Les différents courants de l'animation japonaise

Yamamura Kôji, le maître japonais du court métrage d’animation

Culture

Yamamura Kôji s’est fait un nom dans l’animation mondiale avec son chef d’œuvre Atamayama en 2002. Il nous explique l’intérêt et les multiples possibilités expressives des courts métrages, et ce qui les différencie totalement des longs métrages.

Yamamura Kôji YAMAMURA Kōji

Né en 1964. Diplômé de l'Université Zôkei de Tokyo. Il commence à se faire connaître dans les années 1990 avec de nombreux courts métrages pour les enfants et l’utilisation de multiples techniques d’animation, comme Paxi, Caro et Piyobuto, Le Livre de Babel… En 2002, avec Atamayama, il rafle 6 Grands Prix dans 6 compétitions internationales de cinéma d’animation, dont Annecy et Zagreb, et est nominé pour les oscars américains dans la catégorie Court métrage d’animation. Il réitère avec Kafka, médecin de campagne en 2007, devenant le premier auteur à gagner les 4 principales récompenses mondiales : Annecy, Zagreb, Hiroshima et Ottawa. En 2013, il ouvre « Au Praxinoscope », une galerie et boutique à Tokyo (arrondissement de Setagaya), et enseigne à l’Université des Arts de Tokyo, pour se concentrer sur la formation d’une nouvelle génération de jeunes artistes.

Neuf courts métrages de Yamamura Kôji, parmi lesquels Parade de Satie et Notes on Monstropedia, sont sortis en salle le 5 août 2017.

Un homme trouve des cerises par terre, les ramasse puis les mange. Il est tellement avare qu’il avale même les noyaux. Peu à peu, un arbre lui pousse sur la tête. Il le coupe mais il repousse à chaque fois. Au printemps, l’arbre est devenu un beau cerisier en fleurs. Une foule de gens viennent alors pique-niquer sur la tête de l’homme auprès du bel arbre. Importuné par cet attroupement qui se permet de faire des choses sur sa tête, l’homme arrache l’arbre, laissant un trou béant sur son crâne, qui se remplit d’eau de pluie à la première averse. À la fin, l’homme fait l’ascension de son propre crâne pour voir, tombe dans l’étang et se noie.

C’est avec ce court métrage surréaliste de 10 minutes adaptée d’une histoire du rakugo que Yamamura Kôji est devenu le premier artiste japonais à remporter le Grand Prix du festival d’Annecy en 2002. Il continue depuis lors à présenter de nouvelles œuvres d’une variété infinie dans le monde entier. En août 2017 sont programmés 9 titres, dont certains entièrement nouveaux, sous le titre « Yamamura Kôji – Migime to hidarime de miru yume (Un rêve à voir avec l’œil droit et l’œil gauche) ».

Le court métrage : le laboratoire du créateur

2017 marque le centenaire de l’apparition du cinéma d’animation au Japon. De nos jours, l’animation japonaise jouit d’une popularité mondiale, avec des auteurs de longs métrages comme Miyazaki Hayao. « L’anime » est même devenu un genre à part, apprécié dans le monde entier. Les courts métrages, en ce qui les concerne, appartiennent à une toute autre catégorie. Yamamura lui-même se déclare l’héritier de l’esprit expérimental des origines du dessin animé, il y a 100 ans.

« Le court métrage est un peu le laboratoire du créateur. Il peut utiliser toutes sortes de matières et de techniques, l’aquarelle, le pastel, l’encre, l’argile, le verre, le sable, etc. pour se surprendre, créer des images en faisant bouger les matières les plus étonnantes. Ainsi, un seul auteur peut réaliser quelque chose de totalement différent dans chacun de ses films en variant les matériaux. C’est cela qui est passionnant dans le court métrage d’animation. »

Yamamura Kôji : « L’animation stimule l’imagination du spectateur, c’est ça qui est passionnant. »

La voie royale pour un auteur de films d’animation

Encore écolier du primaire, Yamamura se demandait comment les images des dessins animés qu’il regardait à la télé pouvaient bouger. Il avait alors commencé à étudier le processus.

« Quand j’ai découvert que le principe de l’animation consistait à faire se succéder une multitude d’images fixes et créer ainsi l’illusion du mouvement, j’ai commencé à faire des expériences, même au collège puis au lycée, apprenant de mes erreurs, en fabriquant des films en super-8, image par image.  L’émotion que j’ai ressentie la première fois que j’ai enfin visionné le film, quand j’ai vu bouger ce qui jusque-là n’était que des images fixes, je ne l’oublierai jamais. Et c’est encore cet émerveillement qui me sert d’énergie pour créer mes courts métrages aujourd’hui. »

À l’Université Zôkei de Tokyo, il a essentiellement étudié la peinture figurative à l’huile. Cependant, il a pris conscience à ce moment-là de ce qui l’intéressait réellement.

« Plus j’étudiais la peinture, plus c’était le processus par lequel l’image se transforme que je trouvais intéressant. Et pour exprimer la colère, la joie, la peur, ou le désir, une seule image ne suffit pas. J’ai compris que l’animation était le moyen d’expression qui correspond le mieux. »

Il est à cette époque fortement influencé par les courts métrages produits au Canada ou en Russie, en particulier par l’œuvre de Yuri Norstein. Il se fixe alors une ambition artistique rigoureuse : « J’aimerais réaliser des dessins animés qui plaisent aux adultes, dans le même esprit qu’une peinture. »

Une motivation supplémentaire lui viendra également de sa visite au premier festival d’Hiroshima en 1985.

« J’y ai vu une rétrospective Ishu Patel, le réalisateur indien qui vit au Canada. Bien que chacune de ses œuvres porte sur un thème différent, avec une technique d’animation différente, la cohérence de l’esthétique sous-jacente m’a fortement impressionné. »

Pour son travail de fin d’études, Yamamura a réalisé un court métrage en pâte à modeler intitulé Aquatic. À la sortie de l’école, il travaille pendant deux ans pour une boîte de production artistique, puis devient indépendant.

Différents types de brosses et pinceaux que Yamamura utilisent dans son atelier à Setagaya (Tokyo).

Il dessine directement sur le papier, à l’encre ou encre de Chine.

L’Eau des Rêves en cours de production.

Une image originale de l’Eau des Rêves. Le film présente l’évolution du vivant.

Atamayama : 6 ans de production pour un film de 10 minutes

« Je voulais faire des dessins animés que l’on puisse apprécier avec une imagination d’adulte, mais je recevais surtout des commandes pour des films à destination des jeunes. Ce n’était pas exactement la direction dans laquelle je souhaitais aller. Néanmoins, je me suis aperçu que ce qui charment les enfants dans un dessin animé, ou ce qui leur fait peur, ce n’est pas tant l’histoire que les mouvements des personnages ou l’atmosphère à l’écran. Dans ce sens, faire ressortir cette part d’angoisse ou de curiosité qui existe cachée au fond de l’être humain, c’est justement le travail que je cherchais à réaliser à travers la création de films d’animation, même s’il s’agit d’un film pour enfant. »

Le Livre de Babel (1996) est l’un de ces films expérimentaux pour enfants. Dans ce film de cinq minutes, ce n’est pas un univers mignon qui est mis en avant, mais plutôt un monde effrayant. Pourtant, il s’estime peu satisfait par ce travail, essentiellement car la production s’est faite en un mois seulement. C’est l’année suivante qu’il s’est attelé à Atamayama. Et même s’il a répondu à d’autres commandes dans l’intervalle, celui-ci lui a demandé six ans de travail.

Bien que les illustrations originales de Atamayama soient dessinées au crayon, feutre de couleur et stylo bille, plusieurs effets subtils ont été appliqués pour affiner l’expression. Par exemple, du liquide mousseux pour laver les vitres entre aussi parmi les moyens utilisés.

« J’ai digitalisé le mouvement de la mousse pendant que je l’écrasais, pour rendre l’effet d’un vieux film. »

Ce même effet a été réutilisé dans Kafka, médecin de campagne (2007), le plus long film de sa filmographie (21 minutes). Le souvenir lui tire un sourire amer. « Mais j’y suis allé tellement fort que j’ai bousillé un scanner ! »

Atamayama (Mont Tête)

Possibilités et limites des effets numériques

Dans le monde de l’animation, les effets numériques sont en plein progrès et l’animation 3D est à son heure de gloire.

« Je pense que le film digital et celui de l’animation s’accordent bien. L’un des épisodes fondamentaux de l’histoire de l’animation est 1914, date de l’invention du celluloïd. Mais le cell, par ses contraintes techniques, a aussi limité l’esthétique du dessin animé. Impossible de faire une ombre sans peinture acrylique, par exemple. Mais avec l’apparition du digital, n’importe quel support, n’importe quel type de matière colorée, n’importe quel style de dessin, est devenu utilisable en toute liberté. Le digital nous a fait retrouver l’essence de l’animation.

La technique de base de Yamamura Kôji consiste à dessiner sur papier, et de scanner l’image pour la digitaliser. Récemment, dans ses derniers films, il tend à utiliser l’animation en 2D.

« Au niveau mondial, le dessin numérique devient la norme. Or, comme par hasard, tous les films produits avec les mêmes applications à la mode finissent vite par se ressembler. Il est capital de mêler les techniques digitales et les techniques traditionnelles pour trouver une originalité. Si l’on se contente d’un outil digital pour la simple raison qu’il est pratique, cela revient à restreindre le champ des possibles que cette technologie était censée avoir élargi. »

Au sous-sol de l'atelier de Yamamura Kôji, la galerie boutique « Au Praxinoscope », du nom d’un jouet visuel inventé en 1879. La galerie organise parfois des expositions sur l’animation ou des projections de films.

L’animation est un rêve que l’on fait les yeux ouverts

Le court métrage Parade de Satie (2016), film de 14 minutes et 12 secondes, est l’un des 9 titres publiés dans cette anthologie des œuvres de Yamamura Kôji. Il s’agit d’un film sur le compositeur Érik Satie pour le 150e anniversaire de sa naissance, à partir de sa musique de ballet intitulée Parade. Le film a déjà été projeté dans de nombreux festivals internationaux dans le monde entier.

« Je n’ai pas vraiment fait ce film pour commémorer son anniversaire. En fait, je souhaitais le réaliser depuis déjà une dizaine d’années. C’est une œuvre inspirée de la musique, en particulier de l’orchestration et de l’interprétation de Parade par le musicien de free jazz néerlandais Willem Breuker. »

Érik Satie en chapeau melon et binocle, dans le dessin animé Parade de Satie.

Parade, ballet sur une musique d’Érik Satie pour les Ballets russes de Serge Diaghilev, sur un argument de Jean Cocteau, avec des décors de Pablo Picasso, date de 1917. Devant le chapiteau d’un cirque, les artistes performent leurs tours pendant que les managers interpellent les clients pour les inviter à voir le spectacle. L’œuvre déploie un sens du renouveau artistique par les trois plus grands créateurs avant-gardistes de leur temps. Le caractère absolument révolutionnaire de cette œuvre est reproduit à son tour par l’adaptation animée de Yamamura Kôji et une nouvelle orchestration de Willem Breuker. Satie, Cocteau, et Picasso apparaissent aussi dans l’animation.

Bande-annonce de Parade de Satie

« Dans un court métrage, l’image et la musique sont dans un rapport d’égalité. Il y a des gens qui n’écoutent jamais de Satie, ou jamais de musique contemporaine. On peut penser que pour ces gens-là, mon dessin animé est difficile à comprendre. Mais si, lors d’une occasion quelconque, cette musique leur parvient aux oreilles, et qu’ils regardent ensuite le film, je crois qu’ils seront à nouveau surpris. Si cela pouvait motiver ne serait-ce qu’un seul d’entre eux à vouloir écouter plus de Satie ou du Breuker, je serai très heureux. »

L’eau des rêves, chapitre 1 : Protérozoïque

Dans L’eau des rêves aussi, la musique joue un rôle important. Ce court métrage entièrement dessiné à l’encre de Chine, est composé de 4 chapitres qui retracent l’évolution de la vie dans la mer, jusqu’à la baleine. La première partie, d’une durée de 4 minutes 15, se nomme « chapitre 1 : Protérozoïque ». Le film entier sera fini à l’automne, sans doute. Yamamura Kôji a demandé à la pianiste française Catherine Verhelst de composer la musique, mais seulement après avoir vu chaque chapitre terminé.

Il y a aussi Notes on Monstropedia, un film de 6 minutes 10 dans lequel apparaissent toutes sortes de monstres plus ou moins loufoques, et Kojiki, épisode Hyûga, un film de 12 minutes 6 secondes dont Yamamura Kôji aimerait faire une suite. L’univers de ce créateur présente une grande variété de facettes.

Monstropédia est un répertoire de monstres imaginaires présenté par un savant imaginaire du Moyen-Âge. Un album illustré est également sorti en juillet (éd. Kawade Shobô shinsha)

Kojiki, épisode Hyûga

Yamamura Kôji lui-même a intitulé cette anthologie Migime to hidarime de miru yume (Un rêve à voir avec l’œil droit et l’œil gauche).

« Le titre fait référence à la musique de Satie Choses vues à droite et à gauche (sans lunettes). L’animation est un rêve que l’on fait les yeux ouverts. Un rêve qui fait travailler votre cerveau droit et votre cerveau gauche à plein régime. Mais Satie a ajouté une petite pointe sarcastique avec « sans lunettes ». On regarde à droite, on regarde à gauche, on croit reconnaître des choses comme si c’était évident, mais en réalité, on n’a rien vu… Pour moi, il n’y a pas cette ironie, je souhaite simplement que l’on puisse prendre du plaisir à regarder mes films sans arrière-pensée.

Bande-annonce de Notes on Monstropedia

(D’après un article en japonais de Itakura Kimie, Nippon.com, paru le 3 août 2017. Photos : Ôkubo Keizô)

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