Les différents courants de l'animation japonaise

Hosoda Mamoru, l’héritier de la tradition de l’anime japonais

Culture

L’avenir de l’anime japonais semble avoir encore de beaux jours devant lui, avec le retour de Miyazaki Hayao, le chef d'œuvre Your Name de Shinkai Makoto, et... Hosoda Mamoru, un réalisateur extrêmement talentueux dont nous vous invitons à faire la connaissance dans cet article.

La fin d’une époque

En 1997, Miyazaki Hayao et son équipe ont eu un succès foudroyant grâce à Princesse Mononoke, un film d’animation qui a battu tous les records du box office japonais avec 19,3 milliards de yens (environ 157 millions d’euros) de recettes. Ils ont ensuite réalisé une série ininterrompue de longs-métrages qui ont tous rapporté au moins 10 milliards de yens (environ 81,5 millions d’euros) et dominé l’industrie du cinéma en termes de profit. Mais cette époque bénie a pris fin en juillet 2013, peu après la sortie au Japon du Vent se lève. En effet, Miyazaki Hayao a déclaré qu’il allait cesser ses activités de réalisateur de longs-métrages(*1). De son côté, le studio Ghibli a laissé entendre qu’il arrêterait de produire des films en 2014, après la sortie sur les écrans de Souvenirs de Marnie de Yonebayashi Hiromasa.

Cela fait plus de dix ans que l’industrie du film d’animation s’est ralliée à l’infographie tridimensionnelle (3D) un peu partout dans le monde, à la suite des studios Disney et Pixar. Mais au Japon, le studio Ghibli est resté fidèle à l’animation bidimensionnelle (2D) traditionnelle basée sur un travail au crayon et au papier dont l’origine remonte au Serpent blanc, le premier long-métrage d’animation produit en 1958 par Tôei Dôga (devenu par la suite Tôei Animation). Il a utilisé un système hybride fondé sur des images en 2D complétées par un recours à la 3D assistée par ordinateur.

Quel va être l’impact sur l’anime de la décision du studio Ghibli d’arrêter la production de longs-métrages d’animation? Est-ce le début de la fin d’une époque ou l’aube d’une nouvelle ère ? La réponse pourrait résider dans deux films très récents qui ont eu un énorme succès et sont l’œuvre de deux réalisateurs particulièrement prometteurs, Hosoda Mamoru et Shinkai Makoto.

Des succès aussi énormes que ceux du studio Ghibli

Le réalisateur Hosoda Mamoru au cours d’un débat organisé dans le cadre de la section « Le monde de Hosoda Mamoru », à l’occasion du 29e Festival international du cinéma de Tokyo (TIFF), en octobre 2016. © 2016 TIFF

Le film de Hosoda Mamoru, Le Garçon et la Bête, est sorti sur les écrans de l’Archipel le 11 juillet 2015. Il a rapporté 58,5 milliards de yens (environ 473,6 millions d’euros) et attiré au total 4,59 millions de spectateurs. Des résultats comparables à ceux du studio Ghibli. Le 29e Festival international du cinéma de Tokyo (TIFF), qui s’est tenu du 25 octobre au 3 novembre 2016, a consacré une de ses sections au « monde de Hosoda Mamoru » où plusieurs de ses œuvres ont été projetées. En fait, ce réalisateur japonais est en train de devenir célèbre dans le monde entier.

Your name., le dernier long-métrage de Shinkai Makoto, est un véritable « phénomène social » en passe de battre de nombreux records du box office. Depuis le 26 août 2016, date de sa sortie sur les écrans, ce film a engrangé les plus fortes recettes durant neuf semaines consécutives. Il a d’ores et déjà fait mieux que Ponyo sur la falaise, le neuvième film de Miyazaki Hayao, sorti en 2008. À la date du 24 octobre 2016, Your name., a accédé au cinquième rang des films d’animation ayant eu le plus de succès, avec des recettes de 16,4 milliards de yens (environ 133,6 millions d’euros). Dans l’histoire du box office japonais, seuls dix anime – y compris La Reine des neiges, un film en 3D des studios Disney sorti au Japon en 2014 – ont rapporté plus de 10 milliards de yens (environ 81,5 millions d’euros). Le succès remporté par le long-métrage de Shinkai Makoto est vraiment phénoménal.

Hosoda Mamoru et Shinkai Makoto risquent d’avoir une influence considérable sur l’évolution du cinéma d’animation japonais dans l’avenir. Nous allons donc examiner de plus près la carrière et le monde imaginaire de chacun d’entre eux en commençant par Hosoda Mamoru. Shinkai Makoto fait l’objet du second article de ce dossier intitulé « Shinkai Makoto : une conception de l’anime tout à fait originale ».

(*1) ^ En novembre 2016, Miyazaki a annoncé qu’il sortait de sa retraite pour réaliser un long-métrage en déclarant « je préfère mourir en travaillant ».

Une passion précoce pour l’anime

Hosoda Mamoru est né le 11 septembre 1967. À l’âge de 12 ans, il aurait écrit « je veux devenir réalisateur d’anime » dans sa rédaction de fin d’études primaires. À l’époque – c’est-à-dire en 1979 –, Miyazaki Hayao venait tout juste de sortir Le Château de Cagliostro, son premier long-métrage en tant que réalisateur. Le jeune Mamoru a appris comment les films d’animation sont réalisés à partir de dessins en lisant le livret vendu dans la salle de cinéma.

Après avoir étudié la peinture à l’huile à l’École des beaux-arts de Kanazawa, Hosoda Mamoru a passé un concours pour entrer au studio Ghibli. Sa candidature n’a pas été retenue mais il a reçu une lettre d’encouragement de Miyazaki Hayao en personne. Voici en quoi elle consistait d’après un entretien accordé par Hosoda Mamoru à la revue Freeestyle (numéro 7). « J’ai pensé que si nous t’engagions maintenant, ce serait au détriment de ton talent. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas le faire. » Quand on considère ces paroles avec le recul du temps, on se dit qu’elles étaient vraiment pleines de sens.

En 1991, Hosoda Mamoru a commencé à travailler pour les studios Tôei Animation où il a d’abord exercé le métier d’animateur. En 1995 – il avait alors 28 ans –, il a réussi un examen interne qui lui a permis de réaliser son vœu le plus cher : accéder au département de la production. Hosoda Mamoru a travaillé sur des épisodes de séries télévisées et il s’est fait tout de suite remarquer à cause de son style très personnel. En 1999, il a fait ses débuts en tant que réalisateur de film pour le grand écran avec un court métrage de 20 minutes, Digimon Adventure, qui a été projeté au cours de la Fête de l’anime célébrée au printemps par Tôei Animation. En l’an 2000, il a réalisé une suite de 40 minutes intitulée Digimon adventure – bokura no war game !. Le graphisme très moderne du film et son sujet en phase avec l’ère du numérique et d’Internet lui ont valu les éloges unanimes de la critique.

Peu après, Hosoda Mamoru a travaillé temporairement pour le studio Ghibli au Château ambulant. Mais ce projet, qui différait sensiblement de la version réalisée par Miyazaki Hayao en 2004, a fini par être abandonné pour diverses raisons. Quand Hosoda Mamoru est retourné chez Tôei Animation en 2003, l’artiste plasticien Murakami Takashi lui a demandé de réaliser un court métrage de promotion des produits Louis Vuitton auquel il a donné le nom de Superflat Monogram. Murakami Takashi était un fervent admirateur de Hosoda Mamoru depuis son second film de la série Digimon, et l’un des premiers à avoir repéré son immense talent.

Tôei Animation est une sorte de « fabrique d’anime » qui produit essentiellement des œuvres répondant aux désirs de ses clients et de son public, constitué avant tout par des enfants. Mais dans le même temps, les producteurs sont partagés parce qu’ils sont convaincus que pour qu’un film réussisse sur le plan commercial, il faut qu’il porte la marque d’un créateur. C’est pourquoi ils se sont intéressés de très près au travail de Hosoda Mamoru, dont la créativité est tout à fait remarquable.

Les ressorts du cinéma d’animation grand public

Hosoda Mamoru a véritablement commencé à voler de ses propres ailes en tant qu’artiste une fois qu’il a eu quitté Tôei Animation et acquis son indépendance. En 2006, il a réalisé Toki o kakeru shôjo (La Traversée du temps), produit par le studio Madhouse. Hosoda Mamoru s’est inspiré d’un roman de science-fiction pour la jeunesse de la fin des années 1960 de Tsutsui Yasutaka, en le remettant au goût du jour (*3). Pour lui en effet, il est inconcevable qu’une lycéenne du 21e siècle qui a la possibilité de voyager dans le temps se sente gênée comme dans le roman de Tsutsui Yasutaka. Elle doit au contraire profiter pleinement de son pouvoir. C’est pourquoi Makoto, l’héroïne du film, fait preuve de beaucoup d’audace, d’optimisme et de courage. Et elle agit sans hésiter. La passion et l’énergie propres à la jeunesse qui l’animent ont conquis le cœur des spectateurs. Pour eux, Makoto est l’incarnation de la pureté et de la droiture.

L’adaptation de Hosoda Mamoru pour le cinéma d’animation de La Traversée du temps (2006) a donné une nouvelle vie au best seller pour la jeunesse de Tsutsui Yasutaka, une œuvre qui a par ailleurs été plusieurs fois portée à l’écran. © 2006 The Girl Who Leapt Through Time Film Partners

La Traversée du temps de Hosoda Mamoru avait déjà une grande partie des qualités qui ont fait le succès de Your name. Notamment la pureté et le courage dont témoigne l'héroïne Makoto quand elle voyage à travers le temps et l’espace et qu’elle se bat pour protéger celui qu’elle aime. Mais ces qualités incluent aussi les bases que Hosoda Mamoru a acquises pendant qu’il travaillait pour Tôei Animation. Avant d’être réalisateur, il a commencé par faire des croquis et des dessins et ceci lui a permis de développer un regard unique en tant qu’illustrateur. Hosoda Mamoru s’est toujours intéressé aux moindres détails de l’animation. De ce point de vue, il est très proche de Miyazaki Hayao dont tous les films reposent sur les principes fondamentaux de l’animation en tant qu’art. Au début de sa carrière, il a participé à la réalisation de nombreux longs-métrages en tant qu’animateur et de ce fait, il a été grandement influencé par des maîtres de l’anime de la génération de Miyazaki Hayao, qui ont eu 20 ans au moment de l’âge d’or de Tôei, autrement dit dans les années 1960.

Une autre raison du succès de Hosoda Mamoru, c’est l’expérience qu’il a acquise pendant les années qu’il a passées chez Tôei Animation. Ces studios se consacrent essentiellement à la production d’œuvres grand public, qu’il s’agisse de films de samurai (chanbara) et de mafieux (yakuza) pour adultes, ou d’histoires de super héros et de sorcières destinées aux enfants. Depuis La Traversée du temps, Hosoda Mamoru réalise un nouveau long-métrage tous les trois ans. Summer Wars en 2009, Les Enfants loups, Ame et Yuki en 2012, et Le Garçon et la Bête en 2015. Dans ces trois anime, il insiste fortement sur l’importance des liens familiaux et de l’amitié et il met chaque fois en scène un personnage qui fait preuve d’un grand courage face à l’adversité. On peut donc dire qu’il reprend les principes fondamentaux des films grand public qui ont pour mission de faire oublier leurs soucis aux spectateurs en leur montrant sans détours des héros qui s’épanouissent pleinement. De ce point de vue, on peut dire aussi que le travail de Hosoda Mamoru doit beaucoup à ce qu’il a appris du temps où il travaillait chez Tôei Animation.

Summer Wars ©2009 Summerwars Film Partners

Les Enfants loups, Ame et Yuki ©2012, Wolf Children Film Production Partners

Le parcours de Hosoda Mamoru et celui de Miyazaki Hayao ont quantité de points en commun. Les deux hommes ont commencé l’un comme l’autre par travailler pour Tôei Animation, la maison-mère de l’animation japonaise, avant de suivre leur propre chemin et de voler de leurs propres ailes. Ils ont dessiné avant de participer à la production et ce n’est qu’ensuite qu’ils sont devenus réalisateurs et qu’ils ont pu exercer un contrôle sur leurs œuvres. En fait, ils ont pratiquement suivi la même trajectoire. Hosoda Mamoru est l’héritier d’une grande partie de la tradition  de l’animation japonaise, même s’il témoigne d’une indéniable volonté de s’orienter vers un « nouveau cinéma ».

(D’après un article en japonais du 28 octobre 2016. Bannière : une scène tirée du film d’animation Le Garçon et la Bête, réalisé par Hosoda Mamoru. ©2015 The Boy and the Beast Film Partners)

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