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Le défi des couteaux japonais Tôjirô

Culture Gastronomie

Tsubame, située dans la préfecture de Niigata, est certes une petite ville de 80 000 habitants, mais elle produit des fleurons de métallurgie nippone. Aujourd'hui, Tsubame s'est associée à la ville voisine de Sanjô pour produire la marque de produits Tsubame-Sanjô, profitant des techniques et des compétences avancées de la région. Nous avons rencontré le fabricant de couteaux Tôjirô et nous nous sommes rendus au Musée de matériels industriels de Tsubame pour comprendre comment l'industrie de la métallurgie locale s'est développée.

Quand la tradition rencontre les dernières technologies

La ville de Tsubame prospère depuis le milieu de l’époque d’Edo (1603-1868) grâce à son industrie métallurgique, fabriquant des clous à la japonaise, des pipes à tabac et des cuivres Tsuiki. Elle abrite aujourd'hui un grand nombre d'entreprises métallurgiques et est particulièrement connue pour sa production de vaisselle en métal, représentant plus de 90 % de la production de l’Archipel. Kobayashi Kengyô, qui a poli les coques pour l'iPod de première génération d'Apple en 2001, est également installé ici, à Tsubame. La ville est connue aux quatre coins de la planète comme la région ayant la meilleure technologie de polissage de métal au monde.

La coutellerie Tsubame utilisée lors du dîner officiel commémorant le 90e anniversaire de la Fondation Nobel en 1991, exposée au Musée de matériels industriels de Tsubame.

Tôjirô, fabricant de couteaux qui allie l'artisanat traditionnel et la technologie métallurgique innovante au plus haut niveau, est une société qui représente véritablement Tsubame. Elle possède la technologie nécessaire à la fabrication des uchi-hamono, couteaux forgés traditionnels et des nuki-hamono, plus récents, des couteaux à découper en acier inoxydable. Ogawa Masato, responsable de la galerie Tôjirô Knife, nous explique les atouts de l'entreprise.

« Avec le nuki-hamono, les lames sont découpées dans des tôles avec des matrices, ce qui permet une qualité stable et une production efficace. Chez Tôjirô, les artisans qui forgent nos couteaux traditionnels japonais vérifient le processus de fabrication et de finition, en mettant à profit leurs compétences et y ajoutant leur petite touche. Cela donne une excellente netteté, même avec le nuki-hamono », explique-t-il.

En haut à gauche : la vue extérieure de la galerie de couteaux Tôjirô. En haut à droite : Ogawa Masato, chef de la galerie, donne des explications sur les lames exposées. En bas : une exposition de couteaux dans la galerie ; leurs prix se situent entre 3 000 yens et 160 000 yens. Les couteaux les plus vendus sont ceux à environ 8 000 yens.

Une qualité née des sabres japonais

Tôjirô est présent dans 50 pays à travers le monde et expédie ses produits dans 90 pays. Ses couteaux pour l’usage professionnel sont particulièrement appréciés, mais l'entreprise propose également une large gamme de produits à usage domestique. Tôjirô fabrique actuellement 1 200 produits, un chiffre qui atteint environ 3 000 si on compte les couteaux fabriqués pour d’autres entreprises. Le niveau de compétence technique de Tôjirô est tel que même certains des plus célèbres couteliers européens lui confient la fabrication de leurs modèles haut de gamme. En tant que fabricant, la société produit de nombreux couteaux de boucher et d'autres couteaux de style occidental, mais Töjirô accorde également le plus grand soin à la qualité de coupe de ses couteaux japonais, qu'elle fabrique encore avec une méthode qui lui a été transmise des méthodes de productions des sabres nippons.

Tôjirô se distingue particulièrement dans le forgeage de l'acier de Damas, une technique sophistiquée faisant apparaître des ondulations élégantes, nécessitant un forgeage répété de l'acier inoxydable avec deux différents niveaux de dureté. Ces produits haut de gamme ont une finition laquée sur le manche et sur l’étui.

« Avant l’époque d’Edo, les Japonais étaient de petite taille et n’avaient pas beaucoup de force physique. C’est pourquoi, les sabres japonais devaient avoir une qualité de coupe exceptionnelle », explique Ogawa Masato. « En revanche, les épées utilisées par les occidentaux, eux de taille plus importante, mettaient l’accent sur la solidité, de sorte qu'elles ne se cassent pas même lorsqu'elles frappent une armure. Cette différence apparaît dans les couteaux japonais et occidentaux. Et dans le monde, certaines personnes ont besoin de la qualité de coupe des couteaux japonais plutôt que de solidité. Pour livrer les produits qui répondent à ces attentes, nous voulons allier la plus haute technologie à un système de production stable pour apporter notre contribution à la culture alimentaire dans le monde entier. »

En haut : les lames forgées traditionnelles de Tôjirô. En bas à gauche : des plaques en acier inoxydable à partir desquelles des formes de couteaux ont été empilées dans un coin de l'usine. En bas à droite : les lames en acier inoxydable à usage professionnel, un pilier de la gamme des produits de l’entreprise.

Une industrie initialement développée pour la survie

Comment l'industrie de la métallurgie de Tsubame a-t-elle connu un développement aussi exceptionnel, alliant l'artisanat traditionnel à la technologie des machines la plus récente ? Pour le comprendre, Saitô Yûsuke, le conservateur en chef du Musée de matériels industriels de Tsubame nous explique ce qu’il faut tout d'abord faire : « vous devez comprendre la géographie de la région. »

En haut à gauche : le Musée de matériels industriels de Tsubame. En haut à droite : le conservateur en chef Saitô Yûsuke explique l'histoire de la métallurgie dans la région. En bas : une salle d'exposition dans le nouveau bâtiment du musée.

L'industrie prend ses racines dans la géographie de la région, explique Saitô Yûsuke. « La Shinano qui traverse la plaine de Niigata est le plus long fleuve du Japon. Son cours descend une pente jusqu'à Tsubame, où il se stabilise soudainement. Tsubame est entourée par la Shinano et ses affluents, et c’est à cause de cela qu’elle a été frappée par des inondations presque chaque année jusqu'à ce que le canal de dérivation de Ôkôzu soit construit en 1922. Cela rendait la riziculture difficile et les fermiers, acculés, n'avaient d'autre choix que de prendre le travail des métaux comme activité secondaire pour survivre. Une fois que vous savez cela, il est beaucoup plus facile de comprendre les caractéristiques de Tsubame. »

À Tsubame, les premiers clous japonais ont été fabriqués dans la première moitié du XVIIe siècle. Au début du XVIIIe siècle, on commença à y produire des râpes et des limes, et plus tard, au même siècle, des pipes en métal et des objets en cuivre Tsuiki. L'industrie des clous japonais ayant connu un déclin avec le début des importations de clous de style occidental à l'ère Meiji (1868-1912), ces artisans ont été absorbés dans d'autres industries. Suite à la déclaration de la Première Guerre mondiale, la Russie demanda à Tsubame de fabriquer de l'argenterie, l'Allemagne, qui avait produit la plus grande partie de la vaisselle utilisée en Russie jusque-là, étant devenu un pays ennemi. Les formes de base pour les cuillères et autres ustensiles ont d'abord été créées par des artisans de cuivre de Tsuiki. Les artisans qui produisaient les pipes ont ensuite mis en application leurs techniques de ciselure, prenant en charge les pièces ornementales et fabriquant des matrices pour la production de masse. C’est comme cela que la fabrication de la vaisselle de style occidental a vu le jour, a prospéré et a permis l'expansion de la technologie de traitement de l'acier inoxydable de la région.

« Les techniques de polissage utilisées pour la fabrication des pipes ont été appliquées aux cuillères, plus tard aux iPods, et plus récemment au silencieux pour Nissan GT-R », explique Saitô Yûsuke. « Quand une industrie décline en raison de l'évolution des époques, c’est souvent la région entière qui en pâtit. Mais si Tsubame a continué à utiliser ses technologies d’antan, elle n'a pas trop insisté sur la tradition. Au contraire, elle s'est habilement adaptée aux défis des nouvelles industries. Je pense que cela est dû au fait que notre industrie métallurgique a commencé comme un moyen de survie. »

Exposition de pipes au Musée de matériels industriels de Tsubame. Les artisans de la région maîtrisaient des techniques allant de la création des formes dans le métal, en passant par le ciselage, jusqu’au polissage afin que des œuvres comme celles-ci puissent voir le jour.

Coopérer avec d'autres producteurs : un choix habile

Plutôt que de se limiter à leurs propres techniques de production et à leurs secteurs d'activité, les entreprises de Tsubame sont connues pour s’entraider et se coordonner activement avec d'autres entreprises et usines. Au cours de ces dernières années, elles se sont également associées à des producteurs de la ville voisine de Sanjô pour être en mesure de produire des pièces de haute qualité aux marchés nationaux et étrangers sous la marque « Tsubame-Sanjô ».

Saitô Yûsuke cite la coopération entre les artisans du cuivre de Tsuiki et ceux qui fabriquent les pipes pour la confection de cuillères, comme un exemple de rassemblement de la population locale pour atteindre de nouveaux objectifs. « Les habitants n’hésitaient pas à demander si un autre magasin pourrait produire telle ou telle pièce avec ses propres techniques, en faisant appel à d'autres travailleurs de proximité si nécessaire. Cela a progressivement élargi les champs d’activités de Tsubame. J'appelle ce genre d'activité industrielle "la préservation de la technologie", et je pense que cela pourrait être la clé de la survie des petites entreprises japonaises dans le monde. »

En haut à gauche : exposition d’une sélection de clous japonais au Musée de matériels industriels de Tsubame. En haut à droite : une reproduction de l’atelier de production des cuivres de Tsuiki. En bas : exposition spéciale consacrée à l’histoire de l’industrie métallurgique locale.

Ouverture de l’usine pour la préservation de la valeur des produits

Ces dernières années, Tôjirô a vu son activité menacée par l’arrivée sur les marchés de couteaux moins onéreux en provenance de pays asiatiques. Les produits japonais, avec leurs coûts de main-d'œuvre élevés, sont désavantagés en termes de compétitivité des prix. En juillet 2017, pour créer des liens plus forts avec ses clients, Tôjirô a décidé d’ouvrir les portes de son usine et de permettre aux touristes de venir visiter l’atelier de production.

En haut : un artisan inspecte avec soin une lame. En bas à gauche : une artisane polit minutieusement une soudure. En bas à droite : travail répété de l’affutage d’une lame.

« Gyokusendô et la marque outdoor Snow Peak, mondialement reconnue, produite à Sanjô, ont augmenté la valeur de leurs produits en ouvrant leurs ateliers au public », explique Ogawa Masato, chef de la galerie Tôjirô. « Récemment, les couteaux des pays asiatiques ont amélioré leur design. Mais il n’est pas aisé pour ces fabricants d’imiter notre plus haute technologie. Cependant, ce qui est encore plus difficile, c’est pour les clients d’en prendre conscience. Nous avons donc ouvert notre usine afin que les visiteurs puissent voir nos techniques avancées et notre travail soigné par eux-mêmes et en parler autour d’eux. »

Ceci, poursuit Ogawa Masato, est le moyen pour Tôjirô – et pour Tsubame dans son ensemble – de continuer à fabriquer des couteaux en veillant à apporter la meilleure qualité de coupe qui soit.

Des artisans au travail sous les yeux de visiteurs, sur la droite.

(Photos : Kodera Kei)

Galerie Tôjirô Knife

  • Adresse : 9-5 Yoshida Higashi Sakae-chô, Tsubame-shi, Niigata-ken, 959-0232 JAPON
  • Heures d’ouverture : de 10h à 18h
  • Fermé le lundi (sauf si férié) et les lendemains de jours fériés
  • Site officiel [EN] : http://www.tojiro-japan.com/

Musée de matériels industriels de Tsubame

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