Futur incertain sur la maison impériale japonaise

Politique

Au Japon, les femmes de la famille impériale sont exclues du droit de succession au trône, et perdent leur statut de membre de la famille régnante à leur mariage. Une révision de la loi visant à permettre aux femmes de la famille impériale de conserver leur statut impérial en considération du fait que la famille impériale actuelle manque justement de mâles a été évoquée, mais peine à se concrétiser amplifiant les incertitudes concernant les risques de disruption entre l’empereur, l’impératrice, et le couple du prince héritier.

La révision de la Loi sur la maison impériale à laquelle avait travaillé le gouvernement de M. Noda Yoshihiko se trouve suspendue du fait du changement de gouvernement. Le manque de successeurs au sein de la famille impériale se fait sentir d’année en année, et en dépit du risque grave qui pèse sur le destin de la maison impériale, aucun chemin de sortie de crise ne semble se dessiner.

La solution évoquée par le précédent gouvernement début 2011 passait par la conservation du statut impérial pour les filles de la famille impériale, alors que dans la législation actuelle les filles perdent leur statut lors de leur mariage.

Les filles de la famille impériale perdent leur statut en se mariant

La loi de la maison impériale du Japon admet la seule lignée patrilinéaire de sexe masculin à la succession du Trône impérial, et ne reconnaît pas la possibilité aux femmes de transmettre le sang impérial par mariage en dehors de la famille impériale. Or, depuis la naissance de la princesse Sayako, la fille de l’empereur actuel en 1969, ce sont 9 filles qui sont nées successivement au sein de la famille impériale, pour un seul mâle, le prince Hisahito (6 ans), petit-fils de l’empereur actuel (79 ans) par son fils cadet, le prince Fumihito d'Akishino (47 ans). L’ordre actuel de succession est donc le suivant : En premier lieu le prince héritier Naruhito (52 ans) fils aîné de l’empereur, son frère cadet le prince Fumihito en n°2, et le jeune prince Hisahito en n°3. Ce dernier étant le seul mâle de sa génération dans la famille, le risque est important de voir se produire une situation d’empereur « singleton » sans aucun successeur en attendant que lui-même ait au moins un héritier mâle.

Le gouvernement Noda promouvait un maintien des sœurs aînées du prince Hisahito, les princesses Mako (21 ans) et Kako (18 ans), ainsi que sa cousine la princesse Aiko (11 ans), fille unique du prince héritier, sous statut de la famille impériale même après leur mariage, et s’est essayé à faire amender la loi actuelle régissant le statut de la famille impériale et les règles de succession dans ce sens.

En 2005, c’est-à-dire avant la naissance du prince Hisahito, le gouvernement de l’époque de M. Koizumi Junichirô, appartenant à une autre majorité, avait déjà essayé de réviser cette loi de façon à permettre l’accession aux trônes aux membres féminins de la famille impériale. Néanmoins une forte opposition s’était dressée contre ce projet de réforme instituant l’égalité des sexes dans la famille impériale, et l’opinion publique s’était divisée en deux camps. Le projet avait d’ailleurs fait long feu peu de temps avant la date prévue du débat législatif pour cette réforme, quand était né le prince Hisahito, premier enfant mâle à naître dans la famille impériale depuis 41 ans.

Dans ces circonstances, le gouvernement Noda a préféré renoncer à modifier la loi de succession au trône et maintenir le principe de la stricte succession mâle, et contourner la difficulté par une mesure de « transition », laissant le soin aux Japonais d’une génération future d’imaginer leur propre solution. Les cinq filles des cousins de l’empereur actuel (petites-filles du prince Takahito de Mikasa, frère cadet de l’empereur Shôwa et oncle de l’empereur actuel), sont toutes adultes et en âge de se marier, les trois petites-filles de l’empereur s’en approchent également, le temps presse effectivement de décider quelque chose.

Pourquoi tant d’insistance à maintenir une succession strictement masculine ?

Malgré ce caractère « transitoire » de la proposition Noda, celle-ci a fait se lever chez les conservateurs un sentiment de danger de voir se rompre dans le futur le principe primogéniture mâle de la succession impériale, ce qui a fait dresser de hauts obstacles devant le projet de loi. Les conservateurs, de leur côté, préféreraient réintégrer dans la lignée de succession impériale les membres collatéraux qui en ont été exclus par les forces Alliées après la défaite de la Seconde Guerre Mondiale.

C’est ainsi que le Premier Ministre actuel Abe Shinzô avait dès septembre 2011 réitéré sa position sur cette ligne. De nouveau à la tête du gouvernement depuis les dernières élections, la proposition Noda est désormais retournée dans les cartons.

Alors que l’on remarque une progression de l’égalité homme/femme à la succession dans les différentes familles royales d’Europe, l’insistance du Japon à maintenir à notre époque un principe de primogéniture mâle peut paraître incompréhensible. Mais l’empereur du Japon, figure centrale de l’esprit d’unité nationale depuis au moins un millier et quelques centaines d’années, est l’héritier d’une histoire qui a maintenue la droiture et le caractère sacré d’une descendance mâle intacte. Les tumulus funéraires des empereurs des temps anciens que l’on trouve dans de nombreuses régions du pays, comme les « rituels traditionnels » dédiés aux ancêtres impériaux sont un signe de la légitimité de l’empereur en tant que prêtre-roi, et cette coloration religieuse est ce qui enracine profondément la tradition de « l’empereur symbole ». Des commentateurs font même remarquer que l’empereur japonais est plus proche d’une figure comme le Dalaï Lama que des rois et reines européens.

La crise de la famille du prince héritier et succession au trône

La question de la succession impériale est étroitement liée à la crise de la maison du prince héritier.

La princesse héritière Masako (49 ans), qui a avant son mariage étudié à Harvard et à Oxford, et a été employée au ministère des Affaires étrangères, a donné naissance à la princesse Aiko après 8 ans de mariage avec le prince héritier Naruhito. Mais le couple princier n’a pas eu de garçon. La princesse Masako a été la cible de critiques de la part des médias dès l’époque où elle n’était qu’une des candidates potentielles à des fiançailles avec le prince. Après son mariage, elle a éprouvé des difficultés à s’adapter aux vieilles coutumes de la maison impériale, et la pression pour accoucher d’un garçon a été constante. L'état de santé de la princesse s’est détérioré jusqu’à ce qu’elle soit diagnostiquée souffrante de troubles d’adaptation.

Son médecin traitant lui conseillant de donner la priorité à des activités privées, elle est quasiment toujours absente des cérémonies impériales et déplacements officiels en province, ainsi qu’aux rituels où sa présence est en principe requise en tant qu’épouse du prince héritier, alors même qu’elle est très active pour ses divertissements privés. En outre, la princesse héritière Masako a pendant un an et demi accompagné chaque jour son enfant, la princesse Aiko, à l’école primaire du Gakushûin, où sont traditionnellement scolarisés tous les enfants de la famille impériale, pour la raison que « la princesse Aiko avait peur de certains camarades violents dans sa classe ». Cette conduite a été critiquée comme extravagante.

Le plus sérieux est la perturbation des relations entre le couple princier et le couple de l’empereur et l’impératrice. La princesse héritière Masako fréquente très peu le couple impérial, préférant passer du temps dans sa famille paternelle. En contraste, la famille du prince Fumihito d'Akishino, second dans l’ordre successoral, sont souvent présents aux côtés de l’empereur et de l’impératrice avec lesquels le prince d’Akishino, son épouse et leur fils Hisahito sont en relations intimes et qu’ils soutiennent dans la conduite des cérémonies officielles et rites traditionnels, ce qui n’empêche pas le prince d’Akishino de poursuivre activement une activité de recherche universitaire.

Le prince héritier et la princesse fêteront en 2013 leurs 20 ans de mariage. Octobre 2012 a également marqué la dixième année du retrait de la princesse Masako de quasiment toute activité officielle pour cause de fatigue psychologique. Son expérience en tant que future impératrice est donc pauvre. Si au début la princesse a bénéficié de la compassion de l’opinion publique, qui imaginait bien « les difficultés qu’elle devait rencontrer dans le contexte suranné de la famille impériale », la pression s’est faite de plus en plus forte de la part de la presse magazine, qui s’est mis à critiquer de plus en plus le couple princier, que l’on voyait non seulement peu présent aux activités traditionnelles et rituelles, mais par contre très actifs à ses divertissements privés. Certains commentateurs ont même commencé à recommander que le prince divorce, ou renonce à la succession du trône.

Le projet Noda de permettre aux femmes de demeurer sous le statut de membre de la famille impériale à vie répondait à deux objectifs : laisser la porte ouverte à la possibilité d’accepter un empereur femme ou de lignée matrilinéaire d’un côté, et permettre le futur « empereur Hisahito » de se faire assister par ses deux sœurs. Le futur de la maison impériale passera-t-il par la branche de l’actuel prince héritier ou par la branche cadette du prince d’Akishino, tel est le problème délicat qui se pose.

L’avenir de la nation comme dispositif de stabilité

Déjà que le Japon a du mal à retrouver son souffle sous la pression du déficit budgétaire et de la stagnation économique qui se prolonge, qui s’ajoute l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi et le séisme, les tensions des problèmes territoriaux avec la Chine, la Corée du Sud et la Russie, il se retrouve aujourd’hui face au danger d’une « crise nationale ».

Ce sont les atermoiements du Parti démocrate devant cette crise qui l’a obligé à dissoudre la chambre des représentants, ce qui lui fait reperdre le pouvoir en décembre 2012 face au Parti libéral-démocrate qu’il avait pourtant battu lors d’une victoire historique trois ans plus tôt. La défiance de l’opinion publique devant les partis institutionnels fait le lit de la montée en puissance d’une « troisième voie » politique (en fait constituée essentiellement de conservateurs) qui appelle à une réforme politique. Le pays, qui a atteint le statut de grande puissance économique dans le cadre institutionnel de la Constitution pacifiste établi suite à la défaite de la dernière guerre, est en train d’aborder l’un des virages les plus périlleux de son histoire.

Le risque de dérive de la maison impériale, qui fonde sa pérennité sur la tradition mais également sur son regard international, dont on attend qu’elle joue un rôle de stabilisateur et de support moral du peuple, fait peser une inquiétude sur la nation tout entière.

N.B. Les âges s’entendent à la date du 1er janvier 2013.

(Adapté d’un article rédigé le 19 novembre 2012, photo de titre : Sankei Shimbun)

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