Les carpes « nishiki-goï » : comment ce poisson ornemental peut-il regagner l’intérêt des Japonais ?

Culture

Alors qu’à l’étranger le nombre de fans des nishiki-goï, les carpes de brocart, ne cesse de croître, au Japon au contraire, l’on craint que ce poisson unique en son genre soit de moins en moins recherché, voire même qu’il sombre dans l’oubli. Des voix s’élèvent pour demander que le nishiki-goï soit élevé au rang de poisson national du Japon, afin de réveiller l’intérêt pour cette espèce.

L’ancien Premier ministre Tanaka Kakuei a joué un rôle important dans la promotion du nishiki-goï, la carpe de brocart, tant au Japon que dans le reste du monde. C’est un fait connu que la mare du domaine Mejiro de Tanaka contenait 200 poissons de cette espèce, apparue dans les montagnes de Niigata, la préfecture où il est né. De plus, alors qu’il était à la tête du gouvernement, Tanaka a également introduit des nishiki-goï dans une mare créée sur le terrain du palais d’Akasaka, la maison des hôtes d’État.

Désireux de mettre en valeur le statut du nishiki-goï en tant que poisson national du Japon, il a en outre offert des carpes colorées à divers dignitaires et aristocrates étrangers qui lui ont rendu visite. Toutes ces initiatives ont contribué au renforcement des exportations de ces carpes qu’on enregistre aujourd’hui.

Tanaka Kakuei dans son domaine en train de nourrir ses nishikigoi après son élection à la tête du Parti libéral démocrate en juillet 1972. (Jiji)
Tanaka Kakuei dans son domaine en train de nourrir ses nishiki-goï après son élection à la tête du Parti libéral-démocrate en juillet 1972. (Jiji)

Les carpes attirent les acheteurs étrangers

En novembre 2020, deux jours après l’exposition annuelle des carpes nishiki-goï de Niigata, le plus grand événement de ce genre dans le monde, nous nous sommes rendus dans une autre exposition, organisée par d’anciens employés de l’élevage de carpes Dainichi, récompensé par un prix, qui ont créé leur propre entreprise d’aquaculture. Ce modeste événement, qui s’adressait aux professionnels, n’avait attiré qu’un petit nombre de participants étrangers venus d’Europe et d’Asie. On aurait pu penser que ces gens avaient effectué le voyage jusqu’au Japon en dépit de la pandémie de Covid-19, mais il s’agissait en réalité d’acheteurs établis sur place. Aucun doute, la popularité de ces poissons à l’étranger est toujours aussi importante.

C'est au Centre de Nishikikoi d'Ojiya, dans la préfecture de Niigata, que s'est tenue l'exposition organisée par d'anciens employés de l'élevage de koi Dainichi.
C’est au Centre nishiki-goï d’Ojiya, dans la préfecture de Niigata, que s’est tenue l’exposition organisée par d’anciens employés de l’élevage de carpes Dainichi.

Dans l'assistance figuraient des acheteurs venus d'Allemagne, de Belgique et de Chine.
Dans l’assistance figuraient des acheteurs venus d’Allemagne, de Belgique et de Chine.

Nogami Hisato, président de l’organisme hôte et riche d’une expérience de 40 années d’activité dans le secteur, admet avoir sous-estimé l’intérêt des étrangers pour les nishiki-goï, pensant uniquement à un simple phénomène de mode. « Jadis, je n’ai jamais envisagé que des acheteurs étrangers allaient venir au Japon juste pour se procurer des carpes, ou que je voyagerais à l’étranger pour en vendre. J’étais certain que l’engouement international pour le nishiki-goï n’était qu’un feu de paille, et pourtant, vingt ans plus tard, l’élan est toujours fort. »

Un secteur attractif pour les jeunes, qui rapporte

La jeunesse des acheteurs favorise cette tendance. Au Japon, les fans de nishiki-goï sont en règle générale plus âgés, mais leur assise à l’étranger se compose d’une part non négligeable de jeunes, ce qui suggère que l’intérêt pour le poisson va rester fort dans un avenir prévisible. Malgré le vieillissement incontestable des éleveurs japonais, Nogami soutient que le secteur jouit d’une base solide pour l’avenir, soulignant avec fierté la puissance de la relève que représentent les jeunes générations d’éleveurs.

L’élevage de la carpe est un travail exigeant, qui demande des soins quotidiens, beaucoup de tâtonnements lors du processus de reproduction, et même une sensibilité artistique. Les efforts requis constituent une gageure pour les nouveaux venus dans la profession, mais le marché mondial des nishiki-goï offre aux éleveurs la possibilité de gagner beaucoup d’argent pour peu qu’ils réussissent, ce qui en fait une carrière attractive pour les jeunes.

Nogami Hisato, patron de l'élevage de carpes Nogami.
Nogami Hisato, patron de l’élevage de carpes Nogami.

Des acheteurs envoient en temps réels des photos et des vidéos de poissons à des collectionneurs étrangers.
Des acheteurs envoient en temps réels des photos et des vidéos de poissons à des collectionneurs étrangers.

Les préjugés des Japonais constituent le plus gros obstacle

Isa Mitsunori, chef de la section de Niigata de l’Association panjaponaise de promotion du nishiki-goï, dit que l’afflux de nouveaux éleveurs le réjouit, mais qu’il l’inquiète aussi. Les exportations de ce secteur sont en plein essor et les étrangers achètent au prix fort, mais cet enthousiasme n’est pas partagé par le public japonais, qui, à en croire Isa, commence à oublier à quel point cette espèce de poisson est spéciale. Il attribue ce phénomène à l’incapacité du secteur d’activité concerné à remettre en cause l’image qui assimile le poisson ornemental à un passe-temps pour les riches. Les spécimens haut de gamme atteignent certes des prix élevés, mais Isa souhaite que davantage de gens comprennent qu’ils peuvent se procurer un jeune nishiki-goï pour quelques centaines de yens et le garder dans un aquarium.

Jeune carpe de la variété kijiro dans un aquarium familial.
Jeune carpe de la variété kijiro dans un aquarium familial.

La croissance des carpes est proportionnelle à la taille de leur environnement, ce qui explique pourquoi les éleveurs placent leurs poissons dans de grandes mares pendant les mois chauds qui vont du printemps à l’automne. Pour la même raison, un poisson élevé dans un aquarium familial restera relativement petit. En Europe, la carpe juvénile, qui est bon marché, est un animal de compagnie populaire, et ce sont souvent les enfants qui sont chargés de la nourrir.

Isa remarque aussi que les éleveurs de carpes expérimentés sont de plus en plus nombreux en Europe et ailleurs, un phénomène directement imputable aux exportations japonaises de nishiki-goï de premier choix. « Les éleveurs étrangers ont encore des progrès à faire pour atteindre le niveau de leurs homologues japonais », explique-t-il. « Mais nombre d’entre eux, notamment en Chine, obtiennent de bons résultats et seront un jour des concurrents sérieux. » Préoccupé par l’éventualité que le jour vienne où les habitants des pays étrangers ne sauront même pas que le nishiki-goï est originaire du Japon, il affirme que des mesures décisives doivent être prises pour parer à ce danger. « Je pense que nous devons en faire notre poisson national, clamer haut et fort que ce trésor vient du Japon, et renforcer sa popularité auprès de la population locale. »

Isa, de l'élevage de koi Isa, surveille une mare contenant des nishikigoi de deux ans.
Isa Mitsunori, de l’élevage de carpes Isa, surveille une mare contenant des nishiki-goï de deux ans.

Dans le cadre de la préparation d'une exposition de nishikigoi, les poissons sont placés dans un grand bassin où ils disposent de suffisamment d'espace pour grandir.
Dans le cadre de la préparation d’une exposition de nishiki-goï, les poissons sont placés dans un grand bassin où ils disposent de suffisamment d’espace pour grandir.

Un lieu phare pour se familiariser avec les nishiki-goï

« Nishiki-goï no Sato », un lieu touristique situé à Ojiya, dans la préfecture de Niigata, offre aux visiteurs l’opportunité de s’informer sur diverses facettes de la carpe ornementale, notamment son histoire, les variétés existantes et les techniques d’élevage. Juste à côté de la zone d’exposition se trouve un jardin japonais doté d’un grand bassin où nagent plus de 300 poissons.

L'entrée de Nishikigoi no Sato. Les tickets coûtent 520 yens pour les adultes et 310 pour les écoliers et les collégiens. L'agence est à environ 10 minutes de bus de la gare d'Ojiya, sur la ligne Jôetsu de la compagnie JR des chemins de fer japonais.
L’entrée de « Nishiki-goï no Sato ». Le site est à environ 10 minutes de bus de la gare d’Ojiya.

Le « Nishiki-goï no Sato » a ceci d’unique qu’environ 250 des carpes exposées appartiennent à des particuliers. Les acheteurs de nishiki-goï élevées sur place ont la possibilité de laisser leurs poissons pour au moins un an aux bons soins de l’établissement. À l’issue de ce délai, les propriétaires qui jugent que leurs poissons ont atteint une taille adéquate peuvent les ramener chez eux. Cette formule a le double mérite de garantir que l’effectif des carpes d’élevage augmente et de donner au public l’occasion de voir les poissons. Les visiteurs sont autorisés à nourrir les poissons exposés dans la mare, et les jeunes enfants apprécient particulièrement cette activité.

Ces Nishikigoi en train de nager dans une mare extérieure vont être transférés dans des bassins intérieurs au mois de novembre, quand le temps se refroidit.
Ces carpes en train de nager dans une mare extérieure vont être transférés dans des bassins intérieurs au mois de novembre, quand le temps se refroidit.

L'aire d'observation, les jeunes enfants sont fascinés par les nishikigoi.
L’aire d’observation, avec de jeunes enfants fascinés par les nishiki-goï.

Les carpes au secours des rizières en terrasse

L’essor de l’élevage de carpes a en outre permis de préserver certains environnements naturels de Niigata, qui constituent par eux-mêmes une attraction touristique. Prenons par exemple la riziculture en terrasses. À mesure du vieillissement des riziculteurs, la méthode agricole traditionnelle tombe en désuétude, en raison des lourdes contraintes qu’elle impose. Mais la conversion des rizières en mares à carpes a permis de préserver le paysage idyllique.

En 2017, des fermes de riziculture en terrasses de la région de Niigata ont été inscrites sur la liste du patrimoine agricole japonais en reconnaissance de l’adoption de dispositifs utilisant la neige pour permettre à la fois la riziculture et l’élevage des carpes. En 2020, le village de Yamakoshi a synchronisé son spectacle d’inauguration montrant des rizières en terrasses sous éclairage électrique avec le célèbre Festival des feux d’artifice de Nagaoka.

.  Rizières en terrasses et mares éclairées à l'électricité pendant le spectacle d'inauguration. (Avec l'aimable autorisation de Nagaoka Incorporated Association of Tourism and Conventions)
Rizières en terrasses et mares éclairées à l’électricité pendant le spectacle d’inauguration. (Avec l’aimable autorisation de l’Association de tourisme de Nagaoka)

Le célèbre Festival des feux d'artifice de Nagaoka. (Avec l'aimable autorisation de Nagaoka Incorporated Association of Tourism and Conventions)
Le célèbre Festival des feux d’artifice de Nagaoka. (Avec l’aimable autorisation de l’Association de tourisme de Nagaoka)

Le nishiki-goï bientôt poisson national du Japon ?

Les efforts en vue d’obtenir la reconnaissance du nishiki-goï en tant que poisson officiel du Japon gagnent du terrain. En 2019, le Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) a constitué une ligue de parlementaires dédiée à la promotion de la culture liée au nishiki-goï et de l’ensemble de ce secteur d’activité. La même année, un dessin à l’encre de Tanaka Kakuei représentant une carpe illustrée du mot kokugyo (poisson national) figurait sur l’affiche de l’Association panjaponaise de promotion du nishiki-goï.

Les acteurs de ce secteur d’activité espèrent fermement que l’accroissement de la demande étrangère de nishiki-goï va réveiller l’intérêt des Japonais pour ce poisson et favoriser son accession au statut de trésor national.

L'entrée d'un passage souterrain proche de la gare d'Ojiya a la forme d'un nishikigoi.
L’entrée d’un passage souterrain proche de la gare d’Ojiya a la forme d’une carpe.

(Voir également notre article : Les carpes « nishiki-goï », bijoux aquatiques de Niigata et trésors de la clientèle étrangère)

(Reportage, texte et photos de Nippon.com, sauf mentions contraires. Photo de titre : des carpes nageant dans le bassin de « Nishiki-goï no Sato »)

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