Gunkan-jima, l’île abandonnée

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Gunkan-jima a été un jour le lieu le plus densément peuplé au monde. Presque quarante ans après la fermeture de la mine qui était sa raison d’être, l’île est devenue une ville fantôme, mais attire à nouveau l’attention. Elle a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 2015 avec plusieurs autres lieux sous le nom « Sites de la révolution industrielle Meiji ».

« Tout ce que l’homme crée disparaît un jour. L'île de Gunkanjima symbolise cette vérité et possède la tristesse et la beauté de ce qui est en train de disparaître. Ce doit être la raison pour laquelle les gens y affluent. » Ôhashi Hiroshi, un photographe qui y a habité six mois à partir de l’automne de l’année 1972, quand il était jeune, explique ainsi sa popularité actuelle.

L'île de la houille, ce minerai qui a permis de construire le Japon moderne

L'île, qui s’appelle officiellement Hashima, est située à 18,5 kilomètres au sud-ouest de Nagasaki. Si elle a été surnommée Gunkan-jima, « l’île-cuirassé », dans les années 1930, c’est parce que sa silhouette ressemblait à celle des cuirassés de la classe Tosa.

Lorsque son gisement de houille a été découvert en 1810, elle n’avait qu’un tiers de sa surface actuelle et n'était qu’un îlot rocheux sans aucune végétation. Elle a acquis sa taille actuelle, 480 mètres du nord au sud, et 160 d’est en ouest, soit 6,3 hectares et 1 200 mètres de circonférence, grâce à six agrandissements successifs.

La forêt des antennes de télévision de jadis a disparu.

L’exploitation du gisement n’a véritablement commencé qu’après l’achat en 1890 de l'île par le groupe Mitsubishi. Son charbon de bonne qualité, utilisé notamment dans les hauts fourneaux de Yahata (préfecture de Fukuoka), tout comme celui de l'île voisine de Takashima, a contribué à la modernisation du Japon.

A partir de 1916, année de la construction de « l’immeuble d’habitation n°30 », le premier bâtiment en béton armé du Japon, l'île s’est couverte des hauts immeubles pour lesquels elle est encore connue aujourd’hui. Sa population a crû au même rythme que les quantités de houille extraite, et à son apogée, vers 1960, 5 300 personnes y habitaient, soit une densité de population neuf fois supérieure à celle de Tokyo. Elle comptait alors des écoles primaires, un collège, un hôpital, sans oublier son cinéma, ses halls de pachinko, et ses bars. 

« Quand j’y vivais, je crois qu’elle avait encore plus de deux mille résidents. L'électricité qui était produite sur place dans une centrale au charbon ne coûtait rien aux insulaires. Tout le monde avait la télévision, se chauffait à l'électricité et utilisait les produits électro-ménagers les plus avancés. Quand on voulait vraiment faire la fête ou qu’on se sentait à l'étroit sur l'île, il suffisait de prendre le bateau pour aller à Nagasaki. Mais on ne manquait de rien sur l'île et la vie y était plaisante », explique M. Ôhashi.

Les hommes au travail à Gunkanjima. La grande grue à l’arrière-plan a disparu après la fermeture de la mine.

Des familles de trois générations sous un même toit

La production mensuelle maximale de la mine a été atteinte en décembre 1965 avec 35 000 tonnes. Elle a ensuite commencé à décliner au fur et à mesure que le pétrole devenait la première source d'énergie, et la mine a fini par fermer le 10 janvier 1974. Le 20 avril de la même année, la liaison par bateau entre Takashima et Hashima a cessé, et elle est redevenue inhabitée.

« Parce que c’est une petite île entourée par la mer obscure, les étoiles y étaient particulièrement belles. J’aimais les regarder le soir après une dure journée de travail. Aujourd’hui, c’est une attraction touristique qui attire les amateurs d’histoire et de ruines, mais pour moi, c'était un lieu de vie. J’y ai travaillé six mois comme employé d’un sous-traitant de la mine, et cela m’attriste de penser qu’il ne reste que des ruines d’un endroit où j’ai passé une partie de ma jeunesse. J’ai connu des familles qui habitaient à trois générations sous un même toit et qui étaient venues y travailler. Pour eux, cela doit être encore plus triste », commente M. Ôhashi.

Les collègue du photographe en 1972. Sur l'île, tout le monde vivait ensemble, jeunes et vieux, hommes et femmes.

Le message de Gunkan-jima

Après la fermeture de la mine, l'île a continué à appartenir à Mitsubishi Materials qui en a transféré la propriété à titre gracieux à la municipalité de Takashima en 2001. Depuis 2005, année de la réorganisation de municipalités, ce village fait partie de la ville de Nagasaki. Le 23 août de la même année, des journalistes ont eu l’autorisation d’y rendre pour la première fois depuis sa fermeture, et les images qu’ils ont prises de l'île abandonnée eurent un grand retentissement.

En janvier 2009, elle a été inscrite provisoirement sur la liste du patrimoine de l’humanité de l’Unesco comme faisant partie de l’ensemble « Modern Industrial Heritage Sites in Kyûshû and Yamaguchi ». Quelques mois plus tard, le 22 avril, l’interdiction d’y pénétrer y a été levée. Dans les quatre ans qui se sont écoulés depuis, plus de 360 000 personnes l’ont visitée, notamment à cause de la popularité actuelle qu’ont les ruines, avec un impact économique induit estimé à quelque 6,5 milliards de yens. 

L'île est devenue le modèle de l'île Dead City du 23e film de la série « James Bond », Sky Fall, sorti en 2012.

Gunkan-jima a finalement été inscrit en 2015 au patrimoine mondial, aux côtés de 22 autres lieux, sous le nom « Sites de la révolution industrielle Meiji ».

 « Qu’un endroit où j’ai vécu soit devenu un haut lieu du tourisme me trouble quelque part. C’est sans doute pour cela que je voudrais que les touristes qui y viennent en repartent en ayant ressenti quelque chose. Tout bien pensé, Gunkanjima a été créé pour ce qui était à l’époque l’énergie de pointe. Aujourd’hui, le monde entier s’intéresse aux énergies renouvelables qui prendront le relais du pétrole, et le Japon d’après le Grand tremblement de terre du 11 mars 2011 est confronté à de graves problèmes dans ce domaine. Je pense au nucléaire et la radioactivité... J’ai l’impression que Gunkan-jima a quelque chose à nous apprendre à cet égard », conclut M. Ôhashi.  

(Photos en noir et blanc : Ôhashi Hiroshi, Seishun Gunkanjima (Gunkanjima, ma jeunesse), publié par Shinjuku Shobo, 1972
Photos en couleur : Somese Naoto (avec Sony NEX-6) en collaboration avec Sony)

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