Les Japonaises et la beauté

Pourquoi les Japonaises veulent-elles avoir le teint clair ?

Culture

Pour les femmes japonaises, un teint lumineux a toujours été synonyme de beauté, comme le montre le proverbe « une peau blanche cache les petits défauts ». De nos jours, malgré la mode du maquillage occidental, les Japonaises restent attachées à un teint clair. Remontons aux sources de cette esthétique.

Le teint clair, une question de bienséance

Dans toutes les sociétés, les femmes ont toujours recherché la beauté. Les Japonaises, particulièrement attirées par les teints clairs, se poudraient déjà de blanc au VIIIe siècle, à l’époque de Nara. Cette pratique devient un signe de beauté à l’époque Heian, du IXe au XIIe siècle, comme en attestent certains passages du Journal de Murasaki Shikibu ou du Dit du Genji. Se maquiller la peau en blanc était alors un signe de statut social dans l’aristocratie.

Courtisanes de Nanakomachi — la toilette, Utagawa Kunisada, 1857 : Préparatifs matinaux dans le quartier des plaisirs. La femme de gauche tient un sachet de son de riz entre ses dents. (Collections de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture)


Les cosmétiques à base de riz sont encore employés de nos jours. (Photo : Kosé “Maihada”)

A l’époque d’Edo, du XVIIe au XIXe siècle, la mode du teint clair s’étend au peuple, et on privilégie une peau moins maquillée, plus naturelle. Miyako fûzoku keshôden (Le Guide de la beauté dans la capitale), publié au début du XIXe siècle et best-seller pendant plus d’une centaine d’années, prône un teint frais et naturel. Comment se laver le visage, préparer un masque à partir de litharge ou traiter l’acné avec des herbes médicinales… ce livre présente toute une palette de procédés pour avoir une belle peau.

Tomizawa Yôko de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture

« Le teint clair recherché par les Japonaises désigne, plus qu’une peau blanche, une peau satinée, "luisante comme le verre", surtout à partir de l’époque d’Edo où l’on s’applique à obtenir une belle peau au naturel », explique Tomizawa Yôko de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture. A l’époque, les femmes passaient, semble-t-il, beaucoup de temps à se maquiller de façon à mettre en valeur leur grain de peau et leur teint ; elles appliquaient et enlevaient les couches de maquillage à plusieurs reprises, se frottaient les joues avec un linge de coton, se poudraient de façon à faire ressortir la luminosité de leur peau… tous conseils donnés dans le Guide de la beauté dans la capitale.

Pour les femmes, le maquillage était une question de bienséance, à tel point qu’elles restaient maquillées du matin au soir, et même pendant le bain. Cependant, se montrer en train de se maquiller était inconvenant. Cette « étiquette du maquillage », encore bien vivante aujourd’hui, est peut-être, pour Mme Tomizawa, la raison pour laquelle il est mal vu de se maquiller dans le train.

(A gauche) Huit vues de femmes — lune d’automne sur le lac, Utagawa Kunisada, XIXe siècle : Une femme se maquille, son kimono baissé pour ne pas le souiller de poudre. Dans le maquillage traditionnel japonais, le visage mais aussi les oreilles, la nuque et le décolleté sont poudrés. Les femmes ont toujours considéré le maquillage comme un acte très intime. (A droite) Bien senjokô appliqué avec une houppette shikibu, Keisai Eisen, vers 1818-1830 : Le Bien senjokô est une marque de poudre à la mode à la fin de l’époque d’Edo. Ici, une courtisane se poudre avec une houppette. (Collections de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture)

Les couleurs de base : blanc, rouge et noir

Seize gestes d’aujourd’hui à la manière des seize Musashi — Okon de Yanagihashi en train de se peindre les lèvres, Toyohara Kunichika, 1871. (Collections de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture)

Le noir — noir de la chevelure des Japonaises, noir des dents peintes des femmes mariées — était aussi un symbole de beauté et d’élégance. Les traditions japonaises voulant qu’une femme se noircisse les dents après son mariage (ohaguro) et qu’elle se rase les sourcils après avoir mis au monde un enfant sont liées à une esthétique morale d’effacement des sentiments. Cette expression de modestie faisait partie de la bienséance (les femmes de l’aristocratie ont cessé de se noircir les dents en 1870, lorsque cette pratique a été interdite de crainte que les Occidentaux la considèrent comme sauvage ; les femmes du peuple ont continué jusqu’à l’ère Shôwa).

Pendant longtemps, le maquillage des femmes japonaises a donc cherché à exprimer modestie et discrétion. Parallèlement, dans les grandes villes comme Osaka, Kyoto ou Edo (Tokyo), se développe une culture de l’élégance, pour aller au spectacle ou à la fête des cerisiers en fleur. Inspirés des toilettes des acteurs de kabuki et des courtisanes, alors prescripteurs en matière de mode, les vêtements aux couleurs vives deviennent à la mode. En même temps, les joues et les lèvres, le regard et les oreilles sont soulignés de rouge.

Ces trois couleurs — blanc, rouge et noir — constituent la palette de base du maquillage japonais, comme chez les acteurs de kabuki par exemple. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié de l’ère Meiji, lorsque la culture occidentale commence à se propager, que les Japonaises adoptent un maquillage aux couleurs plus variées.

Occidentalisation et couleur chair

(A gauche) Carte postale représentant une beauté de l’ère Meiji, aux sourcils peu maquillés. (A droite) Nécessaire à maquillage orné d’un dessin de femme : rouge à lèvres, poudre, atomiseur de poche et fard à joues, 1920-1930. (Collections de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture)


L’affiche de Shiseido « Kyô-beni » (rouge à lèvres de Kyoto) avec Yamaguchi Sayoko. (Photo : Yokosuka Noriaki / Shiseido)

La principale évolution cosmétique de l’époque moderne est l’apparition du concept de couleur « chair ». Vers la fin de l’ère Meiji, lorsque de la poudre colorée est importée d’Occident, les femmes japonaises découvrent qu’il existe des couleurs qui conviennent à leur teint. Durant l’ère Shôwa, la couleur chair est déclinée en de multiples variations, ce qui permet à chacune de choisir une poudre plus proche de son propre teint.

De l’après-guerre aux années 1960, le maquillage à l’occidentale devient à la mode, avec la commercialisation de fards à paupières, fonds de teint, faux cils et mascaras. « L’arrivée de la télévision en couleurs a aussi joué un rôle important dans la diffusion du maquillage occidental. A l’époque, les films étaient souvent dans les tons rosés, et le maquillage rose a connu une vogue », précise Mme Tomizawa. Dans les années 1980, par-delà l’imitation des modes occidentales, la tendance est à la recherche d’une expression personnelle, plus japonaise, dans le maquillage. Le succès international du mannequin Yamaguchi Sayoko, avec sa chevelure noire et lisse et ses yeux en amande, a également encouragé les femmes japonaises dans cette voie.

Retour aux sources

Salon de beauté « Pola The Beauty » à Ginza, Tokyo. (Photo : Pola HD)

A partir des années 80, parallèlement aux attentes des Japonaises, les produits de maquillage connaissent une évolution profonde. Dans la deuxième moitié de la décennie, efficacité et fonctionnalité sont recherchées, l’accent est mis sur les ingrédients et les mécanismes de beauté de la peau, comme le montre le slogan « les cosmétiques commencent à parler science ». Le terme de « soins anti-âge », à la mode ces dernières années, relève aussi de la beauté « scientifique ». Cependant, par-delà les modes dans la façon de se maquiller, les Japonaises considèrent toujours une peau saine comme la clé de la beauté, un concept inchangé depuis l’époque du Dit du Genji, souligne Mme Tomizawa.

« Les tendances sont nombreuses et variées — la peau hâlée a été à la mode, comme les visages minces —, mais l’idéal reste le même : une peau au grain fin, lumineuse comme le verre. En particulier, le boum du teint clair de ces dernières années me semble être un retour aux sources, à l’idéal de beauté d’autrefois. »

Reportage et texte : Ushijima Bifue
Peinture de la bannière : Dames du palais de Chiyoda — cérémonial de la coiffure, Yôshû Chikanobu, 1894-1896. (Collections de l’Institut de recherche Pola sur la beauté et la culture)

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