L’inquiétant recul du renouvellement des chercheurs scientifiques au Japon

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Les programmes de recherche scientifique des universités japonaises sont en perte de vitesse et le nombre des étudiants du troisième cycle décidés à poursuivre leurs études jusqu’au doctorat est en déclin. La plupart des chercheurs postdoctoraux finissent par occuper des postes précaires et mal rémunérés dans les laboratoires universitaires. À moins que les universités ne se réforment elles-mêmes en profondeur, les initiatives des pouvoirs publics en vue de promouvoir l’innovation, et notamment le système de prétitularisation conditionnelle pour les jeunes scientifiques, ont peu de chances de donner des résultats.

Un scandale a eu lieu au début de l’année 2018. Un chercheur du Centre de l’Université de Kyoto pour la recherche sur les cellules souches pluripotentes induites (iPS) et leur application avait publié un document contenant des données fabriquées de toutes pièces. Le chercheur en question était un associé de recherche engagé en contrat à durée déterminée. Des voix se sont élevées suggérant que ce sont les pressions exercées sur lui pour qu’il produise des résultats avant la fin de sa période d’emploi qui l’avaient incité à recourir à la falsification. Pourtant, cette faute constitue un cas pratiquement unique dans le milieu des chercheurs non titulaires, et il est donc incorrect d’invoquer le statut professionnel de ce chercheur comme la principale explication à sa manipulation de données…

Ceci dit, il est regrettable que 60 % des jeunes chercheurs universitaires japonais soient employés au titre de contrat à durée déterminée. Et c’est peut-être l’une des raisons du déclin actuel de la proportion des étudiants de troisième cycle qui continuent jusqu’au doctorat après avoir obtenu leur maîtrise.

Que faire pour remédier à cette situation ? Le premier pas qui vienne à l’esprit consisterait à augmenter l’aide financière accordée aux étudiants de troisième cycle, notamment ceux qui préparent un doctorat. Dans les universités occidentales, les étudiants entrant en recherche reçoivent en général une rémunération. Au Japon, certains d’entre eux parviennent à gagner un modeste salaire en travaillant comme adjoints de recherche, mais cette possibilité n’existe qu’au sein des universités bien nanties ou des instituts de recherche disposant d’un financement concurrentiel abondant grâce à la sélection de leurs projets de recherche. Mais ce salaire ne suffit pas pour vivre.

Je ne peux pas dire, toutefois, que je soutiens sans réserve l’idée d’utiliser l’argent des contribuables pour payer tous les étudiants qui préparent un doctorat. Bien des universités ont trop peu de doctorants pour satisfaire aux quotas de recrutement qui leur sont affectés, et elles subissent de fortes pressions pour les inciter à recruter davantage. En conséquence de quoi, il peut arriver que l’assouplissement excessif des normes d’admission ne permette plus de garantir la pleine qualification des nouvelles recrues.

Un programme de bourses pour lequel peu de chercheurs se qualifient

La Société japonaise pour la promotion de la science a mis en place un dispositif d’attribution de bourses de recherche aux jeunes scientifiques. « Attribuées aux jeunes chercheurs de premier plan », explique cette société, « ces bourses offrent à leurs bénéficiaires une opportunité de se consacrer à un sujet de recherche choisi librement sur la base de leurs propres idées innovantes. » En dernière analyse, le programme a pour objet de former et de pérenniser un effectif de chercheurs de haut niveau. Les boursiers recrutés qui préparent un doctorat reçoivent une rémunération mensuelle de 200 000 yens. Bien que ce montant ne soit pas nécessairement suffisant pour couvrir toutes leurs dépenses, il semble constituer un niveau de soutien financier adéquat.

Au cours de l’année universitaire 2016 (avril 2016 – mars 2017), quelque 15 000 étudiants de troisième cycle ont entamé un cursus doctoral. Sur ce nombre, 3 341 ont postulé pour cette bourse et 727 d’entre eux ont été sélectionnés, ce qui donne un taux de sélection des candidats de 21,8 %. Seul un cinquième des candidatures a donc débouché. Et les boursiers sélectionnés représentaient moins de 5 % de l’effectif total des doctorants.

La façon la plus directe de remédier à la pénurie de doctorants consisterait à accroître le taux d’admission des postulants à une bourse, en sachant qu’il peut exister des divergences d’opinion quant à l’ampleur souhaitable de cette augmentation. Il se trouve pourtant que l’effectif des étudiants sélectionnés décline régulièrement, tant en termes de nombre que de pourcentage, depuis 2013. Cette année-là, 815 ont été sélectionnés, pour un taux d’approbation de 25,8 %. En 2017, ces chiffres sont tombés respectivement à 692 et 20,7 %. Sans doute les contraintes budgétaires ont-elles contribué à cette baisse, mais il n’en reste pas moins clair que la tendance va à l’encontre de l’objectif de formation de jeunes chercheurs.

Même dans le cas où les étudiants de troisième cycle arrivent au terme de leur doctorat, ils ne sont pas pour autant au bout de leurs peines, car l’obtention d’un emploi constitue un obstacle encore plus grand. Moins de 70 % d’entre eux sont embauchés à l’issue de leur doctorat, un chiffre inférieur au pourcentage des étudiants qui entrent sur le marché du travail avec une licence ou une maîtrise en poche.

Bien que les pourcentages varient selon les domaines de spécialisation, parmi les étudiants obtenant un travail, environ la moitié le trouvent à l’université, tandis qu’un quart sont embauchés par des entreprises du secteur privé. Selon une enquête effectuée en 2017 par l’Institut national de la politique scientifique et technologique, seul un tiers des entreprises ayant répondu au questionnaire embauchent chaque année des titulaires d’un doctorat. Ces résultats confirment bien que les universités et autres établissements similaires restent la première source d’emploi pour les personnes qui ont obtenu leur doctorat.

La pénurie d’emplois permanents

Parallèlement à cela, la situation de l’emploi s’est détériorée dans les universités. Il y a de moins en moins de postes permanents et de plus en plus de contrats à durée déterminée. Les statistiques du Bureau du Cabinet nous apprennent que le pourcentage des chercheurs de moins de 40 ans occupant un poste permanent est passé de 23,4 % à 15,1 % entre les années universitaires 2007 et 2016. Et le déclin a été encore plus prononcé chez les moins de 35 ans, qui ont vu leur pourcentage de postes permanents tomber de 8,5 % à 4,5 %, ce qui représente une baisse de pratiquement la moitié. Dans le même temps, le pourcentage de la tranche des moins de 40 ans occupant des postes de chargé de cours à durée déterminée est grimpé de 39 % à 64 %.

Compte tenu des contraintes qui pèsent sur les crédits budgétaires affectés aux universités publiques, ne nous attendons pas à voir augmenter le nombre des postes permanents qu’elles ont à offrir. Ceci étant, la seule façon d’élever la part occupée par les jeunes dans le personnel enseignant consiste à réduire l’effectif des personnes plus âgées occupant des postes fixes. Mais pratiquement aucune université publique n’est dotée d’un dispositif permettant de mettre en œuvre une politique de ce genre. Si bien que la situation semble vouée à rester en l’état ou à empirer progressivement.

Jadis, les titulaires d’un doctorat pouvaient normalement espérer obtenir un emploi postdoctoral à durée déterminée et accéder ensuite à un poste permanent. Mais les perspectives de bénéficier d’un tel plan de carrière se sont amenuisées. Et comme les jeunes étudiants sont à même de constater à quel point l’accès à un poste permanent est devenu difficile pour les titulaires d’une thèse, il est tout naturel qu’ils hésitent à s’engager dans un doctorat.

Proposer un contrat de travail de sept ans

La durée de la période d’emploi pour les chercheurs non titularisés est variable, mais elle dépasse rarement cinq ans, en partie à cause de la limitation des délais accordés pour mener un projet à terme. Une durée de cinq ans peut sembler suffisante, mais plus la recherche scientifique devient pointue, plus le temps requis pour venir au bout d’un projet a tendance à s’allonger. Dans mon domaine, les sciences de la vie, il est tout à fait commun qu’il faille quatre ou cinq ans pour parvenir à un niveau raisonnable de résultats dans une étude donnée. Et comme les titulaires d’un doctorat doivent se mettre en quête d’un nouveau poste dès que la fin de leur période d’emploi se profile à l’horizon, il est inévitable que leur concentration se relâche au cours de leur dernière année et qu’ils ne soient plus en mesure de dédier toute leur attention à leur travail de recherche. Si la durée du contrat était portée à au moins sept ans, les chercheurs devraient être à même de se concentrer pleinement sur l’achèvement de leurs projets. Toutes les études, cela va sans dire, ne produiront pas des résultats satisfaisants. Mais les gens qui auront disposé de sept années pour conduire une recherche après l’obtention de leur doctorat auront alors atteint le milieu de la trentaine. Si, arrivés à cet âge, ils n’ont toujours pas obtenu un minimum de réussite dans leur recherche, il est probablement temps pour eux de passer à autre chose.

Il faudra certes prévoir un filet de sécurité pour les titulaires d’un doctorat qui ne parviennent pas à s’imposer comme chercheurs scientifiques, mais la question qui se pose est celle du niveau de sécurité qu’il convient de fournir à ces universitaires. Dans d’autres secteurs, comme la musique ou le sport, nombre de jeunes gens pleins d’espoirs restent sur le bord du chemin. En ce qui concerne les programmes réservés aux doctorants, en revanche, la pénurie de candidatures aux postes à pourvoir fait, comme je l’ai dit plus haut, qu’il est assez facile d’y accéder. Faut-il que la recherche scientifique soit considérée comme un domaine à part méritant la mise en place d’un solide filet de sécurité pour ceux qui échouent dans leurs ambitions de carrière ? Je doute quant à moi qu’on puisse obtenir un consensus au sein de la population en faveur du recours aux recettes fiscales à cette fin.

Le système de prétitularisation conditionnelle : la bonne solution ?

Il n’est pas facile de définir le niveau de résultats qu’il convient d’exiger des chercheurs pour qu’ils puissent se qualifier comme professionnels. Mais on pourrait prendre comme critère, par exemple, une évaluation de la qualité de leur travail montrant qu’elle est suffisante pour qu’ils aient leur propre laboratoire.

Le « chercheur principal » (CP) qui est à la tête d’un laboratoire doit être capable d’élaborer et d’appliquer des projets de recherche, d’écrire des articles destinés à être publiés, de collecter des fonds et de recruter du personnel qualifié. L'éventail des aptitudes requises est beaucoup plus large que dans le cas des chercheurs en cours d’études de troisième cycle. Et parmi ceux qui ont obtenu de bons résultats au cours du troisième cycle de leurs études ou après leur doctorat, il en est beaucoup qui s’avèrent inaptes à remplir les fonctions de CP à la tête de leur propre laboratoire.

Ces échecs sont tragiques non seulement pour le chef du laboratoire, mais aussi pour le personnel. Pour éviter ce genre de problème et développer la formation de jeunes CP, le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie s’efforce de mettre en place un « système de prétitularisation conditionnelle ». Dans le cadre de ce dispositif, les jeunes chercheurs recrutés selon un processus de sélection équitable et transparent peuvent acquérir de l’expérience en menant des recherches sur un mode indépendant au titre d’un contrat à durée déterminée avant de se porter candidats à un poste permanent.

Le système de prétitularisation conditionnelle donne aux jeunes chercheurs le temps de trouver le bon rythme, en leur offrant la perspective d’obtenir un emploi permanent pour peu qu’ils apportent la preuve de leur aptitude à travailler de façon indépendante. C’est un excellent système, utilisé depuis longtemps en Occident. Mais pour qu’il puisse marcher correctement au Japon, il faudra impérativement reconfigurer divers dispositifs parallèles pour les mettre en harmonie avec lui.

L’importance cruciale d’une réforme radicale

J’ai moi-même administré le système de prétitularisation conditionnelle pour les sciences de la vie à l’Université d’Osaka. Cette expérience m’a laissé le sentiment que ce système ne pourra pas s’enraciner au Japon, tout du moins dans le domaine des sciences de la vie, tant que nous n’aurons pas procédé à une réforme radicale du mode de fonctionnement de nos universités. Il faudra notamment s’attaquer aux rigidités de l’organisation, dont témoigne l’inefficacité de la répartition des ressources entre l’enseignement, la recherche et l’administration. Surmonter ces obstacles constitue une tâche redoutable.

Dans le cadre de sa politique en faveur de l’innovation scientifique et technologique, le ministère a pris acte de la nécessité de réformer le système qui préside au déroulement de la carrière des jeunes scientifiques, de mettre à contribution divers profils de ressources humaines et de promouvoir la mobilité de l’emploi. Tout le monde reconnaît que ces objectifs sont absolument prioritaires, mais il n’y a malheureusement pas beaucoup de signes suggérant qu’on avance vers leur mise en œuvre. Un surcroît de délibérations ne fera sans doute qu’aboutir aux mêmes résultats. Davantage de propositions ne sont pas nécessaires, car ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’initiatives audacieuses. Faute de quoi les universités japonaises vont continuer d’être en perte de vitesse et tout espoir s’évanouira de voir fleurir l’innovation que le gouvernement s’efforce de promouvoir. Certains diront peut-être que je suis trop pessimiste. Mais je pense que c’est l’optimisme béat dont témoigne la désinvolture avec laquelle les universités traitent leurs problèmes qui les a amenées dans le triste état où elles se retrouvent aujourd’hui.

(D’après un original en japonais publié le 14 mars 2018. Photo de titre : chercheurs au Centre pour la recherche sur les cellules souches pluripotentes induites et leur application, Université de Kyoto, le matin suivant l’annonce selon laquelle Yamanaka Shin’ya, le directeur du centre, avait gagné le Prix Nobel 2012 de physiologie ou médecine. Note : la photo, prise le 9 octobre 2012, n’a pas de lien direct avec le contenu de cet article. © Jiji)

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