La pandémie de Covid-19 accélère le déclin de la population japonaise : une analyse statistique

Société

La fin de la pandémie se profile à l’horizon à mesure de l’augmentation du nombre des vaccinations contre le Covid-19. Mais maintenant que la société a pu constater que tant de facettes du travail n’exigent pas nécessairement un contact face à face, on peut envisager que le télétravail et d’autres nouveaux dispositifs comme les cours à distance soient destinés à perdurer. Un économiste s’interroge ici sur l’impact que la diminution des interactions humaine directes est susceptible d’avoir à long terme sur la population japonaise.

L’arrivée de la pandémie de Covid-19 au début de l’année 2020 a contraint les gens à réduire considérablement leurs interactions sociales. Les entreprises se sont vues encouragées à adopter le télétravail et les écoles à se convertir à l’enseignement à distance, ce qui a contribué à modifier les façons de travailler et d’étudier des membres de la société. Mais le coronavirus a également eu un impact sévère sur l’économie et sur le bien-être physique et émotionnel des populations, et ce phénomène a aggravé la situation démographique, déjà sombre, du Japon. Il faudra un effort concerté, tant au niveau national que local, pour que les indicateurs retrouvent peu à peu un niveau positif une fois que la vie sera revenue à la normale.

Trois facteurs expliquant la baisse du nombre de grossesses

À la fin de l’année 2020, le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales a publié des statistiques sur les grossesses enregistrées jusqu’en octobre. Il en ressort que, depuis le début de la pandémie, le nombre des grossesses déclarées au Japon a baissé par rapport à l’année précédente. La baisse enregistrée au mois de mai 2020, celui où le gouvernement a déclaré le tout premier état d’urgence, était particulièrement prononcée, avec une chute de 17,6 % du nombre des déclarations de grossesse.

Cette tendance s’est prolongée après la levée de l’état d’urgence. La baisse par rapport à l’année précédente a été de 5,7 % en juin, 10,9 % en juillet, 6,0 % en août, 1,0 % en septembre et 6,6 % en octobre.

Sachant qu’en règle générale, c’est vers leur onzième semaine de grossesse que les futures mamans signalent leur condition aux mairies des communes où elles vivent, leurs déclarations permettent de prédire le taux de natalité qu’on enregistrera sept ou huit mois plus tard, de sorte que la baisse des déclarations de grossesse en 2020 présage une baisse du taux de natalité en 2021. La prévision du nombre des naissances en 2020 et 2021 qui figure au second graphique s’appuie sur des estimations du nombre des grossesses déclarées en novembre 2020 et après.

Le graphique montre que les naissances sont passées de 865 000 en 2019 à 840 000 en 2020, et qu’elles devraient continuer de baisser pour tomber à 769 000 en 2021. Les prévisions démographiques fondées sur les hypothèses de référence relatives aux naissances et aux décès publiées par l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale prévoyaient que la natalité japonaise ne tomberait pas à ce niveau avant 2034, ce qui fournit une illustration frappante de l’impact du Covid-19 sur le taux de déclin de la population.

On attribue la baisse soudaine du nombre de grossesses à plusieurs facteurs liés au coronavirus. En premier lieu vient la détérioration de la situation économique. Le taux de chômage au Japon, en hausse régulière depuis le point bas de 2,2 % enregistré en décembre 2019, a atteint 3,0 % en décembre 2020. En 2020, les salaires ont eux aussi diminué, enregistrant une baisse de 1,2 % par rapport à l’année précédente, à mesure de la réduction des primes et du temps de travail. Le secteur des services, et notamment les activités qui nécessitent des interactions face à face, a été durement frappé par l’obligation, décrétée par le gouvernement, de rester chez soi. On pense que la baisse des revenus qui en a résulté a incité un grand nombre de ménages à reporter leurs projets de procréation.

Le second facteur réside dans le fait que la peur d’attraper le Covid-19 pousse un certain nombre de gens à annuler les visites autres qu’essentielles chez leurs médecins. La baisse des dépenses médicales en 2020 illustre ce phénomène. Les dépenses de santé augmentent certes en termes structurels, en raison du vieillissement de la population japonaise, mais entre avril et septembre le montant des dépenses a été inférieur au chiffre enregistré pendant la même période de l’année précédente. Cette volonté d’éviter les hôpitaux a sans doute aussi joué un rôle dans la baisse du nombre de grossesses et de naissances en incitant les ménages à remettre à plus tard leurs projets de donner naissance.

En troisième lieu vient la raréfaction des rencontres amoureuses et des mariages en réponse aux appels du gouvernement à éviter les interactions face à face. Suite aux mesures prises au nom du coronavirus, les célibataires ont du mal à rencontrer des partenaires potentiels, et bien des fiancés remettent à plus tard leurs cérémonies de mariage. Quelque 538 000 couples se sont mariés en 2020, soit 12,7 % de moins qu’en 2019, avec les répercussions qui en découlent pour les naissances.

Une tendance à long terme

Chez les experts et dans les instances gouvernementales, la question qui se pose est de savoir si le déclin de la natalité va se poursuivre après 2021. Si la baisse de la natalité s’avère un phénomène temporaire, elle n’aura pas d’impact sensible sur les tendances démographiques. Une chute de 100 000 naissances a des conséquences totalement différentes si elle se produit une seule fois et si elle se renouvelle année après année pendant une décennie, ce qui équivaudrait à un million de bébés en moins.

Demandons-nous maintenant combien de temps les trois facteurs sont susceptibles de persister. La vaccination constitue la clef pour pallier aux effets négatifs du premier d’entre eux, le facteur économique. Il s’écoulera un certain temps avant que la totalité de la population soit vaccinée, que l’efficacité du vaccin soit confirmée et que les gens ne soient plus contraints d’éviter les espaces fermés, les endroits surpeuplés et les situations de contact rapproché. À mesure de la reprise de l’activité économique, les autorités vont renoncer aux mesures de protection de l’emploi et à l’aide financière, et ce faisant mettre un coup de frein à la reprise. On estime que l’impact des facteurs économiques sur la natalité va décroître avec l’augmentation du nombre des vaccinations, mais il va sans doute perdurer pendant quelque temps.

En ce qui concerne le second facteur, la tendance à éviter les médecins, la question qui se pose est en fait celle des progrès de la vaccination. La réticence à se faire vacciner semble reculer peu à peu, mais ses effets vont sans doute continuer de se faire sentir au moins jusqu’à la fin de l’année.

Le troisième facteur, qui affecte les rencontres et les mariages, risque davantage de rester dans le paysage. Le nombre des rencontres en chair et en os va augmenter avec l’assouplissement des mesures de distanciation sociale, mais le travail à distance et l’enseignement en ligne vont sans doute perdurer. Ces changements culturels ont pour effet de réduire les contacts de personne à personne, et le risque existe que cela ait un impact prolongé sur la natalité du fait de la réduction du nombre des mariages, et donc des naissances, qui en résulte.

Une population japonaise passant sous le seuil des 100 millions ?

Le graphique ci-dessous, qui repose sur une simple simulation, montre l’effet auquel on peut s’attendre sur la population japonaise en cas de persistance des pressions actuelles à la baisse, autrement dit en supposant que les trois facteurs responsables de la baisse de la natalité en 2021 continuent d’agir.

La simulation annonce une baisse de la population à un niveau inférieur à l’estimation de référence du nombre des naissances utilisée par l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale, et elle se rapproche du niveau observé dans le scénario de basse natalité (dans les deux cas, c’est le niveau de référence qui a été retenu pour le nombre de décès). Selon cette simulation, le Japon comptera 83,53 millions d’habitants en 2065, un chiffre inférieur d’environ 4,5 millions à celui de 88,08 obtenu en utilisant le nombre de naissances et de décès conforme à l’hypothèse de référence. Toujours selon cette simulation, la population japonaise passe pour la première fois en dessous du seuil de 100 millions d’habitants en 2049, soit quatre ans plus tôt que l’année 2053 annoncée dans la prévision à moyen terme de l’Institut.

De prime abord, cette simulation, qui part du principe que les pressions démographiques à la baisse dues au Covid-19 vont persister dans un avenir prévisible, semblera peut-être alarmiste. Après tout, la propagation du virus ne va-t-elle pas être progressivement contrôlée à mesure qu’augmente le nombre des personnes vaccinées ? Cependant, il n’existe aucune certitude en ce qui concerne la durée du troisième facteur, autrement dit l’impact de la réduction des contacts de personne à personne sur les rencontres amoureuses et les mariages.

Une nouvelle période glaciaire pour la recherche d’emploi

Pour de nombreux employés, la conversion au travail à distance s’est avérée bénéfique dans la mesure où elle leur offre une plus grande marge de manœuvre en termes de choix de l’endroit où exercer leur activité professionnelle et un meilleur équilibre entre la vie privée et le travail.

Dans sa réaction au Covid-19, le gouvernement a accordé la priorité à des questions secondaires telles que la promotion du travail à distance. Les autorités feraient mieux de concentrer leurs ressources sur la question plus fondamentale de l’allègement du fardeau financier que représente l’entretien d’une famille. À cette fin, le gouvernement doit relancer l’économie réelle, aujourd’hui aux prises avec le marasme dû à la pandémie. Il est prévu, entre autres, de retirer progressivement au cours de l’année les subventions liées à l’emploi et autres dispositifs financiers déployés l’an dernier. Un retrait trop rapide des mesures alors que les effets du Covid-19 continuent de se faire sentir risquerait d’aggraver l’impact négatif du virus sur l’économie.

Dans le passé, le Japon a fait l’expérience d’une « période glaciaire » de la recherche d’emploi induite par une aggravation des récessions. La mise en place d’une stratégie adéquate de sortie s’impose si l’on veut éviter que la pandémie de Covid-19 ne déclenche de nouveaux coups de froid sur le marché de l’emploi.

Le gouvernement doit mettre en œuvre des politiques de soutien aux familles conçues pour soulager le malaise économique. Il doit envisager sérieusement de renforcer l’ensemble du dispositif de soutien des ménages ayant plus d’un enfant ainsi que d’autres mesures en vigueur depuis un certain temps. Le Premier ministre Suga Yoshihide s’est déclaré favorable à l’extension du régime national d’assurance maladie à la couverture de traitements de l’infécondité tels que la fécondation in vitro. La réduction des coûts de ce genre de traitements qui en résultera va certes permettre à un plus grand nombre de couples d’avoir des enfants, mais cette mesure ne concerne que la première phase de la fondation d’une famille. Au bout du compte, les préoccupations des parents potentiels ont davantage à voir avec les coûts de la scolarité qu’avec les dépenses liées à la naissance. L’aide publique aux personnes ayant des enfants doit mieux prendre en compte ces considérations.

La baisse du nombre des naissances en 2021 semble pratiquement acquise, mais, pour éviter le scénario décrit dans cet article, aucun effort ne doit être épargné en vue de retrouver les niveaux de natalité antérieurs à la pandémie de Covid-19. Le moment est venu pour le gouvernement de renforcer encore les mesures visant à remédier à la faiblesse du taux de natalité.

(Photo de titre : Pixta)

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