[Galerie photos] Un manoir troglodytique creusé à la main par un père et son fils japonais

Architecture

Le Gankutsu Hotel est une grotte artificielle creusée à la main par un agriculteur japonais. Il a creusé à raison de 30 cm par jour dans une falaise verticale, au burin et au pic, jusqu’à sa mort. La caverne est tellement soignée dans les moindres détails qu’il est sans doute plus approprié de la qualifier de sculpture que d’architecture. Les effondrements venant avec le temps, la structure n’est visible aujourd’hui dans son intégralité que sur des photographies prises il y a une quarantaine d’années.

Bien que communément appelé « Gankutsu Hotel » (« Hôtel troglodytique »), situé dans la commune de Yoshimi, dans la préfecture de Saitama près de Tokyo, la structure n’a jamais été conçue comme un hôtel. Son créateur, Takahashi Minekichi, l’appelait lui-même « Kôsôkan » (« le manoir »). Il semblerait que ce soient les gens du voisinage qui l’aient appelé « hôtel », par déformation : voyant Minekichi travailler comme un forcené, ils disaient : Gankutsu hotteru (« Il creuse une grotte »), qui est devenu « Gankutsu Hotel », l’hôtel troglodytique.

Vue extérieure du Kôsôkan, prise en 1978 (idem photo ci-dessous)
Vue extérieure du Kôsôkan, prise en 1978 (idem photo ci-dessous)

Entrée centrale juste une fois passée l’entrée du rez-de-chaussée
Entrée centrale juste une fois passée l’entrée du rez-de-chaussée

Au bout de l’entrée, la décoration de l’arche centrale
Au bout de l’entrée, la décoration de l’arche centrale

Plafond de la grande salle centrale
Plafond de la grande salle centrale

Entrée centrale vue depuis l’escalier central
Entrée centrale vue depuis l’escalier central

30 cm par jour, tous les jours, pendant 21 ans

D’où lui est venue l’idée de creuser dans la colline pour créer cette architecture troglodytique ? Les quelques documents originaux de la main de Minekichi, et les souvenirs de la famille Takahashi recueillis par entretiens dessinent deux pistes.

L’une d’elle est un site de la fin de la période Kofun (-250 à 538 de notre ère), situé à quelques centaines de mètres du Kôsôkan, et appelé Yoshimi hyakketsu ou « Les 100 trous de Yoshimi ». On considère aujourd’hui qu’il s’agit d’une nécropole troglodytique, mais le diplomate et archéologue autrichien Henry Siebold et d’autres personnes ont pu croire dans le passé qu’il s’agissait d’habitations primitives. Ces influences ont pu conduire Minekichi à l’idée de creuser un trou dans la falaise de la colline et de l’utiliser comme habitation.

Une autre théorie est qu’il avait appris dans son enfance que la température demeurait stable toute l’année dans une grotte rocheuse, ce qui constituerait un endroit idéal pour stocker des objets. Toutefois, si ces circonstances ont pu constituer une opportunité, elles n’ont sans doute pas été une motivation suffisante pour la grande vision de Minekichi. En effet, il disait que la construction durerait 150 ans, sur trois générations. Il devait donc y avoir quelque chose de plus qui le motivait de l’intérieur...

Minekichi est né en 1858, à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868) et a passé sa jeunesse dans les temps turbulents qui ont marqué le début de la Restauration de Meiji. Dans le même temps, inspiré par les avancées de la civilisation occidentale, comme l’invention par Edison de l’ampoule électrique à incandescence et du téléphone, exposés à l’exposition universelle de Philadelphie, il est probable que son esprit d’entreprise ait perçu l’avènement d’une ère nouvelle.

Le manoir troglodytique fut ouvert au public dès le début de sa construction et devint une attraction touristique qui attirait de nombreux badauds des ères Meiji (1868-1912) à Shôwa (1926-1989) ainsi qu’un sujet brûlant de conversation.

Takahashi Minekichi (à gauche) et son fils Taiji
Takahashi Minekichi (à gauche) et son fils Taiji

Minekichi organisa une cérémonie d’inauguration des travaux en juin 1904, et commença à creuser le 25 septembre de la même année. Il était alors âgé de 46 ans. Avec plusieurs variations possibles, le plan grandiose du Kôsôkan, tel qu’il l’aurait initialement décrit, devait occuper une façade d’environ 54,6 mètres sur trois étages, et sa construction devait se poursuivre sur trois générations. Les travaux suivirent les plans pendant 21 ans, jusqu’à sa mort en 1925. Les travaux avançaient de 30 cm par jour sur une surface d’un tatami (≈1,8 m2).

Le travail s’est poursuivi à la génération suivante, par son fils Taiji, qui avait été adopté par la famille Takahashi. Interrompus par la Seconde Guerre mondiale, les travaux reprirent après la guerre. Après 1965, les travaux d’entretien et de gestion prirent de plus en plus d’importance, jusqu’au décès de Taiji en janvier 1987.

La qualité du rocher et les infiltrations ont rendu impossible l’excavation selon les plans initiaux

Rapportés aux esquisses initiales de Minekichi, la façade réelle devait faire 21,8 mètres, sur trois niveaux. Que ce soit par hasard ou intentionnellement, il se trouve que la proportion entre la largeur et la hauteur du bâtiment est proche du nombre d’or. Néanmoins, la structure effectivement représentée sur la falaise est un bâtiment de deux étages avec une façade d’environ 20 mètres. Le troisième étage n’est présent que par l’emplacement de quelques fenêtres à peine creusées de l’extérieur.

Sur les croquis originaux, la façade est une architecture de style occidental sur trois niveaux, avec une symétrie axée sur le grand hall de l’entrée, et une composition à trois étages. Et puisque l’on trouve un laboratoire scientifique sur l’aile gauche du hall central, on peut imaginer qu’une structure similaire était prévue dans l’aile droite.

Élévation originale par Minekichi (façade)
Élévation originale par Minekichi (façade)

Cependant, les mesures réelles de l’espace intérieur montrent que la structure n’est pas symétrique. La raison en est que l’excavation manuelle dans un tuf calcaire composé de parties dures et moins dures rendait difficile de respecter le plan. D’autres facteurs, comme des infiltrations, ont probablement forcé la structure à avoir cette forme irrégulière.

Outils utilisés pour le travail d’excavation
Outils utilisés pour le travail d’excavation

La caractéristique la plus frappante du manoir troglodytique est d’avoir été creusé entièrement dans la roche. Tout est creusé et taillé, sans aucun ajout ultérieur, à l’exception de la porte coulissante du rez-de-chaussée et de la balustrade du balcon de l’étage. Les sols, les murs et les plafonds des chambres, ainsi que l’ameublement, sont tous en tuf, taillés dans la masse.

Grand hall central
Grand hall central

Vue du grand hall central depuis le fond
Vue du grand hall central depuis le fond

Le laboratoire scientifique
Le laboratoire scientifique

Vue de l’entrée depuis l’arrière du laboratoire scientifique
Vue de l’entrée depuis l’arrière du laboratoire scientifique

L’intérieur du laboratoire scientifique
L’intérieur du laboratoire scientifique

La paillasse à expériences
La paillasse à expériences

La table d’études et les étagères de laboratoire
La table d’études et les étagères de laboratoire

La clef du mystère du manoir troglodytique

On dit que l’architecture se distingue des autres formes d’art par « la beauté de l’utile », mais dans ce cas comment comprendre cette paillasse à expériences, ce vase, ces étagères et cette table d’études creusées dans la masse et donc sans aucune utilité pratique, ainsi que les colonnes et les poutres qui ne jouent aucun rôle de soutien de l’étage supérieur ? J’ai le sentiment que c’est autour de cette question que se trouve la clef du mystère du manoir troglodytique. Il ressort également de plusieurs documents que Minekichi avait conçu le Kôsôkan dès le départ comme un « monument artificiel », en tout cas comme un lieu à montrer et à visiter.

L’imagination est ici notre seule alliée, mais il est possible que le but de Minekichi ait été d’exprimer et de représenter l’esprit et le style de vie de la nouvelle ère à laquelle il aspirait. L’Occident en tant qu’utopie, la science, la rationalité, la beauté et la justice, une nouvelle ère s’exprime dans les espaces intérieurs parsemé d’élément du langage architectural qu’il connaissait, la façade à trois étages de style occidental, la composition symétrique, le nombre d’or, l’échelle stricte, le hall central au plafond voûté, le laboratoire scientifique et la pièce du téléphone, pour leur donner vie sous les yeux des gens de l’époque. Pour Minekichi, c’était sans doute le rêve de toute une vie.

Rez-de-chaussée, le corridor transverse
Rez-de-chaussée, le corridor transverse

L’escalier vers le rez-de chaussée
L’escalier vers le rez-de chaussée

L’escalier vers le premier étage
L’escalier vers le premier étage

Une fenêtre depuis le corridor du premier étage
Une fenêtre depuis le corridor du premier étage

Le couloir vers l’escalier du rez-de-chaussée
Le couloir vers l’escalier du rez-de-chaussée

Vue du balcon depuis le corridor du premier étage
Vue du balcon depuis le corridor du premier étage

L’architecture d’un rêve qui s’effondre

Il est certain que de nombreux bâtiments comme le Gankutsu Hotel, conçus et construits de leurs propres mains par des individus qui n’étaient pas des architectes et qui les a créés de ses propres mains, existent encore de par le monde, certains sans doute encore inconnus. Le « Palais idéal du facteur Cheval », de Ferdinand Cheval à Hauterive, un petit village près de Lyon dans le sud de la France, a fait l’objet d’un film en 2018 qui a été présenté au Japon. La Watts Tower, réalisée par Simon Rodia, est aujourd’hui l’une des attractions touristiques du quartier de Watts à Los Angeles. Ces deux exemples sont aujourd’hui classés monuments historiques de leur pays respectif, et sont très connus. Au Japon, le célèbre « Miyake Sakae hatsumei kenkyûjo » (Laboratoire d’inventions Miyake Sakae), construit par Miyake Sakae à Miyoshimura, dans la préfecture de Chiba, a malheureusement été démoli en septembre 1987.

Le Gankutsu Hotel est sur le point de s’effondrer avant même d’être achevé : un typhon en 1982 a provoqué l’effondrement d’une partie de la falaise, et en juin 1985, la majeure partie de la façade a été emportée par le détachement du rocher. Depuis lors, l’érosion des murs intérieurs et extérieurs atteint un point tel qu’aujourd’hui, l’architecture prévue par Minekichi ne peut plus être vue dans son intégralité que sur des photographies prises par Arai Hidenori en 1978. L’accès des lieux est interdit par un portail en fer, le rêve de Minekichi est sur le point de disparaître, scellé dans la roche.

Le Kôsôkan dans son état actuel, couvert d’herbe et d’arbres, photographié en 2022.
Le Kôsôkan dans son état actuel, couvert d’herbe et d’arbres, photographié en 2022.

(Photo de titre : l’entrée centrale du Kôsokan)

patrimoine photographie architecture Meiji Saitama