Le quartier coréen de Shin-Ôkubo : le développement des enclaves ethniques au Japon

Société

Le quartier coréen de Shin-Ôkubo, à Tokyo, est l’une des plus emblématiques enclaves ethniques au Japon. À travers elle, analysons le développement des communautés étrangères sur l’Archipel.

Les enclaves ethniques se multiplient et évoluent

Le paysage urbain de Tokyo se transforme progressivement avec l’apparition d’enclaves ethniques au sein de la ville. Le plus grand quartier coréen du Japon se concentre aux alentours de la gare de Shin-Ôkubo, dans l’arrondissement de Shinjuku. Les autres lieux du même type dans la capitale nippone sont le quartier chinois de Kita-Ikebukuro, le petit Manila de Takenotsuka (arrondissement d’Adachi), le quartier thaïlandais autour de la gare de Kinshichô (arrondissement de Sumida) et l’enclave indienne de Nishikasai (arrondissement d’Edogawa).

Tokyo accueille également d’autres groupements ethniques situés dans une zone donnée, comme celui des Vietnamiens (Kamata), des Birmans (Takadanobaba), des Indonésiens (Meguro), des Bangladais (Ôyama) et des Népalais (Ôkubo et Hyakunin-chô). Les immigrés venus de Turquie et des pays arabes se concentrent autour de Yoyogi-Uehara et de Shibuya, tandis que les réfugiés venus d’Éthiopie forment une communauté à Katsushika, où ces derniers poursuivent la lutte politique appelant à plus de démocratie dans leur pays d’origine.

Alors que le taux de naissance au Japon reste peu élevé et que la population prend de l’âge, ces enclaves ethniques apparaissant principalement en périphérie des grandes villes continuent à se multiplier et à évoluer, malgré les restrictions liées à l’immigration. Est-ce dans ces endroits que prend racine le multiculturalisme ?

La diversité et ses défis

Le quartier coréen de Shin-Ôkubo, comprenant une importante communauté et près de 500 établissements, est une exception au sein des enclaves ethniques de Tokyo, qui sont en général plus petites. Un exemple plus typique est le nouveau quartier chinois d’Ikebukuro, où quelques restaurants ethniques, des épiceries et des boutiques de cadeaux sont éparpillés au sein d’un quartier commerçant classique. Leur présence contribue cependant à un sentiment d’exotisme dans une rue japonaise tout à fait ordinaire.

La plupart des Japonais ne connaissent qu’assez peu la culture des étrangers vivant auprès d’eux. Pourquoi ces derniers ont-ils décidé de venir au Japon ? Quel est leur mode de vie ? Même si les Japonais peuvent montrer une certaine curiosité, quoique passive, à leur encontre, le choc culturel rend parfois difficile les interactions avec les résidents venus d’outre-mer.

Au Canada, où de nombreuses cultures coexistent, Toronto est bien connu pour ses quartiers multiculturels. Des résidents venus d’une centaine de pays habitent la ville, vivant dans des communautés d’immigrants de longue date, permettant ainsi de pérpétuer leur culture. Le Japon, moins ouvert à la diversité que le Canada, dispose d’enclaves dont l’histoire est bien plus courte. Les allées et venues de ces diverses communautés sont constamment changeantes, et leur situation précise est difficile à déterminer.

Le développement récent de ces quartiers montre le développement de Tokyo en tant que ville internationale et diverse, augmentant également son attractivité, ce qui arrive à point nommé pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2020. Cependant, les quartiers multiculturels de Tokyo donnent de nouveaux défis à relever, tel que les problèmes de voisinage. En effet, les inquiétudes des résidents japonais concernant la sécurité et le respect des règles de bonnes manières japonaises sont bien réélles. L’apparition de ces quartiers peut-être vu comme un miroir reflétant l’avenir de la société...

Le plus grand quartier coréen du Japon

Ces enclaves ont été crées de diverses façons. Ainsi, les étudiants chinois restés au Japon après leurs études ont fondé le nouveau quartier chinois d’Ikebukuro, et la communauté indienne, forte de plus de 2 000 personnes, est essentiellement composée d’informaticiens. Mais la formation de ces groupes n’est pas toujours aisée. Par exemple, les Birmans et les Éthiopiens ont souvent connus des persécutions politiques dans leurs pays, ce qui les a amenés à fuir vers le Japon...

Les passants qui traversent les quartiers d'Okubô et de Shin-Okubô remarqueront certainement le grand nombre de personnes parlant des langues étrangères, qui sont parfois même plus nombreuses que les locuteurs de japonais ! Ce quartier est particulièrement animé. Les jeunes chinois et coréens s'habuillent souvent de la même manière que les jeunes japonais, et il est parfois difficile de reconnaître leur origine au premier coup d’œil en se basant uniquement sur leur apparence. Les commerçants des supérettes (konbini) du district d'Ôkubo sont pour la plupart des jeunes femmes chinoises. Il en va de même pour le personnel des établissements de restauration et de débit de boissons, ce qui donne à penser que les commerces de cette zone dépendent fortement de la main-d’œuvre étrangère pour survivre.

Le quartier coréen de Shin-Ôkubo existe depuis environ 25 ans. Vous pouvez vous y rendre en vous dirigeant vers l'est par la rue Shokuan depuis le bureau des impôts de Shinjuku (Shinjuku zeimusho). Après être passé sous les voies de chemin de fer aériennes, vous trouverez le quartier coréen situés sur le côté gauche de la rue. Lorsque le Japon et la Corée du Sud ont co-organisé la Coupe du monde de football en 2002, les supporters sud-coréens résidant à Tokyo se sont rassemblés au restaurant coréen « Taishikan », situé dans le quartier. Ce restaurant est désormais fermé et le centre du quartier coréen semble s'être déplacé vers la rue Ikemen perpendiculaire à la rue Shokuan, le reliant au nord à la rue Ôkubo.

Le quartier coréen de Shin-Ôkubo
Le quartier coréen de Shin-Ôkubo

Une inquiétante dégradation des relations

J’ai pu interroger le propriétaire d’un restaurant de la rue Ikemen. Après avoir étudié les sciences politiques dans une université coréenne, ce dernier est venu au Japon il y a huit ans de cela afin de poursuivre des études supérieures dans une université privée de Tokyo. À la fin de ses études, il a commencé à travailler dans le quartier de Shin-Ôkubo. Il dissimule son vrai nom pour éviter tout problème lié aux fréquentes manifestations organisées dans le quartier par le Zaitokukai, une association d’extrême-droite qui s'oppose ouvertement à ce qu’elle appelle les « privilèges spéciaux » des coréens résidant au Japon. Le propriétaire du restaurant a déclaré qu’il se sentait impuissant face aux manifestants et à leur discours de haine, mais qu'il était heureux que les choses se soient calmées plus récemment.

Le quartier de Shin-Ôkubo a profité de la popularité croissante de la culture pop coréenne au Japon, et le nombre d’entreprises coréennes a connu une forte augmentation. Ce phénomène a pris davantage d’ampleur avec la diffusion au Japon de l’émission télévisée coréenne « Winter Sonata » en 2004. Cette « vague coréenne » a toutefois ralenti lorsque le président sud-coréen Lee Myung-bak a visité l'île de Takeshima (Dokdo en coréen), revendiquée à la fois par la Corée du Sud et par le Japon, durant l’été 2012. De nombreuses manifestations ont eu lieu suite à cet évènement, dans lesquelles des discours de haine ont pu être entendus ouvertement. Selon une association d’entrepreneurs coréens de l’arrondissement de Shinjuku, les ventes de la plupart des entreprises coréennes ont chuté de moitié par rapport à leur apogée et plusieurs dizaines de restaurants, bars et supermarchés ont fermé leurs portes. En outre, des magasins chinois se sont développés dans la zone de Shin-Ôkubo, réduisant par la même occasion les activités des commerces coréens.

Pas de consensus sur l’immigration

Les quatre principales communautés étrangères présentes au Japon sont, dans l'ordre du nombre de ses ressortissants, les Chinois, les Coréens, les Philippins et les Brésiliens. Ensemble, ils représentent environ 70 % de tous les étrangers vivant dans le pays. De nombreux résidents chinois et coréens sont nés de parents vivant au Japon depuis la Seconde Guerre mondiale. La plupart des Brésiliens au Japon sont quant à eux des descendants d’anciens émigrés japonais, revenus dans leur pays d’origine par le biais de mesures préférentielles en faveur des Brésiliens d’origine japonaise. Beaucoup d'entre eux travaillent pour des entreprises japonaises. Une communauté brésilienne existe notamment à Ôizumi, dans la préfecture de Gunma.

Malgré quelques exceptions, le Japon a maintenu des restrictions strictes en matière d'immigration. Les changements démographiques rapides de l’Archipel ont pour conséquence des naissances en baisse et un pourcentage de personnes âgées en constante augmentation. À mesure que la population en âge de travailler (les personnes âgées de 15 à 64 ans) diminue, des stratégies sont mises en place pour augmenter la participation des femmes et des seniors dans le marché du travail. Des mesures pour assouplir les restrictions à l’immigration ont également été prises tout récemment.

Il semble donc certains que les quartiers ethniques de Tokyo devraient continuer à se multiplier dans l’avenir.

(Texte de Murakami Naohisa. Photo de titre : le quartier coréen de Shin-Ôkubo, à Tokyo. © Natsuki Sakai/Aflo)

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