Hiroshima, ville hôte du sommet du G7 en 2023

Le Musée de Hiroshima pour la paix : écouter les cris des âmes transmis par les vestiges de l’explosion

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En 2019, année du 75e anniversaire du bombardement, le Musée de Hiroshima pour la paix a réorganisé en profondeur son exposition. Les différents objets et vêtements présents portent tous la marque de l’explosion atomique et transmettent les cris des âmes disparues dans la tragédie. Nous en parlons à l’occasion du sommet du G7, qui se tient à Hiroshima à partir du 19 mai.

Le parc du Mémorial de la paix est situé dans l’arrondissement de Naka, où s’alignent le Dôme de la bombe atomique, le Cénotaphe pour les victimes et le Musée de Hiroshima pour la paix. Malgré la pluie qui tombait le jour où nous nous y sommes rendus, une queue longue d’une cinquantaine de mètres s’était formée devant l’entrée du musée. Nous avons été surpris de constater qu’elle était constituée presque entièrement de non-Japonais. L’un des bénévoles locaux se chargeant d’accueillir les visiteurs nous a dit que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu autant d’étrangers ici, et il a ajouté qu’auparavant, ils étaient nombreux au printemps à l’époque des cerisiers en fleur, tandis que de mai à juin, des groupes scolaires japonais représentent l’essentiel des visiteurs.

Le centre du parc du Mémorial de la paix, vu du bâtiment principal du musée (© Dôune Hiroko)
Le centre du parc du Mémorial de la paix, vu du bâtiment principal du musée (© Dôune Hiroko)

Montrer d’abord le point de vue des victimes

La réorganisation des collections de 2019 a été la plus importante depuis l’ouverture du musée en 1955. « Notre principal objectif était de rendre encore plus visibles les dommages infligés à la population par la bombe, ce que nous faisons en centrant l’exposition sur les photos prises immédiatement après l’explosion le 6 août et sur les vestiges et les objets personnels laissés par les victimes. Nous parlons de “la réalité de l’explosion”, parce que notre première préoccupation est de faire comprendre la terrible situation sous le champignon nucléaire », explique Tôya Toshihiro, directeur adjoint du musée.

Tôya Toshihiro, directeur adjoint du musée (© Dôune Hiroko)
Tôya Toshihiro, directeur adjoint du musée (© Dôune Hiroko)

La première image venant à l’esprit de la majorité des gens si l’on parle de la bombe atomique larguée sur Hiroshima est sans doute la photo, prise du ciel par l’armée américaine, du champignon atomique, ce nuage si particulier. Et lorsqu’on parle de l’horreur de l’explosion, on le fait souvent d’un point de vue extérieur, en mentionnant son extraordinaire puissance. Mais le principe directeur de la rénovation de la présentation du musée était d’exprimer autant que faire se pouvait le point de vue des victimes et les dommages qu’elles ont subis.

Dans cette optique, l’organisation du musée a été entièrement repensée. « Les visiteurs japonais passent en moyenne 40 à 45 minutes dans le musée. Auparavant, les premières salles étaient consacrées au développement de la bombe et à tout ce qui avait conduit à la décision de l’utiliser, ce qui faisait que les visiteurs manquaient souvent de temps pour regarder les objets témoins de l’explosion et les vestiges laissés par le bombardement », explique M. Tôya. Aujourd’hui, le visiteur passe seulement devant des photos panoramiques de la ville de Hiroshima avant et après l’explosion, ainsi que devant des images de synthèse du largage de la bombe et de son explosion avant d’arriver dans les salles consacrées à la réalité de l’explosion.

Des visiteurs regardent la vidéo d’images de synthèse par laquelle débute la visite. (© Dôune Hiroko)
Des visiteurs regardent la vidéo d’images de synthèse par laquelle débute la visite. (© Dôune Hiroko)

Transmettre l’horreur du 6 août par les vestiges et les objets qui ont survécu

« Le point de vue des victimes ». Le panneau de photographies que l’on trouve immédiatement après être entré dans le musée symbolise assurément le thème de l’exposition. Il s’agit de deux photos très connues, prises par Matsushige Yoshito, vers 11 heures le 6 août, environ trois heures après l’explosion, à 3,2 kilomètres de l’épicentre, près du pont de Miyuki. On y voit des gens brûlés sur tout le corps, aux cheveux carbonisés. Le toit et les vitres du bâtiment à l’arrière-plan ont été soufflés par l’explosion. Ce panneau de grande taille est disposé de manière à avoir un impact maximum sur les visiteurs. Les photos du nuage en forme de champignon que l’on aperçoit ensuite ont été prises depuis le sol. Le choix a été fait de ne pas utiliser d’images prises par l’armée américaine : la priorité est de montrer la tragédie du point de vue de ceux qui l’ont vécue.

Les photos de Matsushige Yoshito (© Dôune Hiroko)
Les photos de Matsushige Yoshito (© Dôune Hiroko)

Passons à un autre endroit caractéristique du musée, à savoir l’exposition des objets ayant survécu à la catastrophe. Y sont présentés des vestiges de grandes tailles qui documentent l’explosion, murs en briques des bâtiments détruits, murs transpercés par des fragments de verre, poutrelles de fer tordues, masses métalliques résultant de pièces fondues par la chaleur de l’explosion. Tout autour sont disposées des images de l’explosion, œuvres des victimes qui ont dessiné l’horreur de ce jour. Au centre, dans des présentoirs en verre, se trouve une trentaine de vêtements et sacs portés par des collégiens décédés dans l’explosion alors qu’ils travaillaient à protéger les bâtiments de futurs bombardements. Aucune explication n’est fournie, afin que les visiteurs réfléchissent d’eux-mêmes au sens de ce qu’ils observent.

Les vêtements des collégiens (© Dôune Hiroko)
Les vêtements des collégiens (© Dôune Hiroko)

Exposition des objets témoins de la tragédie

La section suivante, intitulée « Les cris des âmes », présente des objets et des portraits qui font songer à ce qu’ont expérimenté les victimes de la bombe. Les objets et les histoires qui s’y rapportent transmettent le chagrin de tous ceux qui sont morts dans la souffrance, et la profonde tristesse de leurs proches.

Certains de ces objets sont devenus le sujet de livres pour enfants que tout le monde connaît au Japon aujourd’hui. Nous en présentons trois.

Le tricycle, donné au musée par Tetsutani Nobuo
Le tricycle, donné au musée par Tetsutani Nobuo

Le tricycle

Tetsutani Shin’ichi, qui avait trois ans et onze mois, faisait du tricycle au moment de l’explosion. Gravement brûlé, il est mort en réclamant de l’eau. Son père l’a enterré dans le jardin avec son tricycle pour qu’il puisse continuer à en faire dans l’autre monde. Quarante ans plus tard, il a décidé de transférer les ossements de son fils dans la tombe familiale, et il a offert au musée le tricycle, qui est alors sorti de terre.

La boîte à bentô, donné par Orimen Shigeko au musée
La boîte à bentô, donné par Orimen Shigeko au musée

La boîte à bentô

Au moment de l’explosion, Orimen Shigeru avait treize ans. Élève de première année au collège, il travaillait avec ses camarades à préparer la ville à de futurs bombardements. Il a été tué sur le coup. Lorsque sa mère a découvert son cadavre, il était couché sur cette boîte qui contenait son repas, un mélange de riz, de blé, et de haricots de soja, entièrement carbonisé.

Don de Asahi Kiichi au musée
Don de Asahi Kiichi au musée

Uniforme de collégien

Asahi Toshiaki, élève de première année au même collège, âgé de treize ans comme Orimen Shigeru, travaillait aussi à préparer la ville à de futurs bombardements. Presque tous ses camarades et les enseignants qui les accompagnaient sont morts. Le jeune Toshiaki qui avait été grièvement blessé a pu rentrer chez lui car il a eu la chance de croiser quelqu’un qu’il connaissait, mais il s’est éteint le 9 août au matin, la tête sur les genoux de sa mère, en la remerciant. Ses vêtements, veste et chemise, avaient été déchirés par le souffle et la chaleur, et ce qui en reste est exposé.

Le musée expose de même des documents liés à Sasaki Sadako, « le symbole de la tragédie de Hiroshima », qui avait douze ans au moment de l’explosion. Elle est décédée dix ans plus tard des suites de la leucémie causée par la « pluie noire » contenant des matériaux radioactifs tombée sur la ville immédiatement après l’impact de la bombe. C’est Sadako qui a été à l’origine du « Monument de la paix des enfants ».

Origami en forme de grue, fabriqués par Sasaki Sadako en se servant du papier des boîtes de médicaments. Don de Umeda Yoriko au musée.
Origami en forme de grue, fabriqués par Sasaki Sadako en se servant du papier des boîtes de médicaments. Don de Umeda Yoriko au musée.

Encore aujourd’hui, le musée reçoit des dons

Les collections du musée comptent environ 20 000 objets très divers : pierres et tuiles exposées à l’explosion, éléments de bâtiments, objets des victimes, leurs dessins, médicaments utilisés à l’époque, spécimens de chéloïdes humains… Cela peut paraître étonnant, mais aujourd’hui encore, près de 80 ans après la bombe, le musée reçoit cinquante à soixante dons par an.

Les donateurs, enfants ou petits-enfants de personnes qui ont vécu le drame, viennent demander conseil au musée, car ils craignent que ces souvenirs soient un jour perdus. Parmi les cas inhabituels de ces dernières années, nous mentionnerons celui d’un album de photo d’une famille d’un coiffeur, dont le salon était proche du point d’impact. Les six personnes qui la composaient sont toutes mortes dans l’explosion, mais le coiffeur, un homme passionné par la photographie, avait confié à un parent cet album qui comptait pour lui, car il craignait qu’il ne soit détruit dans un incendie causé par un bombardement.

« Dans la très grande majorité des cas, nous acceptons ces dons, après nous être longuement entretenus avec les descendants et les parents des familles concernées. La mission du musée est d’en montrer le plus grand nombre possible, afin que la mémoire du 6 août 1945 demeure éternellement avec nous », explique M. Tôya.

De grandes attentes pour le prochain sommet du G7

Lors du précédent sommet du G7 au Japon, en 2016, Barack Obama devenait le premier président américain en exercice à se rendre à Hiroshima. Dans le discours de 17 minutes prononcé dans le parc de la Paix, il a déclaré « nous devons avoir le courage de rechercher un monde dénucléarisé afin de sortir de la logique de la terreur », en parlant aussi de son propre pays détenteur lui-même de l’arme atomique.

Que ressentiront les leaders des pays du G7 pendant leur sommet à Hiroshima ? Quelles déclarations y feront-ils ? Shiga Kenji, qui était directeur du musée au moment de la visite du président Obama (et qui est actuellement professeur invité à l’Institut de recherche en biologie et médecine de la radiation de l’Université de Hiroshima), confie que son souvenir le plus marquant de 2016 a été la conférence des ministres des Affaires étrangères du G7 qui a eu lieu en avril.

Shiga Kenji (© Nippon.com)
Shiga Kenji (© Nippon.com)

Kishida Fumio, qui est aujourd’hui Premier ministre, avait alors le portefeuille des Affaires étrangères. C’est lui qui a servi de guide à ses homologues étrangers, et le groupe a visité le musée avant de déposer une gerbe devant le cénotaphe. « M. Kishida était en tête du groupe, et je fermais la marche. John Kerry, secrétaire d’État américain, et Philip Hammond, ministre britannique des Affaires étrangères, progressaient de plus en plus lentement. Il était clair qu’ils étaient frappés par ce qu’ils voyaient, et qu’ils se conduisaient comme des visiteurs individuels. »

M. Kerry s’est aussi écarté du programme officiel en se dirigeant vers le Dôme de la bombe atomique, ce qui a beaucoup embarrassé les services de sécurité. Lors de la conférence de presse qui a suivi cette visite, il a parlé avec passion de l’impression que le musée lui avait faite.

« Je l’accompagnais et je me suis dit que le président Obama allait certainement venir à Hiroshima, parce que M. Kerry ne manquerait pas de lui suggérer. Toute personne qui confronte avec humilité les objets qui ont survécu est profondément affecté par ce qu’il voit. Je souhaite que les chefs d’État qui participeront au G7 prennent le temps de le faire. Et mon espoir est que cela les conduira à exprimer sincèrement aux médias de leur pays ce qu’ils ont ressenti. »

(Reportage et texte d’Ishii Masato, de Nippon.com. Photo de titre : des collégiens japonais regardent les vêtements qui ont survécu aux jeunes de leur âge qui les portaient à l’époque. © Dôune Hiroko)

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