De nouveaux horizons pour l’économie japonaise

La redynamisation de l’agriculture japonaise sous l’angle de la compétitivité internationale

Économie

Dans le cadre des négociations sur la participation au Partenariat transpacifique (TPP), la compétitivité internationale de l’agriculture japonaise fait actuellement débat. Comment redynamiser le secteur agricole ? Nous allons examiner les problèmes et les enjeux liés à cette question, en particulier en ce qui concerne la production de riz.

Le problème : un déficit d’exportation et non un excédent d’importation

De nos jours, la gastronomie japonaise est appréciée dans le monde entier. Pourtant, l’agriculture et la pêche japonaises qui la sous-tendent ne sont jamais évoquées à l’étranger, si ce n’est par les spécialistes. La situation agricole du pays reste inconnue en dehors du public japonais.

L’agriculture et la pêche japonaises connaissent de nombreux problèmes, dont la nature est évidente à l’examen des flux d’importation et d’exportation. Par exemple, les exportations de produits agricoles atteignent à peine trois milliards de dollars, un montant de loin inférieur aux autres grandes nations (cf. graphique).

Cependant, quand on parle d’agriculture au Japon, la question des exportations n’est quasiment jamais abordée, seules les importations sont au cœur du débat. « Le Japon est le premier importateur mondial de produits alimentaires », « l’alimentation dépend en grande partie de l’étranger », et, pour cette raison, il faut « s’opposer à la libéralisation du marché du riz » et « protéger l’agriculture car il s’agit d’un secteur en déclin » : telle est la teneur du débat.

Le montant des importations nettes du Japon (importations moins exportations) est certes le plus important au monde, mais l’examen de ses composantes apporte un éclairage différent. Le montant des importations brutes japonaises se situe au cinquième rang mondial derrière l’Allemagne, les États-Unis, la Chine et le Royaume-Uni. Cependant, concernant le montant par habitant, la première place revient au Royaume-Uni avec 880 dollars, suivie de l’Allemagne à 851 dollars et de la France à 722 dollars. Le Japon, avec 360 dollars par habitant, enregistre un montant pratiquement inférieur de moitié à celui de la France et peu éloigné des Etats-Unis, à 244 dollars. L’Archipel peut donc difficilement être qualifié de grand pays importateur. Au bout du compte, le problème réside dans le montant extrêmement bas des exportations, 3 milliards de dollars. Jusqu’en 1965 environ, les exportations des nations européennes industrialisées se situaient à un niveau sensiblement égal à celui du Japon. Durant les cinquante années suivantes, les exportations britanniques ont crû de 20 milliards de dollars et celles de l’Allemagne de 42 milliards de dollars, tandis que les exportations japonaises ne progressaient que de 2,7 milliards de dollars. En résumé, l’agriculture japonaise est restée dépendante du marché intérieur, sans s’ouvrir à l’international.

Cette évolution est étroitement liée à la politique agricole japonaise. On peut affirmer sans exagération que les grands axes de cette politique — l’aide aux producteurs de riz et la réduction de la production pour maintenir les prix élevés du riz — ont eu pour effet d’affaiblir le secteur agricole. Des points que nous allons maintenant développer.

Les dégâts de la politique agricole japonaise

1 – Le soutien aux petits riziculteurs à temps partiel

Premièrement, les mesures d’aide aux producteurs de riz ont avant tout profité aux riziculteurs à temps partiel dont le rendement est faible, sans parvenir à apporter un soutien suffisant aux agriculteurs professionnels.

L’examen des données de base sur la situation des exploitations rizicoles révèle les disparités avec les autres exploitations agricoles, maraîchères, fruitières ou d’élevage. Une situation qui n’est pas étrangère au fait que le marché des fruits, des légumes et de la viande est dérégulé, alors que celui du riz est subventionné.

  • 60% des exploitations agricoles sont des exploitations rizicoles.
  • Le riz représente 22% du volume total de production.
  • Le chiffre d’affaires médian des exploitations rizicoles est bas, à 1,4 million de yens (contre 6,7 millions pour la filière maraîchère, 3 millions pour la filière fruitière et 1,5 million pour l’élevage).
  • 61% des riziculteurs sont des agriculteurs à temps partiel, un pourcentage très élevé (contre 20 à 35% dans les autres filières).
  • La moyenne d’âge des riziculteurs, 66,6 ans, est la plus élevée.

On entend souvent dire que « les riziculteurs gagnent peu d’argent, leur vieillissement est préoccupant et ils n’ont pas de successeurs », mais les faits montrent que ce n’est pas forcément le cas.

La plupart des agriculteurs à temps partiel, qui comptent pour 60% des riziculteurs, travaillent en fait dans l’administration, les coopératives agricoles ou en usine, et possèdent donc une source de revenus réguliers, hors de l’agriculture.

De plus, l’âge de la retraite est fixé à 60 ou 65 ans pour les employés et les fonctionnaires, mais il n’existe aucune limite d’âge dans l’agriculture. Lorsque cette population cesse son activité non-agricole, elle continue la culture qui était jusqu’alors un loisir, rejoignant ainsi statistiquement les rangs des agriculteurs professionnels. De ce fait, la moyenne d’âge est forcément élevée. On estime que 10% des riziculteurs relèvent de ce cas de figure. Par ailleurs, dans les familles d’agriculteurs professionnels, on compte des employés ou des fonctionnaires qui ne travaillent pas dans l’exploitation familiale durant leur vie active, mais la rejoignent après leur départ à la retraite ; ils représenteraient 10% du total. Cette catégorie est en progression depuis quelques années.

Au bout du compte, les 20% restants sont les agriculteurs professionnels à plein temps. Concernant les autres 80%, l’image d’une activité aux faibles revenus et d’un vieillissement problématique est erronée, de même qu’il n’y a pas pénurie de successeurs : il n’y en a simplement pas besoin.

La riziculture est choisie par ceux qui s’essaient à l’agriculture après la retraite ou qui cumulent agriculture et emploi salarié, car, à la différence d’autres cultures, le riz demande un faible investissement humain, à hauteur de 45 heures de travail annuel.

La politique agricole japonaise, en consacrant d’énormes budgets à la riziculture, a finalement maintenu l’existence des petites exploitations et de l’agriculture à temps partiel, sans améliorer la compétitivité des exploitants professionnels.

2 – L’augmentation des friches agricoles

En second lieu, abordons le problème de l’augmentation des friches agricoles.

En 2010, la déprise agricole atteignait 390 000 hectares, soit le double de la superficie de la préfecture de Tokyo. De plus, environ un quart de ces friches sont situées sur des terrains cultivables plats. La cause en revient principalement aux mesures de réduction de la production, pilier de la politique agricole japonaise.

Depuis 1970, alors que la consommation de riz ne cesse de décroître, une politique de réduction de la production destinée à maintenir les prix élevés du riz est en vigueur. Ces mesures, qui consistent en l’octroi de subventions proportionnelles à la superficie des rizières mises en jachère ou allouées à d’autres cultures, coûtent chaque année 200 milliards de yens, soit un montant cumulé de plus de 7 mille milliards de yens depuis leur introduction. Parmi les rizières mises en jachère dans ce cadre, certaines, sans être affectées à des cultures différentes, deviennent des friches.

Il ne s’agit pas là du seul impact négatif des mesures de réduction de la production. Elles sont également le principal facteur de pérennisation de la structure du secteur évoquée précédemment, opposant de nombreux agriculteurs à temps partiel au bas rendement à un faible pourcentage d’agriculteurs professionnels à temps plein. Le choix de maintenir les prix du riz à un niveau élevé a engendré un cercle vicieux : les micro-exploitants à temps partiel, qui arrivent à vendre à un prix élevé le riz cultivé le week-end, n’ont aucune raison de se séparer de leurs terres, entravant ainsi l’expansion des exploitations professionnelles, dont les revenus n’augmentent pas malgré leur spécialisation dans le riz, à cause des coûts de fonctionnement élevés. Ces mesures de réduction de la production ont suscité des protestations dans le Japon entier, dès leur application. On se souvient en particulier des manifestations à Ôgata, dans la préfecture d’Akita, ainsi que dans une partie de la préfecture de Niigata, régions où la productivité était déjà élevée. A leur origine, le montant des subventions versées pour la mise en friche des rizières, inférieur aux revenus tirés de la riziculture sur ces mêmes parcelles. Cet exemple montre clairement que les mesures de réduction de la production ont en fait participé à entraver l’amélioration de la productivité par le biais de l’intensification agricole.

Cependant, c’est avant tout la population qui est lésée par cette politique. Les mesures de réduction de la production, véritable « cartel », pèsent doublement sur les Japonais, en leur imposant d’acheter du riz cher et de financer les subventions allouées à cette politique.

Le ministère de l’Agriculture, pour répondre à ces critiques, a promulgué une réforme en 2004, passant de la réduction de la production à sa régulation. Les subventions ne portent plus sur les superficies concernées, mais sur les volumes de production en jeu. Cependant, le maintien des prix élevés du riz, qui constitue le cœur du problème, reste de mise et les mêmes effets pernicieux que ceux des mesures de réduction de la production perdurent.

L’augmentation du nombre de friches est due au faible coût de détention de ces terrains, objets d’avantages fiscaux successoraux et fonciers. A la base, ces avantages fiscaux avaient pour but d’éviter la baisse de rendement liée au démembrement des parcelles en cas d’impossibilité de payer ces taxes, mais, hélas, ils sont devenus une incitation à laisser les terrains agricoles en friche. Les avantages fiscaux successoraux et fonciers sont accordés à toute parcelle enregistrée comme terrain agricole, même non cultivée. Pour cette raison, nombre de parcelles en friche sont encore déclarées comme terrain agricole.

Pour une redynamisation de l’agriculture

Le déclin et le vieillissement de la population ainsi que l’évolution des habitudes alimentaires du Japon vont se traduire par une baisse continue de la consommation. Dans ce contexte, afin de redynamiser l’agriculture et d’être compétitif au niveau international, il est nécessaire de s’intéresser au thème crucial qu’est l’amélioration de la productivité agricole.

Premièrement, il convient de sortir de la spirale d’improductivité actuelle. Il est avant tout nécessaire de résoudre le problème du nombre élevé de riziculteurs à temps partiel, une structure improductive préjudiciable à l’intensification agricole, ainsi que celui de l’augmentation du nombre de friches, contraire à l’amélioration du rendement des terrains agricoles. Concrètement, des réponses doivent être apportées à la politique de réduction de la production et au faible coût de la détention de terrains agricoles.

Deuxièmement, il convient de mettre à profit le dynamisme des entreprises. Depuis quelques années, le ministère de l’Agriculture met en œuvre des mesures destinées à encourager les entreprises à s’implanter dans le secteur agricole. Cependant, les limitations sont encore nombreuses et les entreprises ne peuvent pas s’impliquer pleinement dans ce secteur.

Examinons maintenant la situation sous ces deux angles.

1 – Sortir de l’improductivité : l’abandon des mesures de réduction de la production

Les mesures de réduction de la production (aujourd’hui régulation de la production) constituent un « cartel » voué au maintien des prix élevés du riz, qui doit être supprimé pour fixer les prix selon les lois du marché. Dans ce cas, les riziculteurs à temps partiel, foyer de l’improductivité, se trouveront face à quatre choix : (1) continuer la riziculture au détriment de la rentabilité, (2) choisir une autre culture, (3) abandonner l’agriculture parce que ce n’est pas rentable (cas de réduction de la production pour une consommation familiale compris) ou (4) louer leur terrain à des cultivateurs professionnels plus productifs.

La première solution a le mérite de permettre à la population de payer le riz moins cher, puisque les prix baisseront en vertu des lois du marché. En revanche, les agriculteurs à temps partiel dont le rendement est faible pourront difficilement maintenir leur activité et seront, à terme, contraints de choisir l’une des autres solutions. La deuxième possibilité, le choix d’une autre culture, présentant le désavantage de demander plus de travail, elle incite à choisir entre les solutions (3) et (4). Dans le cas (3), si le coût de détention d’un terrain agricole reste faible, l’apparition de friches sera favorisée et le problème actuel renforcé. Il est donc crucial de modifier le système afin de réévaluer le statut des terrains non cultivés et de les imposer au même taux que les terrains habitables, ainsi que de renforcer la gestion du recouvrement des taxes.

L’arrivée au pouvoir du Parti démocrate (PDJ) a été marquée par l’introduction d’un système de subvention personnalisée. Ce système, qui a pour objectif de renforcer la compétitivité sur les marchés, est largement mis en œuvre au niveau mondial. Cependant, dans le cadre de la politique actuelle, le problème est que les mesures de réduction de la production rizicole subsistent et conditionnent l’obtention de la subvention personnalisée. Le système de subvention personnalisée prévoyait de verser une enveloppe supplémentaire aux producteurs pour compenser l’abandon des mesures de réduction de la production et la baisse du prix du riz, afin de maintenir de facto les prix élevés du riz ; il s’agissait donc de faire baisser les prix du riz tout en protégeant les agriculteurs. Les prix auraient ainsi été plus compétitifs et, dans l’éventualité d’une participation au TPP, le riz japonais d’excellente qualité aurait été compétitif au niveau international.

Cependant, le versement de la subvention personnalisée pour la production de riz est actuellement conditionné aux mesures de régulation de la production (mesures de réduction de la production) et de rotation des cultures (depuis 2012, la subvention personnalisée est également appliquée aux cultures autres que le riz).

  • Système de subvention personnalisée pour le riz : subvention versée (aux producteurs participant à la régulation de la production) selon la superficie de riziculture
  • Mise en valeur des rizières : subvention versée selon la superficie de rizières dévolues à d’autres cultures

Dans la situation actuelle des finances publiques, plutôt que d’effectuer un saupoudrage de subventions touchant la totalité des agriculteurs, il vaut mieux faire évoluer le système de subvention personnalisée pour le limiter aux exploitations dépassant une superficie donnée et conditionner son versement à l’agrandissement des exploitations, source d’amélioration de la productivité.

2 – Mettre à profit le dynamisme des entreprises

Le ministère de l’Agriculture, afin de dynamiser le secteur agricole en perte de vitesse, a réformé en 2009 la loi sur les terrains agricoles et rationalisé les règles de détention des terrains agricoles.

(a) Les obstacles législatifs à l’entrée dans le secteur de l’agriculture

La réforme de 2009 de la loi sur les terrains agricoles a assoupli les conditions d’entrée dans le secteur pour les entreprises non-agricoles. Le plafond de l’investissement dans les structures agricoles a été porté à 25% et les limitations à l’entrée sur le marché par le biais de la location de terrains ont été levées. Cependant, les obstacles restent importants, et les entreprises qui ont investi dans des structures agricoles considèrent difficile de réellement s’engager, le plafond de 25% des parts ne leur permettant pas de disposer du droit de gestion.

Par ailleurs, concernant la location des terrains agricoles, on peut noter que des problèmes subsistent : le risque inhérent au renouvellement du contrat et la difficulté à obtenir les meilleures terres. L’implication des entreprises venues d’autres secteurs, importante pour la formation de la nouvelle génération d’agriculteurs, doit être davantage encouragée, notamment en supprimant les restrictions d’investissement.

(b) Les enjeux de la politique d’intensification agricole

En 2009, en réponse au problème des friches, un plan de rationalisation de la propriété agricole régissant les transactions sur les terrains et le rôle des intermédiaires a été mis en œuvre. Cette activité a été confiée aux structures de rationalisation de la propriété agricole, formées par les collectivités locales et les coopératives agricoles, soit 47 entreprises agricoles départementales publiques, 160 organismes facilitateurs (anciennement entreprises agricoles locales publiques) et 380 coopératives agricoles. Ces mesures, limitées à l’année 2009, ont eu un impact modéré. De nombreuses structures ont été créées, mais, du fait que les entreprises du secteur privé en ont été écartées, on voit surtout là une tentative de s’approprier des privilèges et des budgets.

Les friches représentent un problème important, qui va continuer à enfler. Il est d’autant plus indispensable d’ouvrir ce secteur aux entreprises du privé pour mettre à profit leur savoir-faire en matière de transactions et de gestion immobilières.

Les négociations d’adhésion au TPP, une dernière chance ?

En novembre 2011, le Japon a annoncé sa participation aux négociations sur le TPP. L’adhésion au TPP fait l’objet de divers débats au niveau national, et l’agriculture est considérée comme le secteur qui subira le plus fort impact. La participation au TPP aura indéniablement des conséquences, mais il s’agit d’un passage obligé pour renforcer la compétitivité de l’agriculture japonaise.

Les négociations d’entrée au TPP prendront du temps et la suppression des tarifs douaniers est assortie d’une période de transition, le processus dans son entier durera donc au moins dix ans. L’important est ce qui doit être fait durant ce laps de temps ; il faut à tout prix éviter de simplement « maintenir » la situation d’improductivité actuelle.

Nous avons passé en revue les mesures nécessaires : évolution de la politique de réduction de la production rizicole, régime des subventions allouées aux agriculteurs, suppression des obstacles aux investissements pour le secteur privé et mise à profit du dynamisme des entreprises. Si ces mesures sont concrétisées, les dix années qui nous séparent de la mise en œuvre totale du TPP représentent un temps peut-être insuffisant, mais en tout cas précieux. Dans le cas contraire, l’agriculture japonaise pourrait bien s’effondrer avant même son intégration au TPP.

On peut dire sans exagération que les négociations de participation au TPP sont la dernière chance de se pencher sérieusement sur cette question.

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