À la traîne en japonais : les enfants étrangers, ces laissés pour compte du système éducatif nippon

Société Éducation Le japonais

Le nombre d’enfants étrangers vivant au Japon et scolarisés dans les écoles de l’Archipel est en augmentation, mais le système éducatif japonais peine à s’adapter alors que les besoins grandissent. Ces enfants n’acquièrent pas les compétences dont ils auraient besoin pour réussir leur scolarité. Les programmes de soutien en japonais sont insuffisants et des dizaines de milliers d’enfants restent sur la touche, incapables de suivre les cours dispensés à l’école.

Augmentation du nombre d’enfants issus de l’immigration

Selon les données du service d’immigration, 3 769 000 ressortissants étrangers vivaient au Japon fin 2024, soit 358 000 personnes de plus qu’en fin 2023, c’est 1,8 fois plus qu’il y a dix ans. (Voir notre article : Population étrangère au Japon : évolution des chiffres et nationalités les plus représentées)

La catégorie des étrangers titulaires d’un visa « ingénieur/spécialiste en sciences humaines/services à l’international (ESHIS dans l’acronyme anglais) », qui recouvre un large éventail de professions (techniciens qualifiés, interprètes, designers, professeurs de langues, etc) a connu une forte croissance. Selon les données du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 411 000 travailleurs étrangers relèvent désormais de cette catégorie, des effectifs 3,9 fois plus importants qu’en 2014-2024.

Statut des résidents étrangers au Japon

Le regroupement familial est accordé aux titulaires d’un visa ESHIS, à ceux qui travaillent dans l’enseignement supérieur, dans le juridique ou comme comptables. Cette disposition a eu pour corollaire l’augmentation du nombre d’enfants étrangers installés au Japon. Ce changement structurel explique la crise actuelle, les enfants étrangers ont besoin de soutien scolaire en japonais et le système éducatif n’est pas préparé à les accompagner.

Selon le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et des Technologies (MEXT), 129 000 enfants étrangers étaient inscrits dans les écoles primaires et les collèges publics en 2024, c’est 9,0 % de plus qu’en 2023.

Le problème est que de nombreuses écoles manquent de personnel capable d’enseigner le « japonais langue étrangère ». De plus en plus d’enfants grandissent donc sans acquérir des compétences suffisantes en japonais. Or, sans cette maîtrise, essentielle à la communication, leur réussite scolaire et professionnelle mais aussi leur intégration à la société japonaise se trouvent compromises.

70 000 enfants ont besoin d’apprendre le japonais

Les statistiques du ministère montrent qu’en 2023, dans les écoles publiques, près de 70 000 élèves avaient besoin de soutien en « japonais langue étrangère ». C’est deux fois plus qu’en 2013.

Nombre d’enfants ayant besoin de soutien en « japonais langue étrangère »

Fin 2024, 23 000 des 500 000 habitants de Matsudo (dans la préfecture de Chiba, qui jouxte Tokyo) étaient issus de l’immigration.

Pour répondre aux besoins, le Conseil municipal a mis en place en 2022 un programme dédié et a créé des classes de japonais langue étrangère dans les écoles primaires comptant au moins 18 élèves ayant besoin d’un soutien en japonais. Résultat, en 2025, 15 des 45 écoles publiques de la ville proposent désormais des cours de soutien. En 2024, la municipalité a lancé un programme complémentaire permettant aux enfants étrangers de bénéficier aussi d’une formation de 20 jours dispensée avant la rentrée scolaire, avec un cours préparatoire intensif intégrant une initiation à la langue japonaise (japonais scolaire et langue du quotidien : apprendre à saluer, à parler de sa santé, etc.). Le Conseil en charge des questions éducatives a mobilisé à cet effet 33 membres du personnel et recruté 37 bénévoles rémunérés.

À Matsudo, l’offre est relativement complète. Les établissements scolaires qui sont situés en zone urbaine, dans la métropole de Tokyo, dans la préfecture d’Aichi, ou dans des zones qui concentrent des élèves ayant les mêmes besoins linguistiques, ont moins de problèmes à mettre en place de ce type d’initiatives.

Les écoles excentrées sont à la peine

En revanche, la situation s’aggrave dans les zones plus rurales où les enfants étrangers sont moins concentrés. Entre 2021 et 2023, à Tottori qui est la préfecture qui a enregistré la plus forte poussée (effectif 2,4 fois plus important), le nombre d’élèves étrangers ayant besoin d’un soutien en japonais langue étrangère est passé de 18 à 44 enfants. Dans le classement, elle est suivie par Ôita (2,3 fois plus d’enfants, effectif passant de 50 à 114 élèves étrangers), Kôchi (2,3 fois plus, effectif passant de 12 à 27 élèves), Kagoshima (1,9 fois plus, effectif passant de 28 à 53 enfants) et Saga (1,9 fois plus, effectif passant de 40 à 74 élèves). Les enfants étrangers étant moins nombreux que dans les zones urbaines, trouver du personnel enseignant est plus difficile et les collectivités locales ont tendance à ne pas proposer de programme suffisants.

Augmentation du nombre d’enfants ayant besoin de soutien en japonais langue étrangère (2021-23)

En 2023, environ 30 % des écoles primaires et collèges publics (9 241 établissements) accueillaient des élèves ayant besoin d’un soutien en japonais, mais les données de Wakabayashi Hideki, professeur associé invité à la faculté d’Études internationales de l’Université d’Utsunomiya, travaillant sur la question de l’éducation des enfants étrangers, montrent que 70 % de ces établissements comptaient au plus quatre enfants étrangers, la répartition sporadique est patente.

Les enfants lusophones, d’origine japonaise et brésilienne, sont les plus nombreux à avoir besoin de soutien. Suivent les enfants de langue maternelle chinoise, philippine ou vietnamienne dont le nombre augmente sensiblement. Certaines régions constatent également une hausse du nombre d’enfants d’origine népalaise et birmane.

« Le problème a plus de chances de passer inaperçu quand le nombre d’élèves concernés est proportionnellement faible. Les municipalités peinent alors à obtenir des budgets et à recruter le personnel nécessaire. », explique Wakabayashi. « Les enseignants doivent souvent se débrouiller seuls. Et quand le groupe d’élèves parle des langues différentes, le défi est encore plus difficile à relever. »

De nombreux enfants n’arrivent pas à suivre les cours donnés en japonais et l’accompagnement scolaire est insuffisant. C’est pourquoi dans les zones urbaines, de plus en plus de cours de soutien sont proposés et mis en œuvre par des organismes publics, des ONG ou des collectivités locales, ces programmes d’appoint viennent compléter l’offre éducative standard. Mais certaines régions n’ont pas accès à ce type d’accompagnement.

En 2018, le ministère a publié un Guide pour l’accueil des enfants étrangers et a inclus aux programmes scolaires des directives portant sur l’enseignement du japonais. Le gouvernement central finance et encadre certes l’affectation des enseignants, mais il laisse aux municipalités le soin de répartir ce personnel en fonction de la réalité et des besoins du terrain.

Les collectivités locales sont en première ligne

Mais le Japon connaît un problème autrement plus crucial, le cas des enfants non scolarisés. En 2023, 970 enfants étrangers en âge d’être scolarisés n’étaient inscrits dans aucun établissement scolaire (augmentation record de 24,6 % par rapport à 2022). Si on prend en compte les enfants dont le statut scolaire n’a pas pu être confirmé, le ministère recense pas moins de 8 601 enfants potentiellement non scolarisés.

La Constitution japonaise garantit aux enfants le droit à l’éducation et stipule que les parents doivent veiller à ce que leurs enfants soient éduqués mais d’un point de vue juridique, cette obligation ne s’applique qu’aux enfants de nationalité japonaise. Pourtant, du point de vue des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ainsi que la Convention relative aux droits de l’enfant, les enfants étrangers devraient au même titre que les enfants de nationalité japonaise pouvoir être scolarisés et bénéficier de cette éducation.

Dans ses projections de 2023, l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale estimait que le Japon compterait 9,39 millions de résidents étrangers en 2070 (10 % de la population totale). Mais le flux migratoire actuel pèse déjà sur ces projections et il est probable que la barre symbolique des 10 % soit atteinte dès 2050.

« Au Japon, les autorités n’accordent que peu d’importance au développement d’infrastructures sociales destinées aux résidents étrangers. L’éducation des enfants étrangers est ainsi déléguée aux collectivités locales ou confiée aux établissements scolaires, ce qui génère de grandes disparités sur le territoire. Le gouvernement doit adopter une politique claire, réorganiser le système éducatif et éduquer ces enfants qui seront la population active de demain en leur donnant accès aux mêmes qualifications que les enfants de nationalité japonaise. », explique Menju Toshihiro, professeur invité à l’Université internationale du Kansai.

(Photo de titre : Pixta)

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