« L’Île aux chiens » : le Japon vu par Wes Anderson

Culture Cinéma

Wes Anderson, vraiment influencé par des réalisateurs japonais ?

L’Île aux chiens, réalisé par Wes Anderson (2018), est un film d’animation en volume (stop motion) qui se déroule au Japon dans un avenir proche, et dont les personnages principaux sont des chiens. Ces derniers parlent en anglais, alors que les personnages humains s’expriment en japonais. Cependant, les paroles en japonais ne sont pas sous-titrées. Pour le public comprenant le japonais, le mélange des deux langues résulte en une agréable confusion.

L’histoire se déroule dans la ville de Megasaki dans un futur dystopique où un virus de la grippe canine commence à se propager parmi les chiens. Le maire Kobayashi, prétendant que la maladie pourrait se répandre aux habitants de la ville, signe un décret bannissant tous les chiens à un site d’élimination des déchets sur l’île Trash Island. Le premier chien à y être envoyé est Spots, chien de garde de la famille Kobayashi.

Quelques mois plus tard, Trash Island est remplie de chiens. On suit l’histoire d’une meute de cinq mâles dominants : Chief, ancien chien errant, menant Rex, King, Boss et Duke. Devant leurs yeux apparaît le jeune Atari, neveu et pupille du maire, venu sur l’île pour retrouver son fidèle compagnon Spots.

Wes Anderson cite Kurosawa Akira et Miyazaki Hayao parmi les réalisateurs japonais qu’il respecte. L’apparence du maire Kobayashi, jusqu’à la coiffure et le costume, s’inspire du personnage joué par Mifune Toshirô dans Entre le ciel et l’enfer (1963) de Kurosawa. Pourtant, aucun élément de l’histoire ne semble être influencé en particulier par ce dernier. Dans le documentaire Hitchcock/Truffaut (2015), Anderson fait les éloges des films d’Alfred Hitchcock, analysant pourquoi ils sont si intéressants. Mais on ne retrouve pratiquement rien des particularités du thriller hitchcockien dans son style. Bien qu’Anderson apprécie et s’inspire des réalisateurs du monde entier, il possède un style et un univers tellement propres à lui qu’il est difficile de déceler dans ses films des influences extérieures allant au-delà de simples hommages.

Celles et ceux qui suivent Anderson depuis ses premiers films seront probablement surpris, voire même déconcertés, en découvrant qu’il est un grand admirateur du travail de Miyazaki Hayao. Pourtant, nous ne retrouvons rien de l’humour noir d’Anderson dans les réalisations de Miyazaki, et bien que leurs univers comportent des éléments de « fantasy », ils restent complètement différents. Nous avons d’un côté, dans le monde de Miyazaki, des êtres imaginaires comme Totoro ou le Chat-bus qui transforment des paysages ordinaires en des mondes mystérieux, et d’un autre, dans les films d’animation d’Anderson, des animaux aux caractéristiques très humaines qui évoluent dans des décors artistiquement très détaillés. Compte tenu de leurs styles très distincts, on ne peut qu’être dubitatif en constatant combien l’influence des réalisateurs japonais a été mise en avant pour faire la publicité de L’île aux chiens.

La technique de l’animation en volume (stop motion) utilisée dans L’Île aux chiens est un processus qui requiert beaucoup de temps car la position des marionnettes doit être changée petit à petit entre chaque image. (© 2018 Twentieth Century Fox Film Corporation)

Culture étrangère et « politiquement correct »

Le film se déroule sur l’île Trash Island et la ville Megasaki (lieux imaginaires), qui sont un reflet du Japon d’aujourd’hui, même si l’histoire prend place dans un avenir proche. Des éléments emblématiques de la culture japonaise, comme le sumo et les tambours taiko apparaissent à l’écran, mais ce qui attire le plus l’attention est la représentation étonnamment réaliste des aspects quotidiens de la vie urbaine, comme les pensions de famille typiquement japonaises et les restaurants de râmen. Bien qu’il ait des exagérations liées à l’utilisation de marionnettes, on ne tombe jamais dans le faux ou l’à-peu-près. En revanche, l’île où les chiens sont exilés est entièrement fictive, sans la moindre impression d’être au Japon car les chiens – qui sont les personnages principaux de Trash Island – parlent en anglais et ont des noms anglais.

Certains ont estimé que le film était « politiquement incorrect ». Il est aujourd’hui nécessaire, lorsque l’on intègre des éléments de cultures étrangères dans tout processus créatif, d’éviter de commettre des erreurs ou de manquer de respect. Si ce n’est pas le cas, les auteurs de telles œuvres peuvent s’attendre à voir les défauts signalés sur les réseaux sociaux.

Il est probablement impossible de satisfaire à 100 % la totalité du public sur le « politiquement correct » lorsqu’on tourne un film dans un pays étranger. Que faire dans ce cas-là ? Je pense qu’il est important d’étudier minutieusement la culture de ce pays et de prendre une position respectueuse et prudente, tout en ayant le courage de travailler librement et d’être imaginatif.

Un bon exemple est Black Panther, le blockbuster planétaire de cette année. Ce film hollywoodien, qui se déroule principalement dans un pays africain fictif, a été très largement salué pour avoir réussi à fusionner diverses cultures et particularités locales africaines avec la culture américaine contemporaine. Mais même Black Panther a été critiqué pour avoir représenté certaines coutumes qui sont aujourd’hui obsolètes. Pour ou contre, les deux opinions se valent : on ne peut éviter de susciter des avis divergents.

Une approche prudente

Personnellement, je ne pense pas que L’Île aux chiens contrevienne au « politiquement correct ». Mais j’ai ressenti que certains problèmes apparaissaient au sujet de l’utilisation des langues. Les chiens s’expriment en anglais et perçoivent le japonais que parlent les humains – qui n’est pas sous-titré – comme une langue étrangère. Certains ont critiqué cet aspect du film car les chiens ont des conversations complexes en anglais alors que les personnages japonais s’expriment en des termes très simples, reflétant pour eux un sentiment de supériorité de la part des créateurs du film sur les Asiatiques. Mais compte tenu du rythme soutenu du film et de la densité des dialogues, il y a une limite à la quantité de sous-titres ou de doublage utilisables quand deux langues aussi différentes sont parlées. Sur ce point, je pense qu’Anderson aurait pu considérer plus en profondeur la difficulté de travailler en dehors de sa langue maternelle.

Par ailleurs, il y a peut-être des Japonais qui ont trouvé gênant le fait qu’un réalisateur américain utilise le Japon comme cadre pour une histoire où des chiens malades sont isolés sur une île. Cependant, en observant la représentation soignée de la culture japonaise à travers tout le film, on comprend que le Japon n’est en aucun cas méprisé. L’Archipel sert de lieu pour raconter l’histoire d’un chien errant endurci qui apprend à aimer à nouveau en rencontrant un garçon qui adore les chiens. Et soulignons avant tout que le monde de marionnettes d’Anderson est très enchantant.

Aussi bien cinéastes que spectateurs doivent être sensibles au « politiquement correct ». Si les spectateurs ne se rendent pas compte qu’un film comporte des préjugés ou de la discrimination, il y a beaucoup de chance que le réalisateur et son équipe n’en sauront rien. C’est pourquoi il est nécessaire que quelqu’un les signale. En même temps, si un cinéaste fait preuve d’une grande créativité en s’inspirant de sa fascination profonde pour un pays autre que le sien, je pense qu’il est de mauvais goût de ne pas se montrer compréhensif et tolérant.

L’Île aux chiens

Écrit, produit et réalisé par Wes Anderson, qui a remporté l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au festival international du film de Berlin de 2018. Distribution des voix (version originale) : Bryan Cranston, Bill Murray, Edward Norton, Scarlett Johansson, Greta Gerwig, Frances McDormand et Yoko Ono. Nomura Kun’ichi, qui prête sa voix au maire Kobayashi, a également coécrit le film et travaillé en tant que consultant pour la langue japonaise.

(Photo de titre: une scène de L’Île aux chiens © 2018 Twentieth Century Fox Film Corporation)

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