Le Japonais qui a autopsié Marilyn Monroe

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Le premier Japonais à la tête d’une administration américaine

Thomas Noguchi de son vrai prénom Tsunetomi, né en 1927 dans la préfecture de Fukuoka, est l’un des médecins légistes japonais les plus renommés du monde.

Thomas Noguchi a grandi au Japon pendant la guerre, est parti seul à 25 ans aux Etats-Unis après la fin du conflit et est devenu une référence mondiale dans le domaine de la médecine légale. Ce Japonais installé aux Etats-Unis a dirigé le bureau médico-légal de Los Angeles en Californie, le plus important du pays, a été président de l’Association américaine des médecins légistes et de l’Association mondiale de médecine légale. Thomas Noguchi est sans doute l’un des médecins légistes les plus réputés dans le monde entier, et aussi l’un des Japonais les plus connus.

L’époque la plus marquante de sa carrière est la quinzaine d’années qu’il a passées à la tête du bureau médico-légal de Los Angeles auquel est rattaché Hollywood, le centre vital du show-business. Il était alors le premier Japonais à prendre la direction d’une administration publique américaine.

Le décès de Sharon Tate

Le bureau médico-légal est « l’administration des morts ». Dans ce service, des médecins légistes et un coroner déterminent les causes du décès des personnes mortes dans leur circonscription, en les autopsiant et en allant enquêter sur le terrain si besoin est ; ils s’occupent du défunt tout le long de la chaîne, de l’émission du certificat de décès jusqu’à l’envoi de du corps aux pompes funèbres.

M. Noguchi a autopsié un nombre incalculable de célébrités hollywoodiennes, pour déterminer la cause de leur décès. La chanteuse Janis Joplin, morte au faîte de sa carrière, le comédien John Belushi resté dans les mémoires pour son rôle dans le film Les Blues Brothers, l’acteur William Holden du Pont de la rivière Kwaï, l’actrice Sharon Tate, épouse du réalisateur Roman Polanski et assassinée par les membres de la secte de Charles Manson…

Thomas Noguchi lorsqu’il était médecin légiste au bureau de Los Angeles (photo : collection de l’auteur)

Parmi les autopsies réalisées par M. Noguchi, celle de Marilyn Monroe, « l’actrice la plus sexy du siècle », est toujours vive dans les mémoires. Cinquante ans après sa mort, le mystère entourant les circonstances de son décès attise encore la curiosité du public. Chaque année ou presque, à l’approche de la date anniversaire de sa mort, les médias reviennent sur cette affaire ; au cœur de ces débats d’envergure mondiale figure Thomas Noguchi, le Japonais qui a autopsié Marilyn Monroe.

L’autopsie de Marilyn Monroe

Marilyn Monroe au Japon en 1954 (Photo : Jiji)

Comment s’est déroulée sa « rencontre » avec Marilyn Monroe ?

A vrai dire, M. Noguchi ne s’exprime plus beaucoup sur cette question. Parce que cet épisode, qui ne représente que l’une des multiples facettes de son travail, a toujours fait l’objet de plus de curiosité qu’il n’en peut supporter. Cependant, dans le cadre de la rédaction de mon livre Les dossiers du médecin légiste de Hollywood : le testament de Thomas Noguchi, j’ai pu recueillir son témoignage.

Ce sera la dernière fois — c’est avec ces mots qu’il a commencé son récit de l’autopsie de Marilyn Monroe.

Aujourd’hui encore, il revoit nettement l’actrice sur son lit de mort.

Nous sommes le 5 août 1962, un dimanche matin comme les autres. Thomas Noguchi, jeune médecin légiste du bureau médico-légal de Los Angeles, trouve un message sur son bureau à son arrivée au travail, ce matin-là.

« L’autopsie de Marilyn Monroe sera réalisée par le docteur Noguchi. » Le message émane du directeur du bureau médico-légal.

La veille au soir, le corps de l’actrice âgée de 36 ans a été retrouvé sans vie à son domicile de Los Angeles. Elle reposait à plat ventre, nue, le combiné du téléphone serré dans sa main droite, dans une position peu naturelle. Des somnifères étaient posés sur sa table de chevet.

A l’époque, en raison du manque de personnel au bureau médico-légal, M. Noguchi enchaîne les autopsies de personnes décédées dans des conditions suspectes. Ce jour-là, comme d’habitude, il lit les messages laissés par les équipes chargées de transporter les corps puis se dirige vers la salle d’autopsie. Devant la table en inox, il soulève le drap blanc qui recouvre la défunte.

 « Même morte, elle était belle »

Face au corps sans vie de la femme nue allongée sous ses yeux, il a un bref instant le souffle coupé. Sous ses yeux se trouve la célèbre actrice Marilyn Monroe. Même morte, elle était belle.

Voici comment l’autopsie s’est déroulée. Tout d’abord, M. Noguchi a commencé par inspecter le corps. Le visage, le cou, la poitrine, les bras, le ventre, il a examiné chaque partie avec précaution, attentif à ne pas rater la moindre trace de sang.

Après avoir scruté chaque centimètre carré de peau, M. Noguchi a pratiqué sur le corps une incision en forme de Y, au scalpel. Il en a extrait les organes les uns après les autres pour les examiner, sans trouver d’anomalie. Comme on soupçonnait une prise de somnifères, il a accordé une attention toute particulière à l’appareil digestif. Aucune trace de barbituriques n’a été détectée dans l’estomac ni les intestins.

Lorsque l’on trouve le corps nu d’une femme décédée dans des circonstances tragiques, il est important de savoir si elle a eu des rapports sexuels juste avant sa mort. En effet, des violences sexuelles peuvent être à l’origine du décès. Les célébrités ne font pas exception à cette règle. Mais les examens pratiqués sur Marilyn Monroe n’ont permis de détecter aucune anomalie.

Au bout du compte, la cause du décès de l’actrice a été déterminée grâce à l’analyse toxicologique du sang prélevé durant l’autopsie. La concentration de somnifères dans son sang dépassait de loin les doses mortelles.

M. Noguchi et le bureau médico-légal, après une enquête complémentaire, ont publié leurs conclusions sur les causes de la mort de Marilyn Monroe : suicide par overdose de barbituriques. 

Sur le site d’un crash aérien, à l’époque où Thomas Noguchi dirigeait le bureau médico-légal de Los Angeles (photo de gauche). Reconstitution des circonstances du décès d’un enfant à l’aide d’un mannequin (photos : collection de l’auteur)

Le combat contre la théorie du complot autour de la famille Kennedy

Mais ce n’est là que le début du véritable combat pour M. Noguchi. Les résultats de l’autopsie sont le terreau de théories du complot encore vivaces de nos jours. La plus tenace de ces nombreuses rumeurs veut que la mort de Marilyn Monroe ne soit pas un suicide mais un assassinat déguisé en suicide aux barbituriques. Et le commanditaire en serait la « famille royale » des Etats-Unis, c’est-à-dire la famille Kennedy.

En effet, le président assassiné John F. Kennedy et son frère cadet Robert Kennedy, ancien ministre de la Justice, ont tous deux eu une liaison avec l’actrice. De ce fait, des rumeurs s’élèvent : Robert aurait éliminé Marilyn pour effacer les traces de son adultère, ou bien Marilyn aurait été supprimée parce qu’elle avait eu connaissance de secrets d’Etat. Certains ont même prétendu que Thomas Noguchi avait falsifié les résultats de l’autopsie.

Six ans après la mort de Marilyn Monroe, M. Noguchi se trouve étroitement mêlé à la famille Kennedy. Robert Kennedy, ancien amant de l’actrice, est assassiné à Los Angeles en plein discours pendant la campagne présidentielle.

L’autopsie de Robert Kennedy

L’assassinat de Robert Kennedy (photo : Aflo)

Quel terrible hasard.

Nous sommes le 5 juin 1968, il est une heure du matin. Le téléphone de Thomas Noguchi sonne. L’appel le réveille, et il a du mal à en croire ses oreilles : Robert Kennedy prononçait un discours à l’hôtel Ambassador lorsqu’il a été atteint de plusieurs balles à la tête. Il est mort à l’hôpital, quelques heures après son transfert. La police a arrêté en flagrant délit un Américain d’origine palestinienne, Sirhan Sirhan.

Il est normal que l’autopsie revienne au bureau médico-légal de Los Angeles, le crime ayant été commis dans sa circonscription. Mais la victime est l’un des membres de la famille Kennedy, au cœur de la scène politique américaine, et candidat à la présidence. Les hauts fonctionnaires de Washington, abusant de leur pouvoir, ont alors tendance à mépriser les lois et coutumes locales. Avec des hommes politiques locaux à leur solde, ils règnent en maître.

Le clan Kennedy a tenté de faire immédiatement transporter la dépouille de Robert vers la capitale, Washington DC. Cependant, le sort du suspect n’est pas fixé tant que la condamnation n’a pas été prononcée. Et pour réunir les preuves de sa culpabilité, une autopsie est indispensable, mais le bureau médico-légal a ici affaire à la toute-puissante famille Kennedy. Thomas Noguchi parvient tant bien que mal à vaincre les réticences du clan Kennedy et effectue l’autopsie à Los Angeles. Elle dure six heures et demie.

Cette autopsie sera louée par les médecins légistes et les pathologistes du monde entier. M. Noguchi acquiert alors, à juste titre, une renommée mondiale.

« Le maître de l’autopsie »

Le travail et les déclarations de Thomas Noguchi, l’homme qui a recueilli « l’ultime soupir » des dépouilles de Marilyn Monroe et de Robert Kennedy, gravant ainsi son nom dans l’histoire des Etats-Unis, suscitent toujours la curiosité du public. Précisons qu’au mois de mars de cette année, on a encore vu dans les médias américains des titres proclamant que « John avait demandé à Robert de se débarrasser de Marilyn pour cacher sa liaison avec deux Kennedy ».

Thomas Noguchi lorsqu’il était professeur à l’université de Californie du Sud (photo : collection de l’auteur)

Thomas Noguchi, aujourd’hui âgé de 87 ans, est toujours un scientifique actif. En tant que directeur honoraire du bureau médico-légal de Los Angeles et professeur émérite de l’Université de Californie du Sud, il se consacre à la formation des jeunes et participe aussi à des rencontres internationales dans le monde entier. Il donne également de nombreuses conférences, faisant preuve d’une vitalité sans limites.

Enfin, depuis quelque temps, il travaille à des recherches sur l’éthique de l’autopsie et du travail du médecin légiste pour une université de troisième cycle, où il formalise ses travaux. Et il répète souvent qu’il ne se contentera pas de vivre jusqu’à 100 ans, mais qu’il continuera à travailler jusqu’au bout. Son dynamisme est inépuisable.

(D’après l’original paru en japonais le 25 juin 2014)

Bibliographie : Les dossiers du médecin légiste de Hollywood : le testament de Thomas Noguchi (Shinchôsha), par Yamada Toshihiro

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