Quand gourmandise rime avec plaisir

« Enban gyôza », un régal de Fukushima qui nourrit les estomacs depuis l’après-guerre

Gastronomie Tourisme

Dans la ville de Fukushima, les gyôza en forme de disque, ou enban gyôza, sont un incontournable. Un restaurant les sert à ses clients depuis plus de 70 ans. Ce plat est né d’un réel besoin de nourrir les estomacs affamés après la guerre, et il est aujourd’hui un atout de promotion de la région.

Mettre l’eau à la bouche

Les gyôza ont une place importante dans la cuisine japonaise. Ils sont délicieusement trempés dans un mélange de sauce soja et d’huile épicée râyu, seuls ou accompagnés d’un bon bol de riz bien chaud.

S’ils proviennent de Chine, les gyôza ont su s’adapter aux palais des Japonais. On les décline sous différentes tailles, garnitures et même styles de service. Ils peuvent également varier selon les régions, comme les gyôza de la ville d’Utsunomiya, dans la préfecture de Tochigi ou de Hamamatsu dans la préfecture de Shizuoka, pour ne citer qu’elles.

La ville de Fukushima, elle, est connue pour son enban gyôza, servi sous forme de cercle, une adaptation directe des raviolis chinois. Il peut contenir entre 20 et 30 gyôza, frits et croustillants, afin qu’ils puissent rester collés les uns aux autres. Formant un disque, avec leurs couleurs brunes, ils mettent l’eau à la bouche à qui les regarde d’un peu trop près.

De nombreux restaurants ont mis le enban gyôza à leur carte, et de longues queues s’y déploient souvent dès l’ouverture. Citons par exemple « Gyôza no Terui » à la gare de JR Fukushima qui attire aussi bien des voyageurs de passage que des employés de bureau ou la jeune génération.

Gyôza no Terui à la gare de Fukushima, une enseigne très appréciée des amateurs de gyôza
Gyôza no Terui à la gare de Fukushima, une enseigne très appréciée des amateurs de gyôza

Tellement croustillants qu’on jurerait qu’ils sortent tout juste de la friteuse.
Tellement croustillants qu’on jurerait qu’ils sortent tout juste de la friteuse.

Un plat né d’un réel besoin en nourriture après la guerre

Le pionner du enban gyôza, c’est le restaurant Manpuku, situé près du sanctuaire Fukushima Inari dans la partie est de la ville. En 1953, Kanno Katsue a trouvé une toute nouvelle façon de servir des raviolis frits lorsqu’elle a ouvert un stand de gyôza au marché noir qui grouillait jadis près de l’édifice. Après la guerre, où la nourriture se faisait rare, les garnitures ont rempli les cœurs et les estomacs de nombreux riverains affamés. Deux ans plus tard, Kanno Katsue a ouvert un restaurant, où elle proposait uniquement des gyôza.

Le restaurant Manpuku se situe dans une zone résidentielle tranquille, jadis un quartier commerçant animé.
Le restaurant Manpuku se situe dans une zone résidentielle tranquille, jadis un quartier commerçant animé.

Au restaurant Manpuku, Shiino Jinko pour qui l'enban gyôza n’a aucun secret.
Au restaurant Manpuku, Shiino Jinko pour qui l’enban gyôza n’a aucun secret.

Kanno Katsue a découvert les gyôza dans les années d’avant-guerre, alors qu’elle accompagnait son mari, ingénieur ferroviaire, à son poste dans le nord de la Chine (qui appartenait à cette époque au Japon). Les raviolis bouillis, les sui-gyôza, étaient un plat courant sur l’Archipel et les restes étaient généralement frits le lendemain. De retour chez elle avec sa famille, après la défaite de 1945, Kanno Katsue a décidé de vendre des gyôza frits à la poêle.

La ville grouillait de personnes qui avaient été rapatriées de Chine, et pour qui les raviolis frits étaient un peu comme une madeleine de Proust… comment y résister ? Le succès ne s’est pas fait attendre ; des restaurants proposant des gyôza ont ouvert les uns après les autres aux quatre coins de la ville. Et l’enban gyôza de Shiino Jinko a fait des émules puisque bon nombre d’entre eux ont décidé de mettre eux aussi à leur carte l’appétissant disque de gyôza.

Au restaurant Manpuku, la pâte des gyôza est pétrie à la main et laissée à reposer pendant deux jours, pour lui donner une texture bien moelleuse. La garniture est simple : de la viande de porc hachée aromatisée au chou napa, de la ciboulette chinoise, des oignons de printemps, de l’ail et du gingembre.
Au restaurant Manpuku, la pâte des gyôza est pétrie à la main et laissée à reposer pendant deux jours, pour lui donner une texture bien moelleuse. La garniture est simple : de la viande de porc hachée aromatisée au chou napa, de la ciboulette chinoise, des oignons de printemps, de l’ail et du gingembre.

Atmosphère vrombissante en cuisine. Les jours d’affluence, ce sont plus de 3 000 gyôza qui sont préparés, les équipes sont donc à pied d’œuvre bien avant l’accueil des premiers clients.
Atmosphère vrombissante en cuisine. Les jours d’affluence, ce sont plus de 3 000 gyôza qui sont préparés, les équipes sont donc à pied d’œuvre bien avant l’accueil des premiers clients.

Kanno Katsue est décédée en 2010 à l’âge de 103 ans, passant la relève à sa petite-fille Shiino Jinko, qui a su préserver les techniques de préparation des précieux petits raviolis, dont la pâte faite à la main fait bien sûr partie.

Mais pourquoi servir ces gyôza en cercle ? La raison est simple : c’est parce que de cette manière Kanno Katsue faisait tenir le plus de gyôza possible dans une poêle, qu’elle posait sur un grill à charbon de bois traditionnel appelé shichirin. « Une poêle de 26 centimètres tient parfaitement sur un shichirin et peut contenir exactement 30 gyôza » explique Shiino Jinko. Faisant une démonstration du style qu’elle a appris de sa grand-mère, elle dispose habilement les gyôza dans la poêle. En effet, 30 exactement, pas un de moins, pas un de plus.

Au restaurant Manpuku, on fait d’abord rissoler les gyôza, qui prennent alors une couleur dorée, puis on baisse le feu pour les faire cuire à la vapeur pendant 10 minutes environ.
Au restaurant Manpuku, on fait d’abord rissoler les gyôza, qui prennent alors une couleur dorée, puis on baisse le feu pour les faire cuire à la vapeur pendant 10 minutes environ.

Un souci minutieux d’authenticité

Dans sa version finale, la croûte du gyôza croque sous la dent, tandis que le côté reste tendre et moelleux. Ce plat est certes plutôt roboratif, il n’est pas pour autant excessivement gras, si bien que même si vous êtes de petite composition, vous viendrez sans mal à bout du enban gyôza en entier. Rares sont ceux qui ont les yeux plus gros que le ventre.

La sauce spéciale du restaurant est composée de trois doses de vinaigre pour deux de sauce soja et une de rayû. Les convives peuvent ajouter de l’ail râpé s’ils le souhaitent.
La sauce spéciale du restaurant est composée de trois doses de vinaigre pour deux de sauce soja et une de rayû. Les convives peuvent ajouter de l’ail râpé s’ils le souhaitent.

Enban gyôza, sui-gyôza et quelques plats d’accompagnement ; voici à quoi se limite la carte du restaurant Manpuku, qui préfère proposer un style authentique. « Ma grand-mère ne mangeait pas tous les jours à sa faim après la guerre », explique Shiino Jinko. Le nom du restaurant, « Manpuku » (qui signifie « ventre plein ») vient de là, elle qui voulait rassasier des clients affamés avec un simple plat de gyôza, accompagné de quelques boissons ».

Les sui-gyôza sont une excellente alternative pour apprécier la chair moelleuse des petits raviolis.
Les sui-gyôza sont une excellente alternative pour apprécier la chair moelleuse des petits raviolis.

À l’intérieur du restaurant Manpuku, les murs sont tapissés de messages de clients satisfaits. Certains sont même des personnes célèbres.
À l’intérieur du restaurant Manpuku, les murs sont tapissés de messages de clients satisfaits. Certains sont même des personnes célèbres.

L’enban gyôza : un atout pour la communauté locale

Le enban gyôza a fait son petit chemin et il est maintenant connu aux quatre coins de l’Archipel. Mais selon Tsukahara Hitoshi, responsable de l’organisation promotionnelle Fukushima Gyôza Group, « ce plat a pris vie en dehors de la ville, mais ses racines restent bien attachées à la communauté locale ».

Un sondage mené en 2022 au sujet des dépenses annuelles en gyôza par ménage montre que la préfecture de Fukushima, avec 1 769 yens, se situe loin derrière les trois grands consommateurs de gyôza que sont Miyazaki avec 4 053 yens, Utsunomiya avec 3 763 yens et Hamamatsu avec 3 434 yens. Depuis le départ, le enban gyôza est indissociable de la culture de la boisson locale et de nombreux établissements qui le servent n’ouvrent que le soir. Tsukahara Hitoshi explique que si la devise du groupe fait la part belle au lien traditionnel entre les gyôza et la boisson « nous voulons également faire connaître le enban gyôza aux enfants ».

Susciter un sentiment de fierté chez les habitants de la préfecture, pour en faire un véritable atout pour la communauté locale ; c’est en nourrissant cet espoir que le groupe promeut activement le enban gyôza. Pour ce faire, il a organisé différents événements, lors desquels des enban gyôza étaient servis dans des poêles géantes. Tsukahara Hitoshi n’épargne pas ses efforts et se rend également dans des écoles primaires afin de transmettre toute l’histoire du enban gyôza aux élèves. En multipliant les initiatives de promotion, le petit cercle de gyôza pourrait bien devenir la dernière tendance culinaire à la mode, gagnant le cœur et l’estomac de fans aux quatre coins du Japon et même au-delà.

Tsukahara Hitoshi (devant à gauche), propriétaire du restaurant chinois Bokuten et président du Fukushima Gyôza Group, en compagnie d'autres membres lors d'un événement promotionnel. (© Fukushima Gyôza Group)
Tsukahara Hitoshi (devant à gauche), propriétaire du restaurant chinois Bokuten et président du Fukushima Gyôza Group, en compagnie d’autres membres lors d’un événement promotionnel. (© Fukushima Gyôza Group)

Le groupe organise divers événements. Lors de l’un d’entre eux ont été servies dans des poêles géantes 700 gyôza à la fois. (© Fukushima Gyôza Group)
Le groupe organise divers événements. Lors de l’un d’entre eux ont été servies dans des poêles géantes 700 gyôza à la fois. (© Fukushima Gyôza Group)

(Reportage, texte de Nippon.com. Photos : Nippon.com, sauf mentions contraires.)

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