S’engager sur le chemin de la décarbonisation : le Japon dans l’ère post-Glasgow

L’ordre du jour du Japon après la COP26 : résorber le « clivage carbone »

Environnement International

Le Sommet de Glasgow (COP26) de novembre dernier sur le climat, qu’on attendait depuis longtemps, a débouché sur un consensus quant à la nécessité d’un renforcement de l’action en faveur du climat, mais n’a pas produit d’avancées majeures en ce qui concerne la réduction du « clivage carbone » entre le Nord et le Sud. L’auteur se penche ici sur la diplomatie climatique du Japon dans ce contexte mondial.

La Conférence 2021 des Nations unies sur le changement climatique s’est tenue à Glasgow, en Grande-Bretagne, du 31 octobre au 13 novembre. Le principal résultat de cette réunion longtemps repoussée, connue sous le nom de COP26, a été l’affirmation de la nécessité de renforcer l’action en faveur du climat, avec pour objectif, au cours du XXIe siècle, de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 1,5 degrés Celsius par rapport aux niveaux pré-industriels.

Où cela nous mène-t-il ? Dans la suite de ce texte, je dresse un panorama de la diplomatie climatique japonaise jusqu’à la COP26 et m’interroge sur les responsabilités du Japon dans le contexte de ces tendances.

Les engagements au titre de l’Accord de Paris

L’Accord de Paris, adopté en décembre 2015, s’est substitué au Protocole de Kyoto, signé en 1997, en tant qu’accord sur le changement climatique prévalant au niveau international. Ces deux conventions demandaient aux nations de s’engager en faveur de la réduction des émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre, mais l’Accord de Paris étendait cette obligation à toutes les parties concernées, plutôt que de la limiter aux pays développés et aux nations de l’ancien bloc soviétique. Les parties prenantes à l’Accord de Paris adhéraient également à l’objectif de limiter le réchauffement mondial à 2 °C, plutôt qu’à 1,5 °C. Avec la conclusion de cet accord, les États-Unis — qui, en dernière instance, avaient rejeté le Protocole de Kyoto sous prétexte qu’il exemptait des pollueurs notoires comme la Chine et l’Inde — rejoignaient le dispositif climatique mondial.

L’Accord de Paris fait obligation à toutes les parties prenantes d’élaborer et de soumettre tous les cinq ans leurs propres programmes d’action en faveur du climat. Ces « contributions nationales déterminées » (NDC selon l’acronyme anglais) sont censées devenir de plus en plus ambitieuses avec le temps, mais chaque pays a toute latitude pour fixer lui-même ses propres objectifs à partir des critères de son choix. Comment les plus gros émetteurs mondiaux de carbone ont-ils réagi à ce défi ?

Le projet le plus ambitieux a été celui de l’Union européenne, qui s’engageait à réduire de 40 % ses émissions d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Les États-Unis, deuxième plus gros émetteur mondial en 2015, s’engageaient à réduire de 26 à 28 % leurs émissions d’ici 2030 par rapport à 2005. Le Japon lui aussi se donnait pour cible une réduction de 26 %, mais en prenant 2013 (année où les émissions ont enregistré un pic) comme année de référence. En revanche, la Chine, désormais le plus gros émetteur mondial de carbone, a soumis des NDC qui permettaient une hausse des émissions jusqu’en 2030 dans l’ensemble de son économie, même si les émissions par unité de produit intérieur brut étaient censées baisser de 60 à 65 % par rapport aux niveaux de 2005. De même l’Inde, pays en croissance rapide et désormais troisième plus gros pollueur au carbone, s’accordait une marge de manœuvre considérable avec une proposition de réduction des émissions par unité de PIB limitée à 33 à 35 %.

L’élan en faveur d’un renforcement de l’action climatique s’est accéléré en octobre 2018 avec la publication d’un Rapport spécial sur les 1,5 °C produit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (l’agence de l’ONU chargée des évaluations et projections liées au changement climatique). Ce rapport en arrivait à la conclusion que, pour éviter les impacts les plus catastrophiques du changement climatique, il fallait maintenir l’élévation mondiale des températures en dessous de 1,5°C (en non pas 2° C), et que la réalisation de cet objectif exigeait que les émissions de CO2 diminuent de 45 % d’ici 2030 et soient réduites à zéro d’ici 2050. En septembre 2019, lors du Sommet Action Climat de l’ONU, 77 pays ont entériné l’accord de principe pour une réduction à zéro des émissions de carbone d’ici 2050, et la majorité d’entre eux se sont engagés à revoir leurs NDC en conséquence.

Suite à cela, les engagements ont proliféré. En décembre 2019, la Commission européenne a présenté son Pacte vert pour l’Europe, qui vise à réduire de moitié les émissions d’ici 2030 et à parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050. La cible de réduction de l’UE pour 2030 a par la suite été portée à 55 % et, en juin 2021, la politique définie est devenue juridiquement contraignante avec l’entrée en vigueur de la Loi européenne sur le climat. Lors de la réunion de septembre 2020 de l’Assemblée générale de l’ONU, le président Xi Jinping a annoncé que la Chine se fixait un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2060. Au mois d’octobre de la même année, à l’occasion de son premier discours de politique générale devant la Diète, le nouveau Premier ministre japonais Suga Yoshihide a entériné un grand virage dans la politique nationale en annonçant l’adoption d’une cible de neutralité carbone d’ici 2050. Après quoi le Japon a porté à 46 % son objectif de réduction pour 2030.

Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis s’étaient à nouveau mis à l’écart, mais en janvier 2021, dès son arrivée au pouvoir, le Président Joe Biden s’est empressé de rejoindre l’Accord de Paris, et il a annoncé que les États-Unis parviendraient à la neutralité carbone d’ici 2050. Lors du Sommet sur le climat qu’il a hébergé en avril 2021, Biden a promis que, d’ici 2030, son pays allait réduire de 50 % ses émissions de carbone par rapport aux niveaux de 2005.

Comparée à cela, la réaction des pays en développement s’est avérée tiède. L’Inde s’est abstenue de toute mention de la neutralité carbone, et la Chine a déçu le reste du monde en refusant de s’engager en faveur d’un renforcement des actions climatiques pendant la période qui a précédé la COP 26.

Le Japon en porte-à-faux dans le domaine de l’électricité issue du charbon

Lors des négociations qui se sont déroulées dans le cadre de la COP 26 et du Pacte de Glasgow pour le climat, la proposition de suppression progressive des centrales électriques alimentées au charbon a constitué l’une des principales pierres d’achoppement. Dans le monde développé, cette idée circulait approximativement depuis l’année 2016, quand les nations occidentales ont commencé à annoncer des projets visant à mettre un terme à l’usage traditionnel de l’électricité produite par les centrales à charbon : la France en 2022, la Grande-Bretagne en 2024, l’Italie en 2025 et le Canada en 2030. Même l’Allemagne, dont la dépendance à l’égard du Japon n’est pas négligeable, s’est engagée à mener à bien la transition en 2038 au plus tard. Les États-Unis, sans aller jusqu’à promettre de mettre au rancart l’électricité issue du charbon, se sont engagés à ce que leur production d’électricité soit exempte à 100 % de pollution carbonée d’ici 2035.

La Grande-Bretagne, qui présidait et hébergeait la COP 26, a pris bonne note de ces tendances et a fait de l’élimination accélérée des centrales au charbon un objectif majeur de la conférence. Elle a formulé la Déclaration mondiale sur le charbon pour la propreté de la transition énergétique, qui appelait les pays riches à achever leur sortie de la production soutenue d’énergie carbonée avant les années 2040, et les pays pauvres avant les années 2050. 46 gouvernements, dont celui de l’UE, ont signé, mais ni la Chine, ni l’Inde, ni le Japon ni les États-Unis n’en faisaient partie. Au début, l’expression « élimination progressive » des centrales à charbon figurait dans la terminologie des documents finaux de la COP 26, mais elle a été remplacée par le terme « réduction progressive » à la suite d’une objection de dernière minute avancée par l’Inde et d’autres nations en développement dépendantes du charbon. Alok Sharma, le président de la conférence, s’est résigné à accepter cette modification en tant que prix à payer pour atteindre la cible, entre toutes prioritaire à ses yeux, des 1,5 °C.

Les partisans d’une élimination progressive de l’énergie carbonée n’ont reçu aucun soutien du Japon. À l’opposé de cela, le Premier ministre Kishida Fumio s’est déclaré favorable au recours à l’hydrogène et à l’ammoniac dérivés du charbon pour la génération d’électricité sobre en carbone, et cette prise de position a été accueillie comme un retour en arrière, ce qui a valu au Japon de sévères critiques de la part des défenseurs du climat, comme cela avait déjà été le cas lors de la conférence précédente. Certes, en raison de circonstances particulières — et notamment la fusion des cœurs de réacteur survenue à la centrale nucléaire de Fukushima —, il est difficile pour le Japon de se doter d’une alimentation électrique stable et fiable sans l’aide du charbon. Mais en refusant d’afficher une position plus volontariste sur la décarbonisation du secteur énergétique, Tokyo s’est posée en adversaire des courants progressistes et a donné l’impression d’entériner le statu quo prévalant parmi les pays en développement dépendant du charbon.

Diplomatie climatique et intérêt national

Cela nous amène à nous poser une question plus importante, celle des moyens à employer pour réconcilier la diplomatie climatique avec l’intérêt national du Japon. La réponse à ce dilemme dépend de la définition que nous adoptons de l’intérêt national.

Depuis quelque temps, les partisans du développement durable ont tendance à se focaliser sur les avantages économiques de la décarbonisation conçue comme une nouvelle stratégie de croissance. L’idée est que l’élan en faveur de la neutralité carbone va encourager l’innovation technologique dans des domaines comme l’énergie renouvelable, le captage du carbone, les piles à hydrogène et les batteries d’accumulateurs, ce qui en retour fera naître de nouveaux marchés. Les experts s’accordent à dire que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone générera tout un éventail d’opportunités commerciales, et les grandes puissances économiques mondiales ont d’ores et déjà commencé à canaliser l’investissement public en vue de se positionner à la pointe de la nouvelle économie.

L’UE s’est affirmée comme un leader en ce domaine. En janvier 2020, la Commission européenne a dévoilé son Plan d’investissement du pacte vert pour l’Europe, dont l’objectif est de mobiliser 1 000 milliards d’euros au cours des dix prochaines années en soutien à des projets liés par exemple à l’électrification des transports, à la production d’électricité à partir de la biomasse et au développement de technologies d’élimination du carbone. Le Plan emplois américain annoncé en mars 2021 par le président Biden prévoit 2 000 milliards de dollars de dépenses en huit ans, dont une bonne partie sera consacrée à l’investissement dans les véhicules électriques et les lignes à haute tension permettant d’alimenter les consommateurs en énergie renouvelable.

Et ces politiques ne sont pas confinées à l’occident industrialisé. Il y a plus de dix ans, la Chine a commencé à s’intéresser aux nouvelles technologies énergétiques, aux technologies et équipements écologiques, et aux véhicules nouvelles énergies en tant que « secteurs stratégiques émergents ». Elle a également entrepris de développer ses ventes à l’étranger de ce genre de produits et technologies via son Initiative ceinture et route. Tant et si bien que les entreprises chinoises contrôlent désormais 70 % du marché mondial des panneaux solaires, et que 5 des plus grands fabricants d’éoliennes sont chinois. Récemment, le Japon a pris le train en marche avec un Fond d’innovation verte de 2 000 milliards de yens (annoncé en décembre 2020) destiné à financer la mise au point de technologies visant à parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, et notamment l’énergie issue de l’hydrogène et celle, peu coûteuse, provenant de l’éolien en mer.

Ce genre de concurrence économique peut certainement jouer un rôle dans la promotion de la mise au point et de l’adoption de technologies à faible intensité en carbone. Mais la recherche du profit ne constitue pas une motivation susceptible d’altérer la trajectoire des pays en développement dans un délai suffisamment court pour éviter une crise climatique de grande ampleur. C’est pourquoi nous ne devons pas perdre de vue la raison fondamentale de la poursuite de la décarbonisation : la nécessité de stabiliser le climat de la terre conçu comme un bien public mondial essentiel.

Résorber le grand clivage carbone

Tandis que les pays développés élaborent des projets ambitieux pour sortir du charbon et des autres combustibles fossiles, les pays pauvres sont toujours en train de se battre pour satisfaire leurs besoins essentiels en énergie. À l’heure actuelle, l’Inde se repose sur le charbon à bon marché pour produire plus de 70 % de l’électricité qu’elle consomme. C’est pour cette raison que, à la COP 26, elle a refusé de céder aux pressions exercées par la Grande-Bretagne pour obtenir des parties prenantes qu’elles s’engagent à renoncer complètement à recourir au charbon. L’Inde a certes promis de porter à 50 % d’ici 2030 la part occupée par les renouvelables dans son mix énergétique, mais cette part reste aujourd’hui inférieure à 5 %. L’avènement rapide de la transition se heurte à de gigantesques obstacles économiques, politiques et techniques. Dans les prochains mois, qui plus est, à mesure que l’activité économique va reprendre en Inde et dans le reste du monde en développement, la construction de routes, de voies ferrées et d’usines va rebondir, et provoquer par la même occasion une augmentation de la demande de charbon destiné à la production d’électricité bon marché.

Il n’existe qu’une solution pour résorber ce grand clivage : que les pays riches subventionnent la transition énergétique dans le monde en développement. Faute d’une telle assistance, les pays en développement resteront dépendants du charbon dans un avenir prévisible et continueront de rejeter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. C’est pour cette raison qu’en 2009 les nations développées se sont engagées à débloquer de concert 100 000 milliards de dollars par an pour aider les pays pauvres à réduire leurs émissions et à s’adapter au changement climatique. Malheureusement, le monde industriel n’a pas respecté cet engagement collectif. (D’où l’importance de l’engagement, pris à Glasgow par le Premier ministre Kishida Fumio, d’attribuer 1 000 milliards de yens supplémentaires, soit 7,2 milliards d’euros, aux pays en développement.)

La menace du changement climatique ne concerne pas que les petites nations insulaires menacées de sombrer dans l’océan. Les événements climatiques extrêmes tels que l’ouragan Ida, qui a dévasté la côte est des États-Unis pendant l’été 2021, sont de plus en plus fréquents. C’est pourquoi nous disons que la stabilité du climat est un bien public. De ce point de vue, il est de toute évidence dans l’intérêt national du Japon de consacrer davantage d’efforts à la réduction de sa propre dépendance à la production d’électricité via le charbon et d’aider les pays en développement de la région à procéder à la même transition.

(Photo de titre : un modèle géant de la terre à la COP 26 à Glasgow, en Écosse, le 13 novembre 2021. DPA/Kyôdô)

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