Le football n’est pas un sport « réservé aux Japonais »

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Le dimanche 23 mars, les Urawa Reds faisaient match nul contre les Shimizu S-Pulse à Saitama, dans un stade vide et aux portes fermées, la première rencontre jamais jouée à huis clos dans l’histoire de la J-League, la ligue professionnelle de football du Japon. La fermeture du stade aux supporters, qui selon certaines estimations devrait coûter au club d’Urawa quelque 300 millions de yens, sanctionne un incident intervenu le 8 mars : une banderole portant les mots « Japanese Only » (« réservé aux Japonais ») avait été installée dans les tribunes pendant un match contre les Sagan Tosu. Des clichés de la banderole avaient rapidement fait le buzz sur les réseaux sociaux, déclenchant un débat sur internet et dans la presse quant à sa signification et son objectif.

Le match du 23 mars s’est déroulé devant des tribunes vides de supporters et de drapeaux. La porte 209 se trouve juste sous l’écran géant.

La banderole en question avait été accrochée dans le couloir devant la porte 209 des tribunes, qui mène directement aux sièges situés derrière les cages de but à l’extrémité nord, c’est-à-dire dans le virage des ultras, les supporters les plus fanatiques. Les ultras d’Urawa soignent leur image de durs à cuire : ils affichent ouvertement leur rejet de l’autorité à travers un drapeau géant à l’effigie de Che Guevara. J’habite à Urawa et j’assiste régulièrement aux matchs de l’équipe depuis plus d’une dizaine d’années (bien que je n’aie pas pu assister à ce match-là). Je connais donc les habitudes des ultras, et quand j’ai vu le débat s’amorcer sur Twitter, je me suis arraché les cheveux, c’était reparti.

Mais, au fur et à mesure que la controverse enflait, j’ai commencé à me poser des questions. Tout d’abord, à cause de la réponse, ou plutôt de l’absence de réponse des dirigeants des Urawa Reds. Le club réagit généralement avec rapidité et fermeté aux incidents impliquant des supporters. Cette fois-ci, cependant, la lenteur de la réaction a suscité des critiques méritées. Une déclaration postée sur le site internet du club, soulignant la réponse donnée à l’incident et réaffirmant l’engagement des Reds au projet « Sport pour la paix », ressemblait plutôt à une tentative d’évacuer le sujet ; il a fallu attendre le 13 mars et la lourde sanction de la J-League pour que le club annonce l’exclusion définitive du groupe à l’origine de cet incident et l’interdiction temporaire des banderoles et drapeaux pour tous les matches, à domicile comme à l’extérieur.

Une autre chose qui m’a intrigué est la platitude avec laquelle cet incident s’est clos. Le président de la J-League, Murai Mitsuru, s’est montré ferme dès le début. Il a justifié la lourdeur de la sanction par la gravité de l’acte et les incidents passés impliquant des supporters d’Urawa, entre autres. Mais la traduction officielle en anglais de sa déclaration m’a fait grincer des dents. Elle était certes fidèle au sens, mais d’une qualité qui affaiblissait de façon frustrante l’impact du message de M. Murai.

La théorie la plus dérangeante pour expliquer cet incident est que la banderole serait un message nationaliste. Un article du Huffington Post Japan (en japonais) reprend une interview de Sagara Sumitomo, autrefois tête de file d’un groupe de supporters ultras, disant que « les ultras n’aiment pas la Corée. » L’article signale aussi que Lee Tadanari, un joueur de l’équipe nationale du Japon d’origine coréenne récemment transféré à Urawa, a été hué. Mais une lecture soigneuse de l’interview dans son intégralité (publiée dans l’édition de mars du magazine officiel des Urawa Reds) montre que Sagara semble plutôt décrire les récentes tensions au Japon et non pas promouvoir le racisme.

L’explication la plus probable est celle d’une fierté un peu bornée des supporters. L’espace derrière les buts est limité, et la hiérarchie entre les groupes de supporters décide de l’emplacement de chacun. Les supporters indépendants sont autorisés à se faufiler derrière les groupes établis dans la mesure où plus on est nombreux, mieux c’est. C’est ce que j’ai fait quand j’ai commencé à assister aux rencontres jouées au stade Komaba, qui accueillait autrefois les matches de l’équipe. Posté à quelques mètres à peine du leader et des tambours, j’ai vite compris que le marché, pour avoir une place, était d’encourager l’équipe en permanence. Il était hors de question de s’arrêter, même pas pour aller aux toilettes ou si l’équipe perdait. Au stade de Saitama, cette règle s’applique entre les portes 208 et 209.

J’ai remarqué, au fil des années, la présence d’un nombre croissant de supporters étrangers aux matches, sans doute attirés par l’atmosphère intense. Beaucoup d’entre eux s’aventurent dans le carré des ultras par curiosité (ou voyeurisme), sans être au fait des stricts codes de conduite qui le régissent. Plutôt qu’un message de mépris destiné à tous les étrangers, la banderole du match du 8 mars était sûrement une réaction de certains ultras face aux étrangers qui vont innocemment se mettre dans les jambes de gens qui prennent très au sérieux ce qu’ils font. Cette explication semble coller au commentaire fait par les supporters aux enquêteurs des Reds : « Le virage nord est à nous. Nous ne voulons personne d’autre ici, et encore moins des étrangers. »

De nouveau, je suis perplexe. Qu’imaginaient-ils ? Avec plus de dix millions de touristes au Japon en 2013 et un nombre croissant de résidents étrangers, ceux qui ont du mal à s’adapter à l’évolution de la société vont devoir apprendre à régler les frictions interculturelles autrement qu’en disant simplement aux gens qu’ils ne veulent pas d’eux. J’espère que la lourde sanction prise par la J-League sera l’occasion de discuter des moyens de se montrer plus tolérant. En attendant, je continuerai à aller soutenir les Reds, mais depuis un autre carré des tribunes nord — parce que je commence à être trop vieux pour les cris et les chants, et aussi parce que le virage n’est pas la meilleure place pour assister à un match, la vue étant le plus souvent bouchée par des têtes et des drapeaux. L’atmosphère y est cependant fantastique, et je garderai l’œil sur ce qui se passe là-bas.

(D’après un original en anglais publié le 23 mars 2014.)

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