Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon

Enquête : comment les jeunes japonais voient-ils la maison impériale ?

Société

L’ère Heisei (1989-2019) a pris fin le 30 avril dernier en même temps que le règne de l’empereur Akihito. Le souverain japonais a en effet abdiqué en faveur de son fils aîné, le prince héritier Naruhito, et celui-ci est monté sur le trône dès le lendemain, en tant que 126e empereur du Japon. Que pensent les jeunes japonais nés durant l’ère Heisei de la maison impériale et du régime qui va de pair avec ? Au cours du mois de mars, nous avons interrogé 30 d’entre eux au hasard des rencontres dans trois points différents de Tokyo : au sanctuaire Yasukuni, dans le quartier de Shibuya et à l’Université de Tokyo (Tôdai).

Des personnages à la fois proches et lointains

L’Article 1 de la Constitution japonaise promulguée en 1946, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, stipule que l’empereur du Japon est « le symbole de l’État et de l’unité du peuple ». Durant son règne, l’empereur Akihito a assumé ses fonctions officielles avec une conscience particulièrement aiguë de son rôle de « symbole ». Nous avons commencé notre enquête en demandant à des jeunes japonais nés durant l’ère Heisei (1989-2019) comment ils voyaient la famille impériale.

Une étudiante de 19 ans de la ville d’Ichikawa, dans la préfecture de Chiba, venue visiter le sanctuaire Yasukuni avec une amie, a répondu en souriant : « Chaque fois que le Japon a été frappé par des calamités naturelles de grande ampleur, à commencer par le terrible séisme suivi d’un tsunami catastrophique du 11 mars 2011, l’empereur et l’impératrice se sont rendus ensemble dans des centres d’accueil. Ils se sont accroupis pour se mettre à la hauteur des sinistrés assis sur le sol et ils ont parlé directement avec chacun d’entre eux. Ils m’ont laissé l’impression d’un grand-père et d’une grand-mère très affables à l’écoute de tous. » (Voir notre article : Le couple impérial dans les zones sinistrées, ou comment redonner la force à son peuple)

Beaucoup d’autres ont décrit l’image qu’ils se font des membres de la maison impériale de la façon suivante : « ils saluent aimablement de la main », « ils sont très proches du peuple et ils veillent sur lui », « ils agissent toujours dans l’intérêt du pays » ou encore « ils marchent aux côtés du peuple ».

Par ailleurs, 6 des personnes que nous avons interviewées ont expliqué que pour elles, les membres de la famille impériale ne sont pas des personnes ordinaires. « Quand il y des catastrophes, il leur arrive d’aller sur place pour se rendre compte par eux-mêmes de la situation et encourager les victimes. Mais ce sont des personnages hautement respectables, distants et hors de portée », « des personnes de haut rang » et d’« une grande élégance ». 6 jeunes sur 30 ont dit en outre que pour eux la famille impériale était un « symbole ».

Un lycéen de 18 ans de la ville de Hamamatsu, dans la préfecture de Shizuoka, en visite au sanctuaire Yasukuni, a déclaré avec le plus grand sérieux : « Sa Majesté l’empereur est le symbole de l’État. Il y en a qui disent que le système impérial ne sert à rien et cela me désole. Car c’est précisément parce que le Japon a un empereur que notre pays a une histoire à raconter, j’en suis fermement convaincu. »

Le sanctuaire Yasukuni
Le sanctuaire Yasukuni

Le rôle essentiel de l’empereur

Voyons maintenant ce que pensent les jeunes japonais du degré d’influence de l’empereur. À la question « Est-ce qu’il vous est arrivé de penser que le Japon a la chance d’avoir le régime impérial ? », 12 des personnes interrogées ont répondu « oui » et 18 « non ». Mais aucune n’a exprimé une opinion négative vis-à-vis du système en place.

Parmi ceux qui ont répondu par l’affirmative, il y avait un étudiant de 19 ans habitant la capitale, que nous avons trouvé devant l’entrée de l’Université de Tokyo (Tôdai). « Le système impérial favorise la cohésion de la nation et c’est une bonne chose. Je pense que le fait qu’il y ait un personnage aimant qui incarne l’identité du peuple contribue à rassembler le pays », nous a-t-il déclaré. Une lycéenne de 16 ans tokyoïte, rencontrée à Shibuya, n’a pas hésité à dire que « si notre pays est en paix, c’est aussi grâce au système impérial ».

Une lycéenne de 18 ans habitant elle aussi à Tokyo nous a expliqué ce qui suit devant la « porte rouge » de l’Université de Tokyo : « Quand mes grands-parents voyaient l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko à la télévision, ils disaient souvent que l’image de Leurs Majestés en pleine activité leur donnait le courage de faire de leur mieux. Je me réjouis que l’empereur soit une source d’encouragement pour le peuple. »

Le quartier center-gai de Shibuya
Le quartier Center-gai de Shibuya

L’abdication de l’empereur Akihito : une décision bien accueillie par les jeunes

À la question « Quelle est l’information récente concernant la maison impériale qui vous a le plus fortement marqué ? », 15 personnes ont mentionné l’abdication de l’empereur et 3, le nom de la nouvelle ère. 6 ont cité les remous créés par le report du mariage de la princesse Mako, la fille ainée du prince Akishino – le frère cadet de l’empereur Naruhito – avec son fiancé Komuro Kei. Sans doute à cause du battage médiatique que l’événement a suscité dans la presse et à la télévision.

Le Code de la maison impériale ne contenant aucun article à son sujet, l’abdication de l’empereur a soulevé une polémique chez les hommes politiques et les spécialistes en la matière. Mais qu’en pensent les jeunes japonais ?

Sur les 30 personnes interrogées, 26 ont approuvé la décision d’abdiquer de l’empereur Akihito, même si c’est pour des raisons différentes. Les motifs invoqués étaient notamment « le respect de l’intention de Sa Majesté », « l’inquiétude pour la santé de Sa Majesté en raison de son grand âge », et « la limite d’âge pour exercer une fonction, comme tout le monde ». Aucun jeune ne s’est déclaré opposé à l’abdication et 4 ne se sont pas prononcés.

Un étudiant de troisième cycle d’une autre université âgé de 24 ans, qui était venu à Tôdai pour un séminaire, a fait un commentaire détaillé à ce propos. « L’abdication d’un empereur, ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel du point de vue historique. Il n’y a aucune raison de s’y opposer. Comme il s’agit de la volonté de l’intéressé, on ne peut que l’approuver. En épousant par amour Shôda Michiko , l’empereur retiré (Akihito) a transgressé l’usage de longue date des mariages arrangés entre membres de la maison impériale ou entre ceux-ci et les grandes familles de l’aristocratie. Ce faisant, il s’est comporté comme une personne de notre époque et il est devenu le symbole d’un Japon en train de se transformer. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de se préoccuper pour son abdication. Contrairement au système impérial qui n’a absolument pas changé, l’empereur Akihito est un personnage qui évolue avec son temps. Le contraste entre les deux a d’ailleurs quelque chose de problématique. »

La porte rouge de l'Université de Tokyo
La porte rouge de l’Université de Tokyo (Tôdai)

Les jeunes japonais ne sont absolument pas favorables à l’abolition du régime impérial

Les jeunes japonais que nous avons interrogés ont donc une opinion dans l’ensemble positive de la maison impériale et de l’abdication de l’empereur Akihito.  Voyons maintenant comment ils considèrent l’avenir du système impérial. 27 sur 30 ont répondu qu’il fallait qu’il continue, 3 ne se sont pas prononcés et aucun n’a dit qu’il devait être aboli. On peut toutefois répartir les réponses favorables au maintien du régime impérial en trois catégories suivantes qu’elles sont enthousiastes, modérées ou vagues.

Les jeunes les plus enthousiastes ont déclaré entre autres : « Le système impérial fait partie des traditions du Japon. Pour les Japonais, la maison impériale est quelque chose d’important. Le régime impérial est dans une certaine mesure le garant de la stabilité de la société japonaise. C’est pour cela qu’il fait bon y vivre. » Ceux qui se sont montrés plus modérés ont fait valoir des arguments tels que : « Que va-t-il se passer si les Japonais abolissent une institution qui a duré si longtemps ? » « Qui plus est, il n’existe pas de meilleur système pour le remplacer. Et si on le supprime dans la précipitation, cela risque de semer le désordre dans le pays. » Les réponses de type « vague » étaient particulièrement nombreuses dans la rue commerçante de Shibuya. En voici quelques exemples : « Tant qu’il y a la paix, tout va bien. » « Je ne vois rien de particulier à y redire. » « Je ne sais pas trop pourquoi, mais si ça continue, tant mieux ! »

Une lycéenne de 17 ans de la ville de Kawasaki, dans la préfecture de Kanagawa, en visite au sanctuaire Yasukuni, a dit ce qui suit d’une voix calme. « L’empereur est un symbole et il n’a aucun pouvoir politique. Je pense que c’est une très bonne chose qu’il se rende en visite officielle à l’étranger pour approfondir les liens d’amitié entre le Japon et les autres pays. Mais il semble aussi que les dépenses liées à la maison impériale notamment son administration et son entretien coûtent cher aux contribuables. Je pense donc qu’il serait bon de chercher le moyen de remédier à cette situation. » (Lire également notre article : Une transition impériale qui se compte en milliards de yens)

La plupart des jeunes ne connaissent pas le nom du nouvel empereur du Japon

Que savent au juste les jeunes japonais de la famille impériale ? Sur les 30 personnes que nous avons interrogées, seulement 4 connaissaient le nom de l’empereur retiré Akihito, 7 celui de son épouse Michiko, et à peine 2, celui du nouveau souverain du Japon Naruhito. En revanche, un tiers d’entre eux savaient que le prince Akishino occupe à présent la première place dans l’ordre de la succession au trône.

Au total, 2 sur 30 seulement des personnes interrogées ont été en mesure de donner le nom exact de l’empereur retiré, de son épouse, du nouvel empereur et de son successeur présomptif. Il s’agit de l’étudiant de troisième cycle interviewé devant l’Université de Tokyo dont il a été question plus haut, et d’un élève d’un lycée technique de 18 ans, habitant la ville de Fuji, dans la préfecture de Shizuoka que nous avons rencontré à proximité du sanctuaire Yasukuni.

Une image mitigée de l’ère Heisei

À la question « Qu’est-ce que l’ère Heisei pour vous ? », chacun de nos jeunes interlocuteurs a répondu à sa manière. Beaucoup ont dit que pour eux cette période était celle de « grandes avancées techniques entre autres le smartphone », en insistant sur les progrès des technologies de l’information. Nombreux sont ceux qui gardent une image positive de l’ère Heisei. « C’est l’époque où je suis né, où j’ai grandi et donc, j’y suis particulièrement attaché. » « C’est une bonne période marquée par la paix. »

Certains portent au contraire un regard négatif sur l’ère qui vient de s’achever, en particulier parmi ceux que nous avons rencontrés à l’entrée de Tôdai. Pour eux, « c’est une période de récession économique » où il a fallu « endosser le poids des générations les plus âgées, en particulier le système des retraites ». Ils en gardent « l’image d’un naufrage » et de « deux décennies perdues ».

D’autres encore, très marqués par le séisme de forte intensité suivi d’un monstrueux tsunami qui a dévasté le nord-est du Japon le 11 mars 2011 ont mis l’accent sur les « multiples catastrophes naturelles » de l’ère Heisei. 

(Pour plus de détails sur le bilan de l’ère Heisei, voir notre dossier spécial : L’ère Heisei en un coup d’œil)

Un employé de 27 ans venu de la préfecture d’Osaka pour visiter le sanctuaire Yasukuni a dit « L’ère Heisei s’est passée en un clin d’œil ». Et l’étudiant de troisième cycle rencontré près de l’entrée de l’Université de Tokyo a conclu avec philosophie que « l’ère Heisei vient de s’achever. Il va me falloir un certain temps de réflexion pour comprendre ce qu’elle a été ».

À en juger par les réponses que nous avons recueillies lors de notre enquête du mois de mars 2019, les jeunes japonais semblent avoir une opinion plutôt favorable de l’empereur et du système impérial, même s’ils s’y intéressent d’assez loin. Ils sont en tout cas fermement opposés à l’abolition de ce régime. Ils donnent aussi l’impression d’avoir vécu l’ère Heisei et le règne de l’empereur Akihito comme une période relativement heureuse, en dépit des multiples catastrophes naturelles et de la récession économique qui l’ont marquée.

(Reportage et texte : Sugihara Yuka, de Power News. Photo de titre : le 1er avril 2019, des T-shirts arborant le nom de la nouvelle ère « Reiwa » ont été distribués gratuitement dans les rues de l’arrondissement de Shibuya, à Tokyo. Jiji Press)

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