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Des maisons pour Hiroshima : l’héritage de Floyd Schmoe, militant américain pour la paix

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Touché par la détresse des habitants de Hiroshima et Nagasaki, l’Américain Floyd Schmoe a lancé en 1948 un projet de construction de maisons destinées à remplacer les habitations détruites lors du bombardement atomique de ces villes. En s’appuyant sur les dons et le volontariat, il s’est engagé dans diverses acivités de soutien aux victimes, dont la construction de logements et d’installations communautaires. Nous allons nous pencher sur cet héritage et la quête de la paix que Schmoe a menée tout au long de sa vie.

Un regain d’attention pour un pourvoyeur d’aide méconnu

Le quartier d’Eba, à Hiroshima, est bien connu des fans du film d’animation primé Dans un recoin de ce monde en tant que lieu de résidence de Suzu, l’héroïne du film. Cette histoire, qui se déroule au Japon pendant la guerre, a suscité une vague d’intérêt pour l’histoire de la région.

Quand la bombe atomique est tombée sur Hiroshima, Eba, qui est situé à quelque 4 kilomètres au sud-ouest de l’épicentre, a en grande partie échappé aux ravages qui ont fait table rase d’autres quartiers de la ville. Suite à cela, il a été envahi par les hordes de résidents blessés et sans abri qui fuyaient le centre anéanti de Hiroshima. Aujourd’hui, un modeste bâtiment en bois, situé dans un endroit tranquille du quartier, est là pour rappeler les efforts consentis en vue de soulager les souffrances des victimes du bombardement.

Bâti en 1951, c’est le dernier d’un certain nombre d’habitations et autres bâtiments construits dans le cadre d’un projet résidentiel destiné aux habitants de la ville dévastée. Lancée par le militant pacifiste américain Floyd Schmoe (1895-2001), cette initiative, connue par la suite sous le nom de « Maisons pour Hiroshima », a rassemblé des jeunes volontaires originaires des États-Unis et du Japon.

Au début, le petit bâtiment a fait office de centre communautaire et a été baptisé « Salle Schmoe ». Renommé entre-temps « Maison Schmoe », c’est désormais une annexe du Musée de Hiroshima pour de la paix consacrée à la préservation de l’histoire des activités internationales d’aide déployées à Hiroshima après le bombardement atomique.

L’extérieur de la Maison Schmoe, dans le quartier d’Eba, et son espace intérieur d’exposition. (© Dôune Hiroko)
L’extérieur de la Maison Schmoe, dans le quartier d’Eba, et son espace intérieur d’exposition. (© Dôune Hiroko)

Photo du quartier d’Eba vu de Sarayama (Avec l’aimable autorisation de Tomiko Y. Schmoe/Schmoe ni Manabu Kai)
Photo du quartier d’Eba vu de Sarayama (Avec l’aimable autorisation de Tomiko Y. Schmoe/Schmoe ni Manabu Kai)

À travers ce projet, Schmoe, originaire de Seattle, Washington, a bâti un lien profond avec Hiroshima et ses habitants, notamment Hamai Shinzô (1895-2001), qui était maire quand le projet résidentiel était en voie de réalisation. En 1983, la ville de Hiroshima, désireuse d’exprimer sa gratitude, fit de Schmoe un citoyen d’honneur. Mais, aussi prestigieuse soit-elle, cette distinction n’a pas empêché l’apport de son récipiendaire à la ville de s’effacer dans la mémoire du grand public. Un petit groupe de volontaires a entrepris d’inverser cette tendance en mettant en lumière l’héritage de Schmoe.

Sadako et les mille grues

Ils ont puisé leur inspiration dans une statue en bronze dressée dans un parc de Seattle à la mémoire de Sasaki Sadako, une jeune hibakusha, ou irradiée de la bombe, dont l’histoire déchirante a été racontée dans le livre pour enfants Sadako et les mille grues en papier. Dans les dernières années de sa vie, Schmoe, quaker et pacifiste convaincu, a entrepris de défricher une parcelle à proximité de l’université de Washington, où il avait été professeur de biologie forestière, en vue de créer un parc pour la paix. En 1988, il a reçu le prix de la paix Tanimoto Kiyoshi, lequel doit son nom à un pasteur méthodiste japonais qui s’est consacré à aider les survivants du bombardement atomique et à œuvrer pour la paix, en utilisant l’argent qu’il recevait pour mener à bien son projet. Schmoe avait 94 ans quand le parc a ouvert, le 6 août 1990, date du 45e anniversaire du bombardement de Hiroshima.

La statue de Sadako, conçue par l’artiste Daryl Smith, était une pièce maîtresse du parc. Mais en 2003, deux ans après le décès de Schmoe à l’âge de 105 ans, des vandales ont stupidement défiguré la sculpture, en coupant son bras tendu et en lui infligeant d’autres dégâts. Informée de cet incident, la musicienne et militante nippo-américaine Michiko Pumpian, qui vivait à Seattle, a commencé à collecter des dons en vue de restaurer la statue. Ayant eu vent de cette campagne, Nishimura Hiroko, volontaire au Musée de Hiroshima pour la paix, a contribué à son financement et assisté à un concert commémoratif donné à Hiroshima par Pumpian et d’autres artistes.

Nishimura Hiroko (© Dôune Hiroko)
Nishimura Hiroko (© Dôune Hiroko)

Inspirée par cette expérience, Nishimura a commencé à rassembler des informations sur Schmoe, mais s’est aperçue, à sa grande surpise dit-elle, qu’il n’y avait pas grand chose à trouver. « À Hiroshima, il ne restait presque rien sur son œuvre », raconte-t-elle.

« Résolument pacifiste, il travaillait sans relâche à différents projets éparpillés dans le monde, mais il semble bien qu’il n’éprouvait guère le besoin de tenir un registre de ses activités. » Sans se laisser décourager, Nishimura s’est associée avec Imada Yôko, elle aussi volontaire au musée, pour former un groupe de citoyens dédié à la préservation de l’héritage de Schmoe et du projet Maisons pour Hiroshima.

Un voyage à Hiroshima

Touché par la souffrance des rescapés du bombardement atomique, Schmoe est venu à Hiroshima en 1948 dans le cadre d’un projet orchestré par Licensed Agencies for Relief in Asia (Agences agréées pour l’aide en Asie), un vaste rassemblement de groupes d’aide et autres organisations chrétiennes formé en 1946. Toujours attaché à son idée de projet résidentiel destiné aux habitants déplacés, il s’est adressé à des partenaires potentiels et a recueilli des dons à hauteur de 4 300 dollars. En 1949, il est revenu à Hiroshima avec trois collègues — Emery Andrews, Daisy Tibbs et Ruth Jenkins — pour mettre en chantier son projet. Le groupe a embauché des charpentiers et rassemblé des volontaires recrutés sur place et à Tokyo, avec lesquels il a construit quatre maisons dans le quartier de Minamimachi.

Floyd Schmoe (Avec l’aimable autorisation de Maekawa Hiroshi/Schmoe ni Manabu Kai)
Floyd Schmoe (Avec l’aimable autorisation de Maekawa Hiroshi/Schmoe ni Manabu Kai)

Au cours des cinq années suivantes, Schmoe a participé à la contruction de logements et de centres communautaires destinés aux rescapés du bombardement atomique dans quatre quartiers de Hiroshima. Ils ont duré jusqu’aux années 1970, mais ils se sont progressivement détériorés et ont été démolis pour laisser place à de nouveaux édifices. Sur les 21 bâtiments construits dans le cadre des Maisons pour Hiroshima de Schmoe, le centre communautaire d’Eba est le seul qui reste debout.

Au nombre des rares documents sur les activités de Schmoe au Japon figure un carnet écrit de sa main, traduit en japonais sous le titre Nihon inshô ki (Impressions du Japon) et publié en 1952 par le Centre de Hiroshima pour la paix. Dans ce carnet, Schmoe décrit en détails ses activités et celles de ses collègues américains et des jeunes volontaires japonais qui ont participé au projet. Dans la préface, le traducteur Ôhara Mihachi attire l’attention sur les motivations qui ont poussé Schmoe à s’engager dans des activités de soutien à Hiroshima, et il invoque le choc et la blessure profonde infligés par le bombardement, ainsi que l’obligation de remédier aux souffrances qui en ont résulté. Ôhara cite une lettre écrite par Schmoe à Jenkins, qu’il appelait « Pinky », dans laquelle il dit qu’il voulait démontrer sa sincérité en construisant des logements pour les victimes « afin de montrer le sentiment éprouvé par de nombreux Américains qui regrettent les souffrances endurées par des Japonais innocents du fait du bombardement ».

Daisy Tibbs, à gauche, et Emery Andrews transportent des provisions. (Avec l’aimable autorisation de Kitazawa Sumiko/Schmoe ni Manabu Kai)
Daisy Tibbs, à gauche, et Emery Andrews transportent des provisions. (Avec l’aimable autorisation de Kitazawa Sumiko/Schmoe ni Manabu Kai)

En prenant pour guide le carnet et d’autres documents, Nishimura a commencé en 2004 à prendre contact avec d’anciens membres du projet Maisons pour Hiroshima. Les histoires recueillies au cours des discussions qu’elle a eues avec bien des participants lui ont permis de dresser peu à peu un plus vaste panorama de l’entreprise et de prendre en considération des événements survenus après 1950, année où Schmoe a rédigé son carnet.

Une vie consacrée à aider l’autre

D’autres efforts en vue de préserver l’héritage de Schmoe ont vu le jour approximativement à la même époque. Également en 2004, le maire de Hiroshima a annoncé son intention de déplacer le centre communautaire d’Eba, qui se trouvait sur le tracé d’un projet d’expansion d’une route, pour qu’il échappe à la démolition. Peu après, le Musée de Hiroshima pour la paix a lancé un projet d’étude du trésor d’écrits et autres matériaux laissé par Schmoe et ses collègues que recelaient les bibliothèques de l’université de Washington. Cette dernière initiative a mis en lumière une vie consacrée à aider autrui.

Pendant la Première Guerre mondiale, Schmoe, en tant qu’objecteur de conscience, a refusé le service militaire et choisi d’apporter son assistance aux soldats blessés et aux réfugiés de guerre en Europe. Quand la Seconde Guerre mondiale a éclaté, il a vigoureusement protesté contre l’internement de citoyens nippo-américains et offert son soutien aux membres de la communauté des émigrés japonais en Californie. Après la guerre, il s’est tourné vers l’aide aux habitants de Hiroshima et Nagasaki, via la construction de domiciles pour les victimes du bombardement atomique dans les deux villes. En 1953, informé de la crise des réfugiés en Corée, il s’est rendu sur la péninsule pour leur apporter son secours, notamment en mettant les résidents à contribution pour construire quelque cent domiciles. Après la crise du canal de Suez, survenue en 1956, il est allé en Égypte aider les réfugiés déplacés par le conflit.

Ochiba Hironobu, du département de la conservation du Musée de Hiroshima pour la paix, déclare que le travail effectué par Schmoe à Hiroshima est le reflet d’une approche pragmatique du militantisme : « Après la guerre, l’aide aux hibakusha a afflué du monde entier, mais Schmoe ne s’est pas contenté de fournir de l’argent et des provisions. Il s’est senti obligé de se rendre à Hiroshima pour vivre et travailler aux côtés des Japonais en vue d’aider ceux qui en avaient besoin. »

L’héritage de l’amitié

Nishimura a été touchée par l’impact que le projet Maisons pour Hiroshima a exercé sur ceux qui y ont participé. À travers cette expérience, dit-elle, les volontaires américains et japonais « ont forgé des liens profonds et durables ». Elle cite le récit d’un volontaire, qui a écrit que « la stupidité flagrante de la guerre m’a frappé lorsqu’il m’est apparu que nous pouvions passer, en quatre brèves années, du statut d’ennemis mortels à celui de fidèles compagnons. »

Volontaires japonais et américains en train de buriner des poutres. (Don de Jean Walkinshaw/avec l’aimable autorisation du Musée de Hiroshima pour la paix)
Volontaires japonais et américains en train de buriner des poutres. (Don de Jean Walkinshaw/avec l’aimable autorisation du Musée de Hiroshima pour la paix)

Floyd Schmoe, à gauche, et le maire de Hiroshima Kamai Shinzô lors de l’inauguration d’une lanterne décorative en pierre à Minamimachi le 1er octobre 1949. Posée en l’honneur du projet Maisons pour Hiroshima, la lanterne porte le message, écrit en anglais, « Pour que la paix puisse exister ». (Avec l’aimable autorisation de Tomiko Y. Schmoe/Schmoe ni Manabu Kai)
Floyd Schmoe, à gauche, et le maire de Hiroshima Kamai Shinzô lors de l’inauguration d’une lanterne décorative en pierre à Minamimachi le 1er octobre 1949. Posée en l’honneur du projet Maisons pour Hiroshima, la lanterne porte le message, écrit en anglais, « Pour que la paix puisse exister ». (Avec l’aimable autorisation de Tomiko Y. Schmoe/Schmoe ni Manabu Kai)

La lanterne est disposée à proximité du projet rédidentiel municipal Heiwa Jûtaku, construit en même temps que les Maisons pour Hiroshima (© Dôune Hiroko)
La lanterne est disposée à proximité du projet rédidentiel municipal Heiwa Jûtaku, construit en même temps que les Maisons pour Hiroshima (© Dôune Hiroko)

Parmi les objets découverts par Nishimura et d’autres au cours de leurs recherches figure l’image d’un panneau signalant le projet de camp de travail de « Maisons pour Hiroshima ». La photo repésente Schmoe et un de ses collègues sur un site de construction où ils accrochent le panneau, sur lequel est inscrite en japonais et en anglais la devise du projet :

  1. Bâtir la compréhension —
  2. En construisant des maisons —
  3. Pour que la paix puisse exister

Selon les récits dont on dispose, les sites de construction ont attiré des résidents locaux, et notamment des enfants, intrigués à la vue des jeunes étrangers et japonais travaillant côte à côte.

Nishimura observe que, de nos jours, le conflit en Ukraine a fait renaître dans l’esprit des gens le spectre de la guerre nucléaire. « Cette préoccupation va en s’aggravant », dit-elle. « Je l’ai constaté à l’occasion de mes activités de volontaire au Musée de Hiroshima pour la paix. Les visiteurs réalisent peu à peu ce que Hiroshima et Nagasaki représentent vraiment. » Mais elle ne souhaite pas que l’attention se focalise sur les cicatrices laissées par le bombardement. « Je veux que les gens voient Hiroshima comme un symbole de renouveau et de pacification, et qu’ils passent ce message aux jeunes générations. » Elle considère la Maison Schmoe comme une incarnation de ce message. « Elle est si petite qu’on pourrait aisément passer devant sans même la remarquer. Mais c’est un monument émouvant qui rend hommage au pouvoir de l’espoir.

(Reportage et texte d’Ishii Masato, de Nippon.com. Photo de titre : des volontaires posent à l’extérieur d’un site un panneau sur lequel est inscrite la devise du projet Maisons pour Hiroshima. Don de Jean Walkinshaw ; avec l’aimable autorisation du Musée de Hiroshima pour la paix.)

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