La modernité de l’esthétique traditionnelle
Seki, la cité des lames japonaises
Visiterle Japon
Art Histoire Tourisme- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Des lames qui ne se brisent pas et ne se déforment pas
Seki, une petite ville de 80 000 habitants située dans la préfecture de Gifu, à environ 40 kilomètres au nord de Nagoya, et considérée, avec Solingen, en Allemagne, et Sheffield, au Royaume Uni, comme l’un des trois grands centres de production de coutellerie au monde. Environ 300 entreprises de toutes tailles y sont basées, et la ville représente près de la moitié des exportations de coutellerie du Japon.
La fabrication de lames à Seki remonte à environ 800 ans, à l’époque de Kamakura (1185-1333). Des forgerons de la province de Yamato (la préfecture de Nara d’aujourd’hui) arrivent à Seki, qui faisait partie de la province de Mino, et y installent leurs ateliers. Durant l’époque des Cours du Sud et du Nord (1336-1392), leurs successeurs établissent le Mino-den, l’une des cinq traditions de forge japonaise. Les sabres de Mino-den étaient reconnus pour être « tranchants, inébranlables et incassables », explique ainsi pourquoi ils étaient si prisés par les samouraïs.

Le sanctuaire Kasuga de Seki, fondé en 1288, est tributaire du sanctuaire principal de la province de Yamato, consacré à la divinité protectrice des forgerons.
Les chroniques de Mino citent Izumi-no-kami Kanesada comme le plus illustre de tous les forgerons. À commencer par le sabre nommé Kasen Kanesada qui appartenait à Hosokawa Tadaoki, le chef du clan Kokura de la province de Buzen, ses lames ont été utilisées par de nombreux guerriers illustres de la période des Provinces en guerre (1467–1568).
Magoroku Kanemoto est un autre forgeron de l’époque dont la réputation égalait celle de Kanesada. Il est dit que le daimyô de Mino, Saitô Dôsan, a reçu une lame de Magoroku en cadeau lorsqu’il a offert sa fille, Nô-hime, en mariage au grand guerrier Oda Nobunaga. Cette même lame a servi lors du suicide de l’écrivain Mishima Yukio en 1970.
On peut admirer des lames fabriquées par ces deux grands artisans au Musée des traditions de la forge de Seki. Celui-ci regorge de documents historiques sur le savoir-faire des grands forgerons, ainsi que d’accessoires et d’ornements de sabre, et une collection de couteaux. On peut aussi y découvrir le procédé traditionnel de fabrication d’épées et des accessoires associés à travers des démonstrations.

L’intérieur du Musée des traditions de la forge de Seki

Une lame forgée par Izumi-no-kami Kanesada
Une tradition forgée par l’environnement de Seki
Seki possède tous les attributs essentiels pour le travail de la forge, à savoir de l’eau, du bois, et de la terre. Les eaux pures des rivières Nagara et Tsubo servent au refroidissement des lames chauffées au rouge. Les nombreuses forêts aux alentours fournissent le bois pour les fours. La terre argileuse rouge de Seki est aussi idéale pour la fabrication du yakibatsuchi, un mélange d’eau, d’argile, de cendres et d’autres éléments essentiels au traitement de l’acier.

Une démonstration de l’art du forgeron de sabre au Musée des traditions de la forge de Seki. Dans la tradition de Mino-den, l’acier pour la fabrication des lames est fondu avec du charbon de bois de pin.
Dans la fabrication de lames de sabre au Japon, c’est le pliage qui détermine la qualité du produit. L’acier chauffé à 1 300° passe sous le marteau et il est plié et replié de nombreuses fois. Il est ensuite réchauffé et replié à nouveau maintes fois. Ce procédé élimine les impuretés, et l’acier est renforcé avec chaque couche supplémentaire.
Plus l’acier devient dur toutefois, plus il devient cassant. Pour éviter cette éventualité, Magoroku Kanemoto a développé une technique appelée shihô-zume qui allie différents types d’acier, de dureté variable, pour créer un sabre qui est tranchant mais aussi résistant, selon la tradition de Mino-den.

Le yokoza (à droite) donne le rythme du martelage avec un petit marteau, que les deux autres artisans suivent avec des marteaux plus volumineux.
Une fois que la lame est forgée, une couche de yakibatsuchi est appliquée à toute la surface, plus finement du côté tranchant, avant la trempe. La lame est alors réchauffée une nouvelle fois avant de la tremper. La couche fine de yakibatsuchi fait que la partie tranchante refroidit brusquement et durcit, tandis que les parties mieux enduites refroidissent plus lentement et gardent plus de flexibilité. C’est ce qui donne une lame en même temps tranchante et résistante.
C’est dans cette ligne de trempe, appelée hamon, que ressort la signature de chaque artisan qui lui donne une forme particulière. L’argile rouge de Seki est pauvre en impuretés, et on peut voir clairement sur les lames de Magoroku sa marque appelée sanbon-sugi (« trois cèdres »).

On décerne facilement sur les lames de Magoroku Kanemoto le sanbon-sugi qui représente une rangée de cèdres.
Une coutellerie de renommée mondiale
En plus des sabres, Seki est également réputée pour sa coutellerie, fabriquée par des forgerons spécialisés appelés nokaji. Ceux-ci ont toujours produit des articles de la vie quotidienne tels les couteaux, les rasoirs et le matériel agricole, sur commande.
Au début de l’époque d’Edo (1603-1868), la demande pour les sabres est en baisse grâce à la paix, et nombre de forgerons de sabres se reconvertissent en nokaji. Durant l’ère Meiji (1868-1912), les samouraïs disparaissent. Une fois la loi interdisant le port du sabre adoptée en 1876, les forgerons gagnent leur vie en fabriquant des sabres militaires ainsi que des objets décoratifs pour l’exportation.
Malgré cette « reconversion », les compétences acquises au fil des années continuent à être transmises, et elles sont toujours utilisées pour créer de la coutellerie admirée par les utilisateurs à travers le monde. Kai est l’une des marques les plus réputées qui fait perdurer les traditions du nokaji.
Kai est établie en 1908 pour la manufacture de couteaux de poche. L’entreprise connaît une forte expansion après la mise sur le marché du premier rasoir à lame interchangeable au Japon en 1932. Un rasoir léger jetable à longue lame en fait une marque connue à travers le pays en 1951. Kai reste aujourd’hui le leader du marché japonais de rasoirs jetables, coupe-ongles, et couteaux de cuisine. Ses ciseaux sont très appréciés par les salons de coiffure, et ses couteaux de chef par les cuisiniers, et l’entreprise produit aussi des équipements médicaux.
Kai est devenue une marque internationale, et près de 50 % des ventes proviennent de plus de 100 pays à travers le monde. (Voir aussi notre article : Kai, le grand défenseur du modeste coupe-ongles)

Les premiers rasoirs jetables à lame longue de la marque « Shell » de Kai.

La gamme de produits Kai est très variée, comme les coupe-ongles ci-dessus.
Depuis 40 ans, Kai développe sa gamme « Seki Magoroku », marchant sur les pas du grand forgeron, Magoroku Kanemoto, avec plus de 1 200 produits qui allient fonctionnalité et esthétisme.
Les couteaux de cuisine de cette gamme sont particulièrement appréciés pour leur tranchant qui rappelle celui des sabres japonais, ainsi que leurs prix abordables et leur durabilité. Ce sont des produits qui symbolisent véritablement l’esprit des nokaji.

Une exposition de couteaux de deux gammes proposées par Kai, Seki Magoroku et Shun.
Un savoir-faire traditionnel pour des couteaux modernes
L’usine de Tsurugi de Kai est située à Gujô, en amont de Seki sur la rivière Nagara. C’est en ce lieu où sont fabriqués les couteaux de la gamme Seki Magoroku Kaname, mise sur le marché en novembre 2022.
La lame de ces couteaux est légèrement incurvée, prenant une forme particulière aux sabres de l’époque de Kamakura qui rappelle les linteaux des portiques de sanctuaire japonais (torii). Ceci permet de mieux répartir la force de coupe. L’oblique de la pointe des couteaux prend ses origines dans les couteaux traditionnels du Japon, et permet d’effectuer plus aisément des tâches délicates comme la découpe de viande. La forme octogonale du manche permet aussi une meilleure prise.
Ôtsuka Jun, responsable design chez Kai, encense ces couteaux « non seulement beaux, mais faciles à manier grâce à leur apparence ». Le motif de sanbon-sugi, les « trois cèdres », sur le côté tranchant de la lame est un clin d’œil à Magoroku Kanemoto, et il ne manquera pas de faire impression sur tous les fans de sabres japonais.

La gamme Seki Magoroku Kaname constitue l’apogée de produits de la marque.
Le procédé de fabrication demande 30 étapes à l’usine, dont le meulage du bord de la lame, le polissage miroir, et la fixation de la lame. Certaines étapes, comme déterminer l’épaisseur de la lame, calculée à 0,1 millimètre près, sont effectuées à la main pour chaque couteau
À l’essai, la coupe est propre, ce qui préserve l’intégrité des ingrédients. Ceci est un atout considérable dans la cuisine traditionnelle japonaise washoku qui est de plus en plus appréciée à travers le monde. Cet héritage qui descend des sabres japonais permet de préserver un tranchant incomparable.

L’aiguisage sur pierre à eau est l’une des étapes les plus importantes de la fabrication d’un couteau et demande de longues années d’expérience.

Un bon tranchant fait ressortir la qualité des ingrédients.
Musée des traditions de la forge de Seki
- Adresse : 9-1 Minami-Kasuga, Seki-shi, Gifu-ken
- Horaires : 9 h 00 – 16 h 30
- Fermeture : les mardis, le lendemain de jours fériés (excepté les weekends), et du 29 décembre au 3 janvier
- Frais d’admission : adultes 300 yens, lycéens 200 yens, élèves du primaire et collégiens 100 yens
- Accès : environ 5 minutes à pied de la gare de Sekiterasu-mae de la ligne Nagaragawa
(Reportage, texte et photos de Nippon.com)
