtant, toutes les représentations du Bouddha ne correspondent pas à ce modèle de paix et de tranquillité souriantes. Il en est qui se tiennent debout, le poing brandi, comme si elles s’apprêtaient à se ruer sur le spectateur dans un accès de rage. Parmi les œuvres exposées figurait un portrait de Linji Yixuan, le fondateur du zen rinzai, représenté avec « les yeux en colère et les poings agités ». Ce moine était célèbre pour les sévères réprimandes qu’il infligeait à ses disciples. Il ne semble guère probable que les gens se soient bousculés pour venir s’asseoir calmement dans une salle de méditation et se concentrer sur leur paix intérieure sous la direction d’un tel instructeur.

Portrait de Linji Yixuan attribué à Soga Jasoku avec une inscription de Ikkyû Sôjun, bien culturel important, XVe siècle, Shinjuan, Kyoto.

Le zen et la culture japonaise

Les moines zen n’étaient pas les seuls personnages au regard dérangeant présentés dans l’exposition. Il y avait des dragons dont les yeux semblaient vous suivre tout autour de la pièce et des tigres féroces qui avaient l’air prêts à bondir hors de la toile pour se jeter sur vous. Ces œuvres exprimaient avec puissance la passion et l’énergie propres au zen rinzai, ainsi que sa capacité toujours intacte à bouleverser les gens qui les regardent.

Dragons et tigres (panneau de gauche), par Kano Senraku, bien culturel important, XVIIe siècle, Myôshin-ji, Kyoto.

Dragons et tigres (panneau de gauche), par Kano Senraku, bien culturel important, XVIIe siècle, Myôshin-ji, Kyoto.

Tigres (élément d’une série de panneaux peints destinés à la chambre de l’abbé du Nanzenji), par Kano Tan’yu, bien culturel important, XVIIe siècle, Nanzenji, Kyoto.

Était également exposée une flûte shakuachi ayant appartenu à Ikkyû Sôjun (1394-1481), moine zen et poète excentrique. Les visiteurs avaient la possibilité d’écouter le son de la flûte. Il y avait aussi des trésors nationaux illustrant l’histoire de la cérémonie du thé – qui a pris son essor sous l’influence du zen –, dont plusieurs bols et boîtes à thé d’une valeur inestimable. Ces objets témoignaient avec éclat de la profonde imprégnation du zen dans bien des aspects de la culture japonaise classique.

Trouver la concentration au milieu du mouvement

La richesse et la diversité de la culture zen sont indéniables. À l’occasion de ma visite de l’exposition, j’ai demandé à Hasunuma Yoshinao, le directeur du Conseil mixte pour le zen Rinzai et Ôbaku, quelle était la meilleure façon d’aborder le zen dans la société contemporaine. Il m’a répondu sans détours : « Il faut tout simplement pratiquer le zazen, et tendre vers l’illumination dans votre vie quotidienne. » Ce grand personnage du zen japonais est un homme d’une présence imposante, presque intimidante, doté d’un regard perçant. Mais dès qu’il commence à parler, son visage prend une expression plus douce, plus avenante.

« Il s’agit tout simplement de s’asseoir, de ne pas être dispersé. Cela conduit à l’état de mushin [le non-esprit] et de shôjôshin [l’esprit pur]. Imaginez que vous versez de l’eau boueuse dans un verre. Au début elle est trouble et opaque, mais si vous la laissez reposer un certain temps, elle s’éclaircit peu à peu, jusqu’à devenir transparente, et vous pouvez alors voir au travers. « Mais ne tentez pas de jeter la boue. Tout le monde a un peu de boue dans sa vie. »

Pour bien des gens de notre époque, qui ont une vie affairée, il est toutefois très difficile de consacrer de longs moments à l’assise en zazen. Le révérend Hasunuma, qui semble lire mes pensées, poursuit : « Mais vous n’avez même pas nécessairement besoin de vous asseoir pour pratiquer le zen. Vous pouvez le faire dans le train, ou en marchant. Il suffit de marcher le cœur en paix, sans se soucier de tout ce qui se passe autour de vous. C’est dôchû no kufû, la concentration au sein de l’activité. Il n’est pas nécessaire de toujours rechercher la pleine conscience dans la tranquillité, on peut aussi la chercher dans le mouvement et l’activité. Hakuin disait même que cette concentration en mouvement peut être cent fois, mille fois, dix mille fois supérieure à la concentration dans l’immobilité. »

Le zen a un long avenir devant lui

Inspiré par les paroles du révérend Hasunuma, je me concentre sur la sensation des pavés mouillés sous mes pieds tandis que je m’éloigne du musée. Une douceur, née de la pluie récemment tombée, s’attarde dans l’air. La verdure des arbres du parc resplendit de fraîcheur.

Le zen semble parfois d’une simplicité aveuglante et en même temps d’une complexité déconcertante. Peut-être sont-ce cette profondeur et cette complexité qui lui ont permis de préserver l’impact qu’il a toujours sur tant de peuples et de cultures.

Les premières paroles prononcées par le révérend Hasunuma à l’exposition me reviennent à l’esprit : « La plupart des gens sont comme des bateaux dans le brouillard. Le zen transcende le temps et le lieu, et il continuera de répandre sa lumière dans la vie des hommes jusque dans un avenir lointain. »

(D’après un texte original en japonais de Koyama Tetsuya. Photo de titre : Nippon.com – Dix moines cherchent l’illumination à travers la concentration dans le mouvement et l’activité. « Dix grands disciples debout », Temple Rokuô-in, Kyoto. Autres photos avec l’aimable autorisation du Musée national de Tokyo, sauf indication contraire.)

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