Films à l’affiche

Nojiri Katsumi : un réalisateur révélé sur le tard signe une première œuvre en beauté

Culture Cinéma

Quand le fils aîné, longtemps replié sur lui-même, se suicide, que devient la famille qu’il laisse derrière lui ? C’est ce que décrit, avec beaucoup d’humour malgré la noirceur du thème, « Le mensonge de la famille Suzuki » (Suzukike no uso). Rencontre avec le réalisateur Nojiri Katsumi, bien parti pour faire souffler un vent nouveau sur le monde du cinéma japonais avec sa première sublime œuvre.

Nojiri Katsumi NOJIRI Katsumi

Réalisateur de cinéma né en 1974 à Saitama. Diplômé en audiovisuel de l’Université polytechnique de Tokyo, il commence sa carrière dans une maison de production cinématographique. Après avoir réalisé de nombreux vidéo-films et séries télévisées, il travaille aux côtés de nouveaux cinéastes japonais comme Ishii Yûya ou Hashiguchi Ryôsuke en tant que premier assistant-réalisateur. Son premier scénario, qui lui a demandé quatre ans de travail et a été choisi dans le cadre de la sixième série du projet « cinéma original » de Shôchiku Broadcasting, axé sur l’écriture et la découverte de nouveaux acteurs, est sorti en salles en 2018 : « Le mensonge de la famille Suzuki » (Suzukike no uso).

Si les aspirants cinéastes sont nombreux, peu parviennent à réaliser un film qui sortira en salles. Avec à l’affiche de grandes stars comme Kishibe Ittoku, Hara Hideko, Kase Ryô ou Ômori Nao, la surprise prévaut lorsqu’on apprend que « Le mensonge de la famille Suzuki » (Suzukike no uso) est un premier film. Mais il suffit de le voir pour comprendre : le scénario a tout ce qu’il faut pour attirer de si grands noms. Puis la surprise revient : pour une première œuvre, on frôle la perfection…

« Le mensonge de la famille Suzuki ». De gauche à droite : Kishibe Ittoku, Kiryû Mai, Kase Ryô et Hara Hideko © Shôchiku Broadcasting

Un « jeune » cinéaste de 44 ans

Quel chemin Nojiri Katsumi a-t-il parcouru avant de tourner ce premier film ? Jusqu’au lycée, il aimait le cinéma et la télévision comme les jeunes de son âge. Mais son lycée était un peu spécial : les trois dernières années, chaque classe devait présenter une fois par an lors d’un festival une pièce de théâtre qu’elle avait créée. C’est à cette occasion que Nojiri Katsumi écrit son premier scénario, qu’il met également en scène. Cette expérience et la découverte de la joie de créer un spectacle collectif le poussent à intégrer une faculté d’audiovisuel. Là, il se passionne pour le tournage de film, dont il décide de faire son métier.

« Ne connaissant rien au monde du cinéma, je me suis dit qu’en devenant assistant-réalisateur, je pourrais ensuite être réalisateur. Alors j’ai noté le nom des sociétés de production qui figurait à la fin des génériques, et je leur ai téléphoné l’une après l’autre pour demander s’ils n’avaient pas besoin d’un assistant-réalisateur. »

C’est ainsi que le jeune Katsumi est embauché. Au début, il est un peu l’homme à tout faire de la production : il s’occupe des bentô, de la location des cars pour les tournages… Au bout d’un an environ, lorsque le service de mise en scène a besoin d’un assistant-réalisateur, il tente sa chance.

« Ils m’ont proposé de faire un vidéo-film sur le mah-jong. À l’époque, c’était à la mode, il y avait une flopée de films sur le pachinko et le mah-jong. Je n’y avais jamais joué, mais j’étais prêt à tout. »

Nous sommes alors à la fin des années 1990, au début d’une période de crise pour le cinéma japonais. Moins de 300 films sont réalisés chaque année (aujourd’hui, c’est plus de 600 œuvres par an qui voient le jour). En contrepartie, le marché du vidéo-film, avec ses petits budgets, fonctionne bien. Après deux années de travail comme assistant-réalisateur dans ce secteur, Nojiri Katsumi devient réalisateur, à l’âge de 26 ans.

« Bien entendu, j’avais toujours dans l’idée de tourner un film de cinéma, et j’écrivais des scénarios sur mon temps libre. De nombreux producteurs m’avaient répété que pour devenir réalisateur, il fallait écrire des scénarios, aussi je suivais leur conseil. »

Le monde du cinéma lui ouvre enfin ses portes, et Nojiri Katsumi accumule les expériences en tant qu’assistant-réalisateur pour de nombreux films. Mais alors que ses collègues, les uns après les autres, réalisent leur premier film avant leurs trente ans, lui seul ne reçoit aucune offre.

« J’ai soumis plusieurs scénarios, mais on me disait que ça sonnait faux, ou même que c’était creux, parfois. Dans le vidéo-film, les exigences n’étaient pas si élevées, il suffisait d’avoir une idée un peu amusante pour pouvoir tourner. Mais un film pour le grand écran, ça coûte cher, alors les producteurs sont plus sévères. S’ils ne voient pas une idée centrale dans l’œuvre, c’est difficile d’aller jusqu’au bout. Bien entendu, moi, je croyais l’avoir, cette idée. Pour moi, le cinéma c’est du divertissement, et je voulais faire des films qui plaisent à chacun des spectateurs de la salle. Mais à trop essayer de plaire, parfois, on perd en substance. Avec le recul, je me dis que je n’avais pas la détermination nécessaire. »

© Shôchiku Broadcasting

Une disparition et des questionnements

Le scénario du « Mensonge de la famille Suzuki », Nojiri Katsumi a passé quatre ans à le peaufiner, convaincu que c’était le film qu’il devait tourner coûte que coûte. Il l’a soumis à un producteur rencontré sur le tournage de Koibito-tachi (2015) de Hashiguchi Ryôsuke, pour lequel il était assistant-réalisateur.

« En termes de conviction, j’étais certain d’avoir ce qu’il fallait : le suicide de mon frère aîné. Le décès soudain d’un membre de votre famille, de quelqu’un dont vous pensiez qu’il serait toujours là, m’a bouleversé à un point que je n’aurais pas imaginé. Il est mort sans nous prévenir, et toute la famille s’est sentie coupable. Chacun se disait qu’il aurait pu faire ceci ou cela… En même temps, j’étais en colère contre son égoïsme. J’étais déprimé, j’ai failli ne pas m’en remettre. Pourtant, depuis le temps que j’étais assistant-réalisateur, il n’y avait plus grand-chose qui me troublait… »

© Shôchiku Broadcasting

Pourquoi ce suicide ? Et pourquoi Nojiri Katsumi a-t-il tant été ébranlé, alors qu’il n’était pas très proche de sa famille ? La souffrance endurée lui a donné l’idée du film : une famille qui cherche à savoir, à comprendre l’incompréhensible. En effet, « Le mensonge de la famille Suzuki » raconte l’amour, la haine et la colère des Suzuki, auxquels se mêle adroitement un parfum de mystère, une quête dans laquelle le spectateur se laisse entraîner. Une autre facette importante du film est l’humour. Tout le long, gravité et rire se côtoient.

« Un film sans une minute d’humour, ce n’est pas viable, à mon avis. Parce que les gens ne sont pas sérieux ou déprimés en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il arrive même qu’on pique un fou rire pendant des funérailles, par exemple. Ce n’est pas un rire désagréable, mais une expression de l’affection entre proches. Il me semble que tout en abordant un thème dramatique, celui du suicide, dépeindre ce genre de réaction permet d’atteindre à un film universel, qui colle à la réalité d’une famille confrontée à la mort. Ma propre expérience est particulière, et je ne voulais pas mettre en avant ce qu’elle avait de singulier. Pour bien me faire comprendre, il me fallait trouver une mise en scène qui touche le public. C’était mon rôle en tant que réalisateur. »

© Shôchiku Broadcasting

Comme le laisse entendre le titre, les membres de la famille Suzuki se démènent pour protéger coûte que coûte un mensonge, mais derrière cette apparence, ils sont à la recherche d’une réalité. On sent que Nojiri Katsumi a su affronter ses propres émotions dans le sillage du décès de son frère, et que cette œuvre en est le fruit. Quels films tournera-t-il à l’avenir ?

« Quand les gens qui créent le film se mentent à eux-mêmes, l’œuvre perd en richesse. Je veux être sincère, car si on fuit sa propre vérité, si on tente de la dissimuler, cela finit par se voir. En choisissant d’être cinéaste, je me suis engagé sur cette voie. Mais je ne veux pas non plus tourner des films manichéens. Quand on met en scène uniquement des personnages “justes”, de vrais clichés, notre univers se réduit comme peau de chagrin. Or, le cinéma est censé être une échappatoire à ce genre d’univers normé. Je veux faire des films qui dépeignent des personnages libres, auxquels les spectateurs peuvent réagir librement, des films qui encouragent l’humanité. Les hommes font des erreurs. En grossissant le trait, on peut dire que chacun ressent, à un moment ou un autre, des pulsions meurtrières. Mais aujourd’hui, on s’arrête à une vision simpliste des choses, “c’est mal de tuer quelqu’un”. Là n’est pas la question ; le cinéma, c’est montrer pourquoi une personne en a tué une autre. Dans mes films, je veux me confronter à l’humain, en toute sincérité. »

Suzukike no uso (« Le mensonge de la famille Suzuki »)

© Shôchiku Broadcasting

  • Avec Kishibe Ittoku, Hara Hideko, Kiryû Mai, Kase Ryô
  • Réalisation et scénario : Nojiri Katsumi
  • Distribution : Shôchiku Broadcasting, BittersEnd
  • Prix du meilleur film et de la meilleure jeune actrice (Kiryû Mai) au 31e festival international du film de Tokyo, catégorie Japanese Cinema Splash

Bande annonce

(Photographies : Hanai Tomoko, sauf mention contraire. Propos recueillis par Matsumoto Takuya de Nippon.com)

suicide cinéma mort