La fermeture du Stade national du Japon : la fin d’un symbole

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Les planificateurs des Jeux olympiques de Tokyo 2020 ont dû s’attaquer aux dures réalités de la préparation de cet événement international. Parmi elles, l’arasement de l’un des symboles les plus persistants des Jeux olympiques de Tokyo de 1964 : le Stade national de Kasumigaoka.

Le 31 mai 2014, le Stade national a fermé définitivement ses portes, pour laisser la place au Nouveau stade national, une gigantesque structure conçue par l’architecte de renom Kuma Kengo.

Depuis son ouverture en 1958, le stade, affectueusement baptisé « Kokuritsu », ou simplement « National », a été le théâtre d’innombrables événements sportifs. En 1964, et pour la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques, l’Éthiopien Abebe Bikila a obtenu, en franchissant la ligne d’arrivée, une double médaille d’or du marathon. En 1979, un certain Diego Maradona, alors âgé de 18 ans a fait ses débuts mondiaux à l’occasion de la Coupe du monde des espoirs de la FIFA, et marqué à cette occasion un but pour l’Argentine dans le match qui l’opposait à l’Union soviétique. Et les championnats du monde d’athlétismes de 1991 ont vu le sprinter américain Carl Lewis établir un nouveau record en courant le 100 mètres en 9,86 secondes, tandis que son coéquipier Mike Powell battait l’un des records mondiaux les plus longtemps indépassés de l’histoire de l’athlétisme, celui du saut en longueur enregistré en 1968 par Bob Beamon.

La cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques 1964 s'est déroulée au Stade national de Kasumigaoka, Tokyo. (Photo : Jiji Press)

Dans le cadre de son projet « Sayonara Kokuritsu », le Conseil japonais des sports, qui est chargé de la gestion du lieu, a programmé divers événements pour célébrer l’histoire du stade. Il y a eu au programme plusieurs derniers matchs de football et de rugby, un ultime grand prix d’athlétisme et, le 31 mai, une finale grandiose à laquelle ont participé des athlètes prestigieux de jadis. Le clou du spectacle aurait dû être un concert de deux jours donné par Sir Paul McCartney. Mais malheureusement, celui-ci a été contraint d’annuler toutes ses dates de tournée pour raisons de santé.

La démolition de l’ancien stade a commencé en juillet, et l’achèvement du nouveau est prévu pour 2019, de façon à ce que la Coupe du monde de rugby puisse s’y tenir. L’emblématique chaudron olympique, refondu à la main par Suzuki Bungo juste à temps pour les Jeux de 1964, après l’échec de la première tentative faite par son père Mannosuke, aura sa place dans le nouveau stade. En revanche, le sort des deux belles mosaïques de la déesse grecque Nike et du mythique lutteur de sumo Nomi no Sukune, que l’on doit à l’artiste Hasegawa Roka et qui dominent la tribune principale, n’est toujours pas décidé.

À mesure qu’approche l’heure du lever de rideau, des voix s’élèvent pour demander une suspension des travaux de construction du nouveau stade. Un groupe d’architectes japonais, mené par le lauréat du prix Pritzker Maki Fumihiko, a exprimé son mécontentement à propos du projet actuel, qu’il juge trop ambitieux et accuse de ne pas être en phase avec l’environnement. Le groupe ne conteste pas directement les plans, qui ont été revus à la baisse, mais il critique le manque de transparence du projet, l’absence d’espaces naturels et la destruction de l’environnement. Il a demandé que la démolition de l’ancien stade soit reportée jusqu’à ce que ces questions soient résolues. Aux yeux de certains, cette prise de position est motivée par le dépit, mais il n’en reste pas moins qu’un projet de stade dans lequel ne figure pas un seul arbre est sujet à caution, d’autant que l’environnement historique et culturel unique que constitue le complexe de Jingû Gaien, au sein de laquelle se trouve le stade, fait l’objet d’un plan de préservation du paysage.

Autre grande question : le coût du nouveau stade. L’estimation originelle de 185 milliards de yens a été ramenée aux alentours de 170 milliards, mais personne ne peut plausiblement soutenir que le montant total de la facture ne dépassera pas largement ce chiffre, ce qui est d’autant plus problématique qu’on ignore ce qu’il adviendra du lieu quand les Jeux olympiques ne seront plus qu’un souvenir.

Le stade actuel, qui était régulièrement le théâtre de toute une variété d’événements sportifs tant amateurs que professionnels, était considéré comme un « terrain sacré » pour le football et le rugby, ainsi que pour les nombreuses finales de lycées et collèges qui s’y déroulaient. Les frais d’entretien du lieu s’élèvent à 500 millions de yens par an — un montant certes non négligeable, mais qui permettait de maintenir les droits d’utilisation du stade à un niveau suffisamment modeste pour que les organisations d’amateurs puissent y organiser des événements. En comparaison, les coûts annuels de la maintenance du nouveau stade sont estimés à quelque 4 milliards de yen. Il n’est pas difficile d’en déduire que les tarifs d’utilisation vont contraindre bien des organisations à chercher d’autres lieux.

L’idée circule que le stade pourrait générer des recettes en hébergeant davantage de concerts et de compétitions sportives très en vue, mais la concurrence est féroce entre les lieux qui souhaitent attirer ce genre d’événements. Tokyo, Osaka, Saitama et Yokohama se partagent déjà les matchs de l’équipe nationale de football et ce n’est pas tous les jours que des événements de grande ampleur comme les Championnats du monde d’athlétisme échoient au Japon (le dernier en date a eu lieu à Osaka en 2007). Les concerts constituent une source plus régulière de revenus, mais on a du mal à imaginer ce que le nouveau stade pourrait offrir de plus pour détourner les spectacles de grand renom des lieux consacrés tels que le Tokyo Dome et la Saitama Super Arena.

Le style emphatique dont s’est nourri l’appel d’offres international pour la conception du nouveau stade olympique — la phrase « un projet national d’une ampleur sans précédent au cours de ce siècle » aurait dû déclencher la sonnette d’alarme — ne remplira pas les sièges des spectateurs. Le lieu risque de devenir l’éléphant blanc de 2020. Le seul espoir qui reste pour que le stade ne connaisse pas le même sort que le fameux Nid d’oiseau de Pékin, resté dans une large (et très coûteuse) mesure inactif depuis les Jeux de 2008, est que les planificateurs tiennent parole et mènent leur projet à bien avec l’entière participation du public. Tout repose entre les mains des organisateurs et, à mesure que le calendrier de la construction du lieu se resserre, la probabilité d’une issue qui préserve l’héritage du stade national s’amenuise.

(Adapté d’un original en anglais paru le 2 mai 2014.)

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