Les athlètes paralympiques : des hommes et des femmes exemplaires

Nagashima Osamu vit pour ses deux passions, le parabadminton et la R&D

Société Sport Tokyo 2020

En 2020, le badminton va faire partie pour la première fois des disciplines paralympiques, à l’occasion des JO de Tokyo. Nagashima Osamu, un Japonais de 38 ans, fait partie des meilleurs pratiquants mondiaux du badminton handisport. Il se prépare activement en vue du plus grand événement sportif de la planète, tout en exerçant la profession de chercheur dans le département de technologie d’une grande entreprise japonaise. Il nous fait partager les états d’âme qui l’ont accompagné tout au long de son parcours du combattant.

Nagashima Osamu NAGASHIMA Osamu

Né en 1979. Membre de l’équipe de R&D de l’entreprise Lixil. Commence le badminton au collège. Un accident lors de ses années universitaires provoque de lourds dommages à sa colonne vertébrale et le condamne à la chaise roulante. Il reprend malgré tout les tournois de badminton un an après. En 2005, il est embauché à Lixil, une entreprise spécialisée dans les appareils sanitaires. En entrant dans l’équipe de recherche des technologies anti-taches, il contribue à faire breveter un de leurs produits. En parallèle, il participe aux championnats nationaux et internationaux de parabadminton et remporte plusieurs médailles. Classé au sixième rang mondial dans la catégorie « WH1, simple » (à la date du 21 décembre 2017).

Je me rappelle qu’au cours d’une retransmission des Jeux paralympiques de Londres, en 2012, un commentateur de la chaine de télévision britannique Chanel 4 a qualifié les athlètes de « surhommes ». J’ai trouvé ce terme d’autant plus approprié que jusque-là, à ma plus grande honte, je n’avais jamais considéré les concurrents sous cet angle.

Les pratiquants du parabadminton sont répartis en six catégories en fonction du degré de leur handicap et du fait qu’ils utilisent ou pas un fauteuil roulant. WH1 correspond aux joueurs en fauteuil roulant sans abdominaux. WH2 aux joueurs en fauteuil roulant avec abdominaux. SL3 aux joueurs debout avec un handicap touchant un membre inférieur, qui ne peuvent pas courir. SL4 aux joueurs debout avec un handicap touchant un membre inférieur, qui peuvent courir. SU5 aux joueurs debout avec un handicap touchant un membre supérieur. SS6 aux joueurs debout de petite taille. Nagashima Osamu est un athlète de catégorie WH1. (Photo avec l’aimable autorisation de Lixil)

Quand je commente des épreuves de handisport, je suis souvent épaté par les performances « surhumaines » des athlètes. Ils arrivent à surmonter non seulement leurs handicaps physiques mais aussi les préjugés sociaux, et ils ont une grande force intérieure qui décuple leur énergie dans la réalisation de leurs objectifs. Ils sont un exemple pour nous tous dans la mesure où ils révèlent les possibilités cachées de l’être humain.

Un spécialiste de la R&D doublé d’un athlète de haut niveau

Nagashima Osamu est l’un de ces para-athlètes tout à fait remarquables, à la fois meilleur joueur de badminton handisport de l’Archipel et membre de l’équipe R&D de Lixil, une firme japonaise d’envergure mondiale. 14 fois champion du Japon de parabadminton, Nagashima Osamu est aussi un chercheur particulièrement inventif qui a permis à son entreprise de faire breveter le système de protection Proguard contre les taches et les traces de calcaire.

Le regard de Nagashima Osamu en dit long sur les épreuves et les difficultés qu’il a traversées et sur la force de caractère qu’il a acquise tout au long de son parcours…et qui se manifeste à présent par sa gentillesse vis-à-vis des autres. On devine aussi en lui la curiosité insatiable des chercheurs impliqués dans des travaux scientifiques de haut niveau.

« Vous savez, ce que je vais dire est très banal, mais pour obtenir des résultats, il n’y a pas de secret, il faut s’appliquer sans relâche. C’est vrai pour la R&D autant que pour le badminton », nous dit-il, les yeux fixés devant lui.

Je pensais que notre entretien commencerait par un rappel de l’accident dramatique où Nagashima Osamu  a failli perdre la vie. Mais non. Il a débuté par une phrase ne laissant aucun doute sur la volonté de son auteur de trouver des réponses aux grandes questions de l’existence…

Une expérience de mort imminente

Le jour où sa vie a basculé, Nagashima Osamu se trouvait en vacances – il était en deuxième année à l’Université de Chiba – chez lui, dans la préfecture de Saitama. Il roulait en voiture lorsque celle-ci a quitté de la route et s’est arrêtée sur un talus. Il est sorti du véhicule pour essayer de le ramener sur la chaussée. Mais celui-ci a soudain reculé en roulant sur le jeune homme qui a aussitôt perdu conscience.

Nagashima Osamu dans le hall d’entrée du Lixil Wing building, situé dans l’arrondissement de Kotô, à Tokyo, où l’entreprise Lixil transfèrera son siège social en novembre 2019.

À partir du moment où il a été hospitalisé, Nagashima Osamu a vécu un véritable enfer. Il était devenu paraplégique. Alors qu’il s’entrainait de façon intense au badminton depuis le collège, il a dû se rendre à l’évidence : ses membres inférieurs et le bas de son tronc ne répondaient plus. Des douleurs incessantes, une forte fièvre et la peur de ne pas guérir ont commencé à lui faire perdre espoir. Plus les jours passaient, plus son courage s’amenuisait.

« J’étais si désespéré que j’ai fini par cesser de penser à l’avenir. Je me suis dit bien des fois que j’aurais dû rester inanimé. »

Toutefois Nagashima Osamu avait conservé la formidable vitalité qui lui faisait refuser d’abandonner. Deux mois après son terrible accident, il a vu une image par résonance magnétique (IRM) de son dos montrant clairement que sa colonne vertébrale était endommagée. Il a aussitôt compris et accepté le fait qu’il passerait le restant de ses jours dans une chaise roulante.

« Mon regard sur la vie a changé de façon radicale. L’idée que j’allais vivre le reste de mon existence avec un fauteuil roulant est devenue une évidence absolue. »

Trouver un emploi : un véritable parcours du combattant

Un an après son accident, Nagashima Osamu est retourné à l’Université de Chiba et il a recommencé à jouer au badminton. Il était absolument enchanté de voir ses anciens partenaires venir pratiquer avec lui. Il s’est également investi à fond dans ses études en se spécialisant dans la chimie appliquée. Pour obtenir son diplôme, il lui fallait 104 unités de valeur mais il en a validé 160. Le jeune homme a terminé premier de sa promotion et décidé de faire des études de troisième cycle.

« Les frais de scolarité étant les mêmes quel que soit le nombre d’unités de valeur préparées, j’ai suivi beaucoup de cours en plus. Je crois que le fait de me retrouver en fauteuil roulant a dû m’inciter à en faire le maximum. »

Après avoir obtenu un mastère en deux ans, Nagashima Osamu a envisagé de continuer ses études en se lançant dans un doctorat. Mais finalement, il a préféré chercher un emploi dans le secteur privé. Il a postulé auprès de plus de cinquante entreprises sans aucun résultat, ce qui ne l’a pas étonné outre mesure. Quand il avait repris l’université après son accident, la plupart des laboratoires de recherches du département de chimie appliquée où il souhaitait entrer avaient refusé de l’accepter. Le seul professeur qui lui avait fait bon accueil est Satô Satoshi, directeur du laboratoire de génie de la réaction chimique de l’Université de Chiba.

« Je pense que si tout le monde est d’accord pour reconnaître l’importance de la diversité, dans les faits, chacun considère que c’est l’affaire des autres. Je n’ai pas voulu baisser les bras pour autant parce que cela revenait à donner raison à ceux qui m’avaient rejeté. »

Il y a eu pourtant des moments où la frustration a pris le dessus. Nagashima Osamu se rappelle du jour où un camarade de l’université l’a accusé de faire la tête en permanence. « Je n’ai sans doute pas répondu, mais je crois qu’il y avait quelque chose en moi-même qui rendait mon handicap responsable de mon malheur. Au fond, je reprochais aux autres de ne voir en moi qu’un individu en fauteuil roulant. »

Nagashima Osamu n’en a pas moins continué a chercher un emploi en envoyant un 51e et un 52e dossier de candidature. Et il a reçu deux réponses, l’une provenant d’un fabricant japonais d’équipements domestiques de premier plan et l’autre, d’une firme spécialisée dans les ordinateurs basée à l’étranger.

« J’ai choisi Inax [devenu depuis Lixil] en suivant mon intuition. Les responsables du département des ressources humaines et ceux qui m’ont fait passer des entretiens m’ont traité exactement comme tous les autres candidats. Ils ont aussi eu l’air d’être vraiment impressionnés par mes recherches en tant qu’étudiant. Et mon intuition ne m’a pas trompé. »

Un afflux de nouveaux concurrents pour les JO

Une fois engagé par Inax, Nagashima Osamu a été affecté à l’équipe chargée du développement de la technologie anti taches Proguard dont elle a l’exclusivité. Dans le même temps, il a continué à participer à des compétitions de badminton, en particulier des tournois nationaux et internationaux. Il a remporté trois médailles de bronze aux championnats du monde de parabadminton ainsi que des médailles d’or dans les catégories individuel, double et double mixte du tournoi international de parabadminton du Pérou, en 2017.

Nagashima Osamu en compétition lors du tournoi international de parabadminton du Japon qui a eu lieu en septembre 2017 dans la ville de Machida, à Tokyo. (© Osada Yôhei/Aflo Sports)

Nagashima Osamu se souvient très bien du jour où le parabadminton a été officiellement choisi en tant que discipline paralympique à partir des JO de 2020, à Tokyo.

« Le 7 octobre 2014, vers 6 heures du soir, j’ai reçu un courriel d’un camarade para-athlète m’annonçant la nouvelle. J’ai immédiatement consulté le site du Comité paralympique international. Quand j’ai vu que la décision était effective, j’ai senti des frissons tout le long de ma colonne vertébrale. Je savais que le monde du parabadminton allait changer de façon radicale. »

Jusque-là, Nagashima Osamu avait réussi à s’imposer dans ce sport en y consacrant seulement une partie de son temps. Il n’avait pas d’entraineur mais grâce à son instinct de chercheur, il avait réussi à parfaire la précision de ses coups et appris à déplacer son fauteuil de façon à atteindre le volant en un seul coup de roue. Et il n’avait pas de rival au Japon.

Mais maintenant que le badminton est devenu un sport paralympique, il doit s’attendre à une progression du nombre des joueurs plus jeunes et plus forts physiquement que lui, tous animés par le désir de devenir des héros aux JO de Tokyo. Nagashima Osamu a donc demandé à son entreprise de transférer son lieu de travail de Tokoname, dans la préfecture d’Aichi, à Tokyo pour qu’il puisse mieux se concentrer sur son entrainement.

« Je pense que je vais avoir affaire à davantage de concurrents. Mais je veux absolument prendre part aux Jeux paralympiques de Tokyo, remporter une médaille et participer au défilé qui aura lieu à Ginza à cette occasion. Pour moi, ce sera une façon de payer ma dette envers ma famille, mes amis et mes collègues pour tous les encouragements et le soutien qu’ils m’ont prodigué. »

L’importance capitale de la diversité et de l’intégration sociale

Toutefois, le but ultime de Nagashima Osamu n’est pas de gagner une médaille aux Jeux paralympiques. Ce qu’il veut prouver avant tout c’est qu’un handicapé peut atteindre le plus haut niveau dans les compétitions sportives tout en assumant des fonctions importantes au sein d’une entreprise de premier plan.

« Lixil propose une gamme complète d’équipements domestiques. La technologie anti-taches que je contribue à mettre au point concerne non seulement les toilettes, mais aussi les lavabos, les portes coulissantes en verre ou les moustiquaires pour fenêtres. Nos recherches sont loin d’être terminées et il en va de même pour le badminton où nous pouvons encore affiner notre technique. J’ai l’intention de poursuivre dans cette voie en travaillant et en faisant en même temps du sport de compétition de haut niveau. »

À mon avis, Nagashima Osamu va continuer à s’impliquer à fond dans sa vie professionnelle et sportive afin de contribuer à ce que la diversité et l’intégration sociale, loin de rester de belles paroles, deviennent une réalité.

(D’après un article en japonais publié le 19 janvier 2018. Photos : Kawamoto Seiya, sauf mention contraire. Photo de titre : Nagashima Osamu dans son fauteuil handisport avec une raquette et un volant de badminton.)

sport JO parasport