Qu’appelle-t-on un « snack bar », au Japon ?

Culture Tourisme

L’année dernière, avec d’autres collègues chercheurs, nous avons reçu une subvention de la Fondation Culturelle Suntory, grâce à laquelle nous avons publié un ouvrage intitulé : « La sphère publique de la nuit au Japon – Une introduction à l’étude des snack bars » (éd. Hakusuisha). Après cet ouvrage, j’ai donné des conférences dans divers endroits sur le thème « Qu’est-ce qu’un snack ? ». Aujourd’hui, je voudrais m’appuyer sur cette expérience pour vous présenter ce qu’on appelle un « snack » au Japon, et quelques autres types d’établissements qui certes, ressemblent à des snacks, mais qui n’en sont pas.

Qu’est-ce qu’un snack ?

Au Japon, on appelle snack (forme abrégée de « snack-bar »), un établissement dans lequel, de façon générique, une femme que l’on appelle « mama », prépare et sert des petits mets à grignoter et des boissons alcoolisées, typiquement des longs drinks, et bavarde avec les clients de sa place derrière le comptoir. Le forfait de base est à peu près le même dans tout le Japon et tourne autour de 3 000 yens (environ 23 euros) comprenant l’occupation de la place, une petite assiette de mets, ainsi que glaçons et eau minérale ou gazeuse à volonté.

La première assiette de petites choses à grignoter appelée otôshi viendra automatiquement dès que vous prendrez place : un plat simple fait main par la mama, ou des biscuits ou grignotages séchés et salés, dépendant de l’établissement. Pour l’alcool, vous pouvez commander au verre, ou également acheter une bouteille de whisky ou de shôchû, que la mama gardera à votre nom au magasin (on appelle ce système keep) et que vous pourrez consommer à volonté à chacune de vos venues dans le cadre du forfait de base.

Contrairement à un établissement de type kyaba-kura (abrégé de « cabaret-club ») dont nous reparlerons plus bas, dans un snack, vous ne pouvez pas appeler une hôtesse de votre choix à venir s'asseoir à vos côtés. D’ailleurs, dans de très nombreux snacks, la mama officie seule. C’est un endroit où l’on se rend pour y trouver une ambiance confortable, pour converser avec la mama, les quelques autres clients, et éventuellement chanter quelques chansons au karaoké.

Il n’existe pas de définition stricte d’un snack. Il s’agit en première instance d’un débit de boissons ouvert la nuit dans lequel l’interaction avec le client se produit « face à face », c’est dire que la femme qui sert le client n’est jamais assise à côté de lui, importante distinction opérée par la loi japonaise. Ces établissements sont en effet soumis aux règles de la loi sur la gestion et l’objet commercial des établissements dits « de mœurs », qui règle de façon très stricte les interactions entre personnels et clients.

Il semble que les snacks soient apparus au Japon autour de 1964, l’année des Jeux olympiques de Tokyo. Néanmoins, la date exacte et le lieu du premier établissement de ce type restent inconnus, ce qui fait contraste avec le début du genre « cabaret club », qui lui, est parfaitement documenté du mois de mai 1982, avec l’ouverture du New Gaga à la sortie Est de la gare d’Ikebukuro. Dans le contexte de l’organisation du grand événement international des Jeux olympiques, une campagne de normalisation des établissements dits « de mœurs » fut engagée, avec la mise en place d’une règlementation de l’ouverture la nuit des débits de boissons. Les snacks sont alors apparus comme une façon de circonvenir cette règlementation, en ne servant plus uniquement de l’alcool mais une « légère collation », proprement dits : des snacks. En effet, les établissements qui servaient de la nourriture échappaient à la limitation de l’heure d’ouverture.

Ne pas confondre : « bar », « cabaret-club » et « girls bar »

On me demande souvent, tout particulièrement quand je donne une conférence dans la capitale, quelle est la différence exacte entre un snack, un « bar », un cabaret-club, et un girls bar. En province, ces différences relèvent de l’évidence, ce n’est jamais la question que l’on me pose en premier.

Tout d’abord, la différence entre snack et bar tient à la prédominance de l’alcool ou de la conversation. Dans un bar, la boisson est le maître. L’objectif premier dans un bar est d’apprécier la qualité de la boisson. Il y est possible de bavarder avec le barman ou les autres clients, mais cette fonction est secondaire et accessoire par rapport à la boisson. D’autre part, certains bars facturent un forfait pour la place, mais cette charge n’excède pas 1 000 yens environ. Autrement dit, un bar est un endroit où l’on va pour apprécier l’alcool, pas un endroit où l’on va pour rechercher le plaisir d’une conversation, ce qu’est précisément un snack. Un bar, c’est un endroit dont l’ambiance correspond au fameux poème de Wakayama Bokusui :

Les perles pures d’alcool
qui percent les dents les nuits d’automne
se dégustent dans le calme et le silence

Un girls bar, pour sa part, opère dans la même cadre légal qu’un snack, c’est-à-dire celui d’un « débit de boissons alcoolisées ouvert après minuit ». La principale distinction avec le snack est que le girls bar est essentiellement tenu par des jeunes femmes d’une vingtaine d’années. De façon générique, il n’y a pas de mama. L’âge d’une mama de snack n’est évidemment pas fixé, mais il est globalement supérieur à celui des filles qui servent dans un girls bar. L’alcool y est vendu au verre. Outre le forfait pour l’occupation de la place, le client est censé payer à boire à la fille qui le sert, ce qui fait grimper la recette de l’établissement. Le girls bar se rapproche du cabaret-club dont nous allons parler maintenant, dans le sens où l’alcool a tendance à devenir secondaire par rapport à la couleur plus appuyée du charme féminin que l’on vient y chercher, comparativement à celui d’un snack.

Le cabaret-club, enfin, relève d’une catégorie légale différente, puisque l’endroit doit posséder une licence d’établissement « de mœurs ». Cette licence autorise les serveuses à s’asseoir à côté des clients, ce qui n’est pas permis dans les établissements de débits de boissons et nourriture ouverts après minuit. La note est essentiellement facturée au temps passé, avec des frais supplémentaires pour demander une hôtesse particulière. Le système keep existe parfois, généralement pour des bouteilles de marques à un prix très élevé, mais c’est en général un système de boisson « à la bouteille de la maison » (c’est-à-dire « à volonté ») qui est la base. La présence féminine est souvent nombreuse, sans mama.

Si nous montons encore en gamme, nous aboutissons à la catégorie des clubs de luxe, dont ceux de Ginza sont les plus célèbres. À partir de là, les nuances et sous-catégories sont infinies…

La culture du snack trouve ses racines en province

Cela dit, dans les établissements de province, il n’est pas rare qu’une jeune femme vienne s’asseoir à côté de vous pour vous servir et bavarder avec vous alors même que le panneau « Snack » est arboré devant la porte… En réalité, le lieu a obtenu une autorisation légale d’activité « de mœurs » sous l’appellation « snack », mais d’un point de vue strictement catégoriel, cela devrait s’appeler un lounge. Une mama officie un lounge, et de façon générale, il n’est pas possible de réserver les services d’une serveuse particulière. Disons alors que le lounge se situe entre le snack et le cabaret-club, mais plus proche du snack tout de même. Un snack dans lequel le service est légèrement plus érotisé, si vous préférez. Certaines villes de province, même d’une certaine importance, ne possèdent pas de cabaret-club, mais vous y trouverez sans aucun doute au moins un lounge en activité sous le nom de snack.

Car on peut dire que la culture du snack japonais a des racines très fortement implantées en province. N’importe où, dans une région qui vous est inconnue, ou en voyage, c’est dans un snack que vous avez le plus de chance de vous faire accepter par les gens du cru. Et si les snacks ont presque disparu du centre de la capitale, le charme des nuits japonaises est toujours bien vivant à la campagne.

Il faudrait ajouter quelques autres types d’établissements dont l’essentiel de l’activité a lieu la nuit, comme les « grands cabarets » et les supper clubs (boîtes de nuits haut de gamme proposant aussi des repas), mais la conjoncture fluctuante de l’industrie du loisir nocturne ne leur a pas vraiment donné l’opportunité de prospérer. Les concepts apparaissent et disparaissent aussi vite que l’écume des jours s’évapore. Viendra un jour où il faudra se creuser la tête pour retrouver le souvenir de ce qu’était un snack. Le présent article aura essayé de préserver une trace de l’essentiel.

(Photo de titre : Shianbashi yokochô, le quartier des bars et des restaurants de Nagasaki. Jiji Press)

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