Les frontières de la science

Les capsules génétiques longue durée au service de la préservation des espèces

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L’ Institut national pour les études environnementales, situé à Tsukuba, dans la préfecture d’Ibaraki, fabrique des « capsules longue durée » qui contiennent des échantillons congelés de tissus et de cellules provenant d’espèces menacées d’extinction. Ces échantillons, porteurs d’informations très précieuses pour les savants qui étudient les causes de l’extinction des espèces, peuvent être à l’origine de découvertes très utiles dans la lutte contre les maladies infectieuses.

Un travail qui se fait à la fois à l’intérieur et en dehors de l’habitat des espèces à sauvegarder

Sur toute la surface de la Terre, des milliers d’espèces végétales et animales sont au bord de l’extinction. Le dernier rhinocéros de Java vivant a été abattu par des braconniers l’an dernier au Vietnam. En Australie, le koala vient d’être désigné comme un animal en voie d’extinction. Le loup japonais s’est éteint dans l’Archipel et le ministère de l’Environnement a annoncé qu’au moins 1 500 espèces sont menacées de disparition.

L’Institut national pour les études environnementales travaille à la mise en place d’une base de données d’échantillons biologiques.

C’est peut-être triste à dire, mais la nouvelle de l’extinction du rhinocéros de Java ne semble pas nous affecter directement. Il se trouve pourtant que tous les organismes présents sur la planète participent d’une vaste chaîne alimentaire, chaîne dont nous sommes tous des éléments interconnectés, depuis les oiseaux vivant au fin fond des forêts tropicales humides jusqu’aux plus petits poissons de l’Océan arctique. Dès qu’une espèce disparaît, l’équilibre est rompu. Certes, la sélection et l’extinction sont parties intégrantes du cycle naturel, mais ce qui se passe aujourd’hui est d’un autre ordre. Ce sont les activités humaines, et au premier chef la surpêche et la déforestation, qui sont causes de l’explosion actuelle de l’extinction des espèces.

Le docteur Ônuma Manabu fait partie d’une équipe de chercheurs de l’Institut national pour les études environnementales qui a pour vocation la sauvegarde des animaux sauvages. « Lorsqu’on travaille à la protection des espèces menacées, il est essentiel de trouver le bon équilibre entre ce que l’on fait au sein de leur habitat et en dehors de celui-ci », précise-t-il.

« Prenez, par exemple, le projet de reconstitution des populations d’ibis japonais à crête à l’état sauvage — l’une des grandes réussites enregistrées de ces dernières années dans le domaine de la préservation. Dans ce projet figurait, entre autres, la restauration de l’habitat des derniers spécimens encore en vie sur l’île de Sado, où ils cohabitaient traditionnellement avec l’homme dans les champs et à proximité des habitations. Dans le même temps, le ministère de l’Environnement a mis sur pied un grand programme d’élevage de cet oiseau en captivité en se servant d’individus donnés par le gouvernement chinois. Cette double activité, à l’intérieur et en dehors de l’habitat, a joué un rôle essentiel dans la réussite du projet. Elle a permis de relâcher un grand nombre d’ibis dans la nature au cours de ces dernières années.

L’étude des causes de l’extinction grâce aux « capsules longue durée »

Le docteur Ônuma travaille à la préservation d’échantillons de cellules et de gènes provenant d’espèces menacées d’extinction.

Le projet de recherche que le docteur Ônuma est en train de mener vise à préserver des échantillons cellulaires et génétiques provenant d’espèces en voie d’extinction. En ce sens, c’est une excellente illustration de ce qu’il appelle « travail en dehors de l’habitat ».

Depuis 2004, l’Institut national pour les études environnementales fait partie d’un réseau d’organismes, d’universités et d’associations à but non lucratif à l’échelle du pays. Dès que la dépouille d’un animal appartenant à une espèce menacée est disponible, ces organisations l’envoie à l’institut à des fins de préservation, à l’issue d’un examen minutieux en vue d’identifier toute trace éventuelle de maladie infectieuse. Ces échantillons se composent aussi bien de cadavres entiers d’animaux tués sur les routes que de restes incomplets d’animaux morts depuis un certain temps. Quand la cervelle, les poumons et d’autres organes peuvent être prélevés en une seule pièce, ils sont conservés en tant que tels. Les tissus cutanés et musculaires sont utilisés dans la culture de cellules.

« Même avec un animal mort, on peut faire des cultures et garder des informations génétiques tant que les cellules sont en vie. Les recherches ont montré qu’on peut pratiquer la culture cellulaire jusqu’à trois semaines après la mort pour les oiseaux et jusqu’à une semaine pour les mammifères. La vie se poursuit au niveau cellulaire même après que le processus de décomposition semble amorcé », dit le docteur Ônuma. « Cette découverte a constitué une remarquable percée. »

La vie au niveau cellulaire se poursuit même après la mort des individus.

L’INEE préserve ses spécimens dans de gigantesques cuves en métal baptisées « capsules environnementales longue durée pour échantillons ». On utilise l’azote liquide pour ramener la température interne des cuves à moins 150 ou 160 degrés et le contact avec l’environnement extérieur est maintenu au minimum afin de protéger les propriétés des échantillons. Cette technologie permet de préserver des échantillons pour des périodes pouvant aller jusqu’à cent ans.

Les échantillons préservés servent principalement à la recherche physiologique, qui est extrêmement difficile à mener sur les animaux sauvages, et plus particulièrement les espèces rares, qui n’ont pratiquement jamais fait l’objet de la moindre étude en ce domaine. La collection d’échantillons cellulaires vivants que détient l’institut lui permet de se livrer en laboratoire à d’importants travaux de recherche au niveau cellulaire et génétique.

C’est ainsi, par exemple, que l’analyse peut produire des statistiques qui montrent qu’en cas d’exposition à tel ou tel virus, la mortalité d’une espèce est particulièrement importante lorsqu’elle possède certaines caractéristiques génétiques, alors que d’autres espèces appartenant à un autre type génétique meurent rarement de la contamination en question. Ce genre d’information peut s’avérer utile pour l’étude de la diffusion des virus ou des maladies infectieuses et essentiel pour la mise au point de nouveaux traitements médicamenteux. Le recours à des cellules provenant d’animaux appartenant à des espèces disparues ou menacées d’extinction peut aider les savants à mieux comprendre les causes du déclin d’une population. Ce genre de base de données aura aussi son utilité dans le futur, lorsqu’on découvrira des virus et des maladies infectieuses inconnus jusqu’ici.

L’Institut national pour les études environnementales envisage d’ouvrir au public sa base de données sur les échantillons biologiques dans un proche avenir. Le docteur Ônuma espère que le partage de ces informations avec d’autres chercheurs et d’autres institutions permettra de concevoir de nouvelles idées pour développer encore la recherche basée sur les échantillons biologiques.

30 000 échantillons de capsules génétiques « longue durée », perspectives d’avenir

Les échantillons collectés peuvent s’avérer utile à la recherche en vue de protéger les espèces menacées.

Le docteur Ônuma a travaillé précédemment dans un centre de réadaptation d’orangs-outans en Malaisie, où il s’occupait d’individus qui avaient été blessés par des hommes et les préparait au retour à la vie sauvage. Le dévouement que lui et ses collègues investissaient dans cette tâche méritoire ne suffisait pas à sauver tous les individus. Qu’aurait-il fallu faire ? Le docteur Ônuma cherchait une réponse à cette question quand il entendit dire que le zoo de San Diego préservait par la cryogénie des tissus et des cellules. « Bien évidemment, il est important de faire tout ce que vous pouvez pour sauver l’individu que vous avez devant vous. Mais je me suis rendu compte qu’à long terme la recherche en vue de préserver l’information génétique pouvait permettre de sauver un plus grand nombre de spécimens et d’espèces. Des recherches sont déjà en cours aux États-Unis pour obtenir des cellules souches et des clones à partir d’échantillons biologiques. Plutôt que de reproduire le même genre de recherche, nous espérons que l’analyse de nos échantillons d’information génétique nous aidera à sauver des espèces menacées et nous permettra de progresser dans le combat contre des maladies transmissibles telles que la grippe aviaire. »

L’utilisation des capsules environnementales longue durée pour échantillons a commencé en 2004. Il existe déjà cinq cuves, qui contiennent 30 000 échantillons. L’institut pense que ses installations actuelles vont lui permettre de poursuivre la collecte d’échantillons pendant encore vingt ans.

Les « capsules environnementales longue durée pour échantillons » de l’Institut national pour les études environnementales.

C’est à l’Institut national pour les études environnementales que des cellules de Kin et Midori, les derniers ibis japonais à crête nés à l’état sauvage dans l’Archipel, sont préservées. Même après l’extinction des ibis au Japon, leur vie a été prolongée au niveau cellulaire. Peut-être un jour de tels échantillons issus de la cryoconservation apporteront-ils une contribution essentielle à la sauvegarde des écosystèmes de la Terre. Ces capsules longue durée maintenues à une température de moins 150 degrés renferment le souffle chaud de la vie.

Des cellules cultivées à partir de la peau d’animaux appartenant à des espèces menacées d’extinction — à droite : râle d’Okinawa ; à gauche ibis à crête (avec l’aimable autorisation de l’Institut national pour les études environnementales).

 

Prolifération de cellules provenant du râle d’Okinawa : les cultures cellulaires ont commencé cinq jours après la mort. De telles cultures à partir de tissus cutanés et musculaires prélevés sur des individus morts peuvent servir à un vaste éventail de travaux de recherche (avec l’aimable autorisation de l’Institut national pour les études environnementales).

 

(Original en japonais écrit par Hayashi Aiko. Photographies de Hans Sautter.)

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