Fukushima : le retour à la normale reste une perspective lointaine pour ses habitants

Société

Six ans après la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, les autorités ont levé les consignes d’évacuation concernant quatre municipalités situées autour de la centrale et autorisé les habitants à revenir chez eux pour la première fois depuis la fusion des réacteurs. L’auteur de cet article, qui est impliqué dans la planification de la reconstruction depuis l’émission des consignes d’évacuation, plaide pour l’adoption d’un plan multidimensionnel, apte à répondre aux besoins complexes des personnes qui sont rentrées chez elles comme des évacués qui continuent de vivre ailleurs sous ce statut.

Le début de la fin ou les préludes de nouvelles souffrances ?

Le 31 mars et le 1er avril de cette année, le gouvernement japonais a levé les consignes d’évacuation des environs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi qu’il avait émises il y a plus de six ans, au lendemain de l’accident survenu à la centrale. Cette décision a autorisé quelque 32 000 habitants des quatre municipalités de Iidate, Kawamata, Namie et Tomioka affectées par les radiations à rentrer chez eux. À l’issue de cette initiative, seuls restent soumis aux consignes d’évacuation Futaba et Ôkuma (où se trouvait la centrale), ainsi que quelques quartiers de cinq villes et villages des environs.

Les médias japonais ont été quasiment unanimes à saluer la décision comme un « important jalon » sur le chemin qui permettra aux habitants des zones affectées de reconstruire leurs vies. Mais ce prétendu jalon peut être appréhendé de deux façons tout à fait différentes. Dans une bonne partie de leurs commentaires, imprégnés d’un sentiment optimiste de retour à la normale, les médias estimaient que la levée des consignes d’évacuation constituait un nouveau départ, attendu depuis longtemps, du chantier de reconstruction, et que les habitants seraient enfin en mesure de commencer à rebâtir leurs vies et leurs communautés. Mais d’un autre point de vue, plus cynique celui-là, la levée des consignes d’évacuation annonçait simplement le début d’un nouvel enchaînement de calamités. Vu les défis que les habitants vont devoir relever, cette seconde interprétation est à mon avis plus proche de la vérité.

Le point de vue optimiste, qui bénéficie de l’appui des autorités nationales et départementales chargées de faire avancer le chantier de la reconstruction à Fukushima, repose sur le scénario suivant :

  1. Définition de zones d’évacuation dans les régions affectées par les radiations et offre d’un soutien aux personnes évacuées sous la forme d’un logement temporaire et d’une indemnisation.
  2. Décontamination des zones affectées
  3. Préparation à la levée des consignes d’évacuation à mesure de la baisse des niveaux d’irradiation.
  4. Reconstruction des infrastructures locales et rétablissement des services, rétablissement des dispositifs de santé et d’aide sociale, et réouvertures de commerce là où c’est nécessaire.
  5. Levée des consignes d’évacuation.
  6. Retour des personnes évacuées.

Pour les milliers d’évacués contraints de vivre depuis six ans hors de leur domicile, la levée des consignes d’évacuation revêt toutefois un tout autre sens. Certains décideront de rentrer chez eux et d’autres de rester là où ils sont. Mais quel que soit leur choix, nous ne pouvons pas ignorer que les uns et les autres vont se trouver confrontés à de nouveaux défis.

Parmi les plus empressés à rentrer chez eux, figurent de nombreuses personnes âgées, mais l’offre de santé et d’aide sociale est loin d’être satisfaisante en bien des endroits. Des incertitudes persistent également pour d’autres membres de la communauté, par exemple en ce qui concerne l’avenir du secteur agricole, des forêts et de la pêche. Les économies locales ont été dévastées, soulevant le problème de l'emploi, et l'on ne sait même pas si les gens pourront acheter de quoi subvenir à leurs besoins quotidiens, et encore moins gagner leur vie à long terme.

La situation est en outre précaire à la centrale, où beaucoup de travail reste à faire. Le problème de l’eau radioactive n’est toujours pas résolu et il faut trouver une installation de stockage à moyen terme des immenses quantités de matériaux contaminés. Or il n’existe même pas de calendrier pour l’exécution de ces tâches. Face à une telle incertitude, bien des gens vont choisir de rester là où ils sont plutôt que de prendre le risque de rentrer chez eux. Mais ce choix soulève une autre série de problèmes, dans la mesure où nombre des dispositifs de soutien aux évacués vont être supprimés maintenant que plus rien ne leur interdit de rentrer chez eux.

D’après les sondages effectués entre 2014 et 2017 par le ministère de la Reconstruction, la préfecture de Fukushima et les municipalités évacuées, plus de la moitié des habitants de Futaba, Namie, Ôkuma et Tomioka disent ne pas souhaiter rentrer chez eux après la levée des consignes d’évacuation. Dans les zones où il s’est écoulé plus d’un an depuis cette levée, nulle part le nombre des habitants rentrés chez eux ne dépasse la barre des 20 %, hormis à Tamura. Ces chiffres qui donnent à réfléchir illustrent bien les difficultés qui attendent les évacués désireux de rentrer chez eux.

Évaluer la situation dans les zones affectées

Le fait que les autorités aient levé les consignes d’évacuation malgré les nombreux problèmes toujours irrésolus témoigne de leur désintérêt pour les difficultés auxquelles les habitants sont confrontés. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons non seulement prendre en considération et évaluer les incertitudes qui pèsent sur les habitants, mais également anticiper les problèmes à venir.

Dans les zones qui viennent d’être jugées aptes à l’habitation, des piles de conteneurs souples remplis de matériaux contaminés continuent d’être provisoirement stockées en divers endroits depuis le début des opérations de nettoyage. Il est certes prévu de les évacuer vers des installations de stockage à moyen terme, mais je ne suis pas sûr que, au moment de lever les consignes d’évacuation, les autorités aient pris toute la mesure de l’anxiété et des tensions infligées aux habitants contraints de vivre leur vie au milieu de montagnes de débris contaminés.

Conteneurs de terre contaminée en stockage temporaire dans l’attente de contrôles de sécurité à Minami-Sôma, Fukushima. (Photo : Mainichi Shimbun/Aflo)

Hirono se trouve à 22 kilomètres de Fukushima Daiichi. Après la catastrophe, les services médicaux de cette ville en sont venus à se reposer sur les seules épaules du responsable de l’hôpital local, le Docteur Takano Hideo. Mais l’avenir de l’hôpital s’est trouvé remis en question à la fin de l’an dernier quand le Dr Takano a trouvé la mort dans un incendie. Au début de cette année, Nakayama Yûjiro, un médecin de Tokyo, a pris la relève pendant un certain temps, assumant pendant deux mois les fonctions de médecin résident de l’hôpital.

Nakayama Yûjiro a relaté l’expérience qu’il a vécue dans un journal de bord, publié en ligne en avril 2017 par Nikkei Business sous le titre « La réalité de Fukushima : le point de vue d’un docteur ». Dans son récit, le Dr Nakayama décrit la tragédie en cours provoquée par la catastrophe et parle des nombreuses personnes qui n’ont pas survécu au stress généré par les conditions de vie en habitat provisoire. Il attribue ces décès à trois grandes raisons : séparation de la famille et perte de la communauté, interruption d’un traitement médical en cours, modification de l’environnement. L’expérience du Dr Nakayama illustre bien les processus indirects à travers lesquels le bilan de la mortalité due à la catastrophe continue de s’alourdir.

Le rêve perdu d'un retour à la maison

Le mémoire de Sasaki Yasuko relatant les années qu’elle a passées en logement provisoire.

La situation est encore pire pour les gens dont les maisons sont toujours assujetties aux consignes d’évacuation en vigueur. Sasaki Yasuko, qui a été évacuée de sa maison à Namie, a passé tout le temps qui s’est écoulé depuis la catastrophe dans un logement provisoire du bourg de Koori. Dans un récit de 90 pages relatant sa vie d’évacuée sous le titre « Sous un ciel radioactif effroyable », elle écrit ceci : « Je ne veux pas mourir en logement provisoire. C’est tout ce que je demande. Tout le monde parle de tirer un trait là-dessus et de mettre un point final à la catastrophe ; mais je ne veux pas que ma vie finisse comme cela [...] Depuis la catastrophe, il semble qu’il y ait, partout où je vais, des slogans visant à nous galvaniser. Mais que puis-je faire de plus que ce que je fais déjà ? J’aimerais bien que quelqu’un me dise ce que je suis censée faire. »

Ma dernière rencontre avec Sasaki Yasuko remonte au printemps 2013. Elle habitait encore un logement provisoire et travaillait à la réalisation d’un modèle réduit de sa maison de Namie, en s’efforçant désespérément de reconstruire de mémoire un endroit qu’elle pensait ne jamais revoir. Environ un mois plus tard, j’ai appris qu’elle avait été hospitalisée et qu’elle était décédée. Elle avait alors 84 ans. J’ai aussi entendu qu’avant d’entrer à l’hôpital elle avait brisé son modèle réduit en mille morceaux.

Sasaki Yasuko vers la fin de sa vie en train de travailler à la confection d’un modèle réduit de sa maison abandonnée de Namie. (Photo prise par l’auteur en 2013)

J’ai eu de nombreuses autres occasions de parler à des gens ayant leurs maisons en zone d’« interdiction indéfinie d’habitation ». Plusieurs m’ont dit que, à l’occasion d’une visite furtive en vue de faire le ménage chez eux, ils avaient trouvé leur maison dans un état chaotique provoqué par des intrusions de sangliers et autres animaux sauvages. Les habitants ont demandé aux autorités de faire quelque chose pour remédier à ce problème. « Ne pouvez-vous pas attraper les sangliers ? » ont-ils voulu savoir, « ou pour le moins embaucher quelqu’un pour les empêcher d’entrer dans nos maisons ? » Mais les hauts niveaux d’irradiation font bien trop peur à tout le monde, et aucune entreprise n’a accepté de se charger de ce projet.

Confrontés à de telles difficultés et à de tels affronts, les gens se montrent de moins en moins empressés à rentrer chez eux. Ils disent que les radiations ont tout détruit à la racine – histoire, culture, communauté – et ils se demandent si ce genre de perte peut être compensé par une indemnisation, aussi élevée soit-elle. Dépouillé de leur héritage local, bien des habitants des zones affectées continuent de déplorer les répercussions culturelles de la catastrophe.

Un soutien aux personnes qui reviennent chez elles

Dans le scénario simpliste imaginé par les autorités, la levée des consignes d’évacuation entraîne le retour de chacun chez soi, suivi d’une longue vie heureuse. Mais la réalité n’est pas aussi simple et cette belle histoire ne propose aucune solution aux problèmes tels que ceux que nous avons évoqués plus haut. En plus des efforts qu’elles consentent pour restaurer et reconstruire l’infrastructure physique des villes et villages évacués, les autorités doivent travailler avec les habitants à l’élaboration de programmes qui les aideront à reprendre leurs vies en mains. Ces programmes doivent être fondés sur une vision réaliste de l’avenir et prendre en compte les aspirations des habitants eux-mêmes.

Depuis les premiers jours qui ont suivi la catastrophe, le gouvernement et la société TEPCO, l’exploitant de la centrale de Daiichi, répètent le même message : « Laissez-nous nous occuper de cela. » Cette position imprègne leurs façons d’agir dans tout ce qu’ils entreprennent : soutien aux évacués en logement provisoire, définition des normes de sécurité en matière de radiations, travaux de nettoyage, négociation des indemnisations, soutien aux moyens de subsistance et programmes de reconstruction. Cette gestion de tout au cas par cas a non seulement généré de l’incompréhension et de l’anxiété, mais encore creusé un abîme entre les autorités et les gens qu’elles sont censées vouloir aider. Pour les habitants, tous ces champs d’action sont étroitement connectés. Aucun processus n’a été mis en place en vue de bâtir un consensus et combler le fossé qui s’est creusé entre les autorités et les habitants, lesquels devraient pourtant jouer un rôle crucial dans la reconstruction de leurs propres communautés. C’est dans ce contexte que les consignes d’évacuation ont été levées.

Les autorités doivent en priorité élaborer un scénario moins simpliste, qui reflète mieux la réalité du terrain. Elles doivent se doter d’un plan multidimensionnel instaurant un équilibre entre, d’une part, les programmes de reconstruction des communautés et de soutien aux personnes revenues chez elles, et de l’autre, les mesures d’aide aux évacués ayant choisi de rester là où ils sont. On pourrait envisager, par exemple, un programme autorisant les évacués à partager leur vie entre deux zones pour une période relais, ce qui leur laisserait du temps pour reconstruire leurs villes d’origine tout en restant en logement provisoire. À cette fin, on pourrait fournir aux évacués des résidences où ils auraient la possibilité de vivre à temps partiel pendant qu’ils travaillent à la reconstruction de leurs communautés et à la réparation de leurs maisons endommagées et négligées.

(D’après un original en japonais du 9 mai 2017. Photo de titre : des cerisiers Somei Yohino à Tomioka, dans la préfecture de Fukushima, le 12 avril 2017. Le plus gros de l’alignement de cerisiers, long de 2,2 km, se trouve dans une zone d’évacuation interdite d’accès. Depuis le printemps dernier, les premiers 300 m de la route qu’ils bordent sont ouverts au public pendant la journée. Cet endroit est désormais classé en « zone d’interdiction provisoire d’habitation ». Jiji Press)

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