Les trésors de la famille Mitsubishi : des poupées « hina » réalisées par un maître artisan du début du XXe siècle

Art

En mars 2023, un musée de Tokyo avait présenté des œuvres d’art qui décoraient la résidence de la famille d’un ancien président du conglomérat Mitsubishi ainsi que des poupées hina fabriquées par des maîtres artisans de la première moitié du XXe siècle.

Les extravagantes « poupées de la famille Iwasaki »

Les hina sont des poupées inspirées des personnages de la cour impériale de l’époque Heian (794-1185). Depuis les temps anciens, le 3 mars, à l’occasion du hina matsuri, les gens fêtent la croissance et le bonheur des filles et exposent ces poupées pour les célébrer.

Au début de l’ère Shôwa (1926-1989), Iwasaki Koyata, quatrième président du conglomérat Mitsubishi et neveu de son fondateur, l’homme d’affaires et politicien Iwasaki Yatarô, avait commandé d’extravagantes poupées hina au magasin de poupées Maruhei, fournisseur de longue date de la famille impériale. La création de ces « poupées hina de la famille Iwasaki » dura trois ans et coûta 20 000 yens, soit l’équivalent de 100 millions de yens d’aujourd’hui (700 000 euros).

Les poupées hina de la famille Iwasaki. À l'arrière-plan, le Bokubaizu-byôbu (XIXe-XXe siècle), un paravent à la feuille d’or de trois mètres de haut peint par Kawabata Gyokushô, exposé pour la première fois, de la collection du Seikadô Bunko Art Museum.
Les poupées hina de la famille Iwasaki. À l’arrière-plan, le Bokubaizu-byôbu (XIXe-XXe siècle), un paravent à la feuille d’or de trois mètres de haut peint par Kawabata Gyokushô, exposé pour la première fois, de la collection du Seikadô Bunko Art Museum.

L'une des trois servantes (kanjo), « Chôshi à la verseuse », en kimono kosode (à manches étroites), richement brodé.
L’une des trois servantes (kanjo), « Chôshi à la verseuse », en kimono kosode (à manches étroites), richement brodé.

Le hanabishi-mon (« Losange fleuri »), sur des ornements, des kimonos et des accessoires.
Le hanabishi-mon (« Losange fleuri »), sur des ornements, des kimonos et des accessoires.

Le couple principal, que l’on appelle dairi-bina, est inspiré du couple impérial. L’homme et la femme sont dans un style enfantin charmant avec des visages ronds, blancs et brillants, qui rappellent les poupées Gosho que la noblesse de la cour de Kyoto affectionnait. Les kimonos et les poupées hina sont décorés de l’emblème hanabishi, que la famille Iwasaki utilisait à la place de son blason familial, à l’aide de techniques de broderie, de peinture et de gravure exquises. Tous sont des chefs-d'œuvre de l’artisanat de l’époque.

Les poupées furent livrées en 1929 et disposées dans la nouvelle résidence de la famille Iwasaki, qui venait d’être construite sur Toriizaka (actuellement Roppongi, Tokyo). Une imposante estrade en escalier conçue spécialement pour les poupées décorait le salon, devant un paravent peint de fleurs de prunier à l’encre de Chine sur feuilles d’or par le peintre japonais Kawabata Gyokushô, l’un des chefs de file du monde artistique de Meiji.

Les poupées hina de la famille Iwasaki exposées dans le salon de leur résidence.
Les poupées hina de la famille Iwasaki exposées dans le salon de leur résidence.

Une collection de poupées

Koyata était une personne cultivée qui appréciait également la cérémonie du thé, le haïku et la peinture japonaise nihonga, et était connu comme un collectionneur d’art oriental. L’un de ses biens préférés était le Yôhen-tenmoku (trésor national), un bol à thé qui faisait autrefois partie de la collection des shoguns Tokugawa, mais il ne l’a jamais utilisé de son vivant car il était parfaitement conscient de sa valeur. Le mobilier de premier ordre de sa résidence témoigne de son sens esthétique et de l’étendue de ses relations artistiques.

Trésor national, le Yôhen-tenmoku (Chine, dynastie des Song du Sud, XIIe-XIIIe siècle)
Trésor national, le Yôhen-tenmoku (Chine, dynastie des Song du Sud, XIIe-XIIIe siècle)

Carreaux de revêtement mural de la résidence Koyata, réalisés sous le contrôle de Komori Shinobu (vers 1928).
Carreaux de revêtement mural de la résidence Koyata, réalisés sous le contrôle de Komori Shinobu (vers 1928).

Sculpture en bois réalisée dans une seule pièce de bois brut, y compris la base. Maki Toshitaka, Hagoromo (« Sculpture nô, Umewaka Rokurô en costume nô d’ange céleste ») (XIXe-XXe siècle).
Sculpture en bois réalisée dans une seule pièce de bois brut, y compris la base. Maki Toshitaka, Hagoromo (« Sculpture nô, Umewaka Rokurô en costume nô d’ange céleste ») (XIXe-XXe siècle).

Cependant, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en mai 1945, la résidence des Iwasaki fut détruite par le feu lors d’un raid aérien, et en décembre après la guerre, Koyata mourut de maladie. 30 ans plus tard, à la mort de son épouse Takako, en 1975, les poupées connurent à leur tour un destin tragique puisqu’elles furent dispersées.

Un passionné de Kyoto qui avait acquis les deux poupées principales a été tellement charmé par leur beauté qu’il a passé plusieurs années à retrouver et à acquérir la totalité des 15 poupées et à en faire don au musée d’art Seikadô Bunko, associé à la famille Iwasaki.

Le musée Seikadô se trouve dans le bâtiment Meiji-seimei-kan, le tout premier lieu désigné Bien culturel important du Japon.
Le musée Seikadô se trouve dans le bâtiment Meiji-seimei-kan, le tout premier lieu désigné Bien culturel important du Japon.

Le musée Seikadô Bunko Art, qui a ouvert ses portes à Tokyo en 1992, abrite 6 500 objets d’art oriental basés sur la collection de la famille Iwasaki, dont sept trésors nationaux. En octobre 2022, les galeries d’exposition du musée ont été déplacées au premier étage du bâtiment Meiji-seimei-kan, dans le quartier de Marunouchi, qui avait été lui aussi construit par le conglomérat Mitsubishi en son temps.

À l’origine, le hina matsuri est une coutume visant à prier pour la croissance en bonne santé des filles, mais Iwasaki Koyata et sa femme n’avaient pas d’enfant. Il est difficile d’imaginer que leur décision de commander ces adorables poupées ressemblant à des enfants soit sans rapport avec le fait qu’eux-mêmes n’en avaient pas. Les objets favoris qu’ils ont laissés derrière eux, transmettent encore l’amour du couple ainsi que l’amour de l’art de cette « somptueuse famille ».

Le charmant couple des dairi-bina communique quelque chose de l’amour d’Iwasaki Koyata pour son épouse Takako.
Le charmant couple des dairi-bina communique quelque chose de l’amour d’Iwasaki Koyata pour son épouse Takako.

L’exposition du musée Seikadô Bunko Art avait été intitulée « O-Hina-sama - Bienvenue à la résidence Iwasaki Koyata ».

(Reportage et texte de Nippon.com. Photos : Hanai Tomoko. Photo de titre : le couple principal des poupées hina de la famille Iwasaki, par Ôki Heizo V, collection du musée Seikadô Bunko Art)

artisanat tradition famille Showa art