Améliorer l’image de la politique étrangère du Japon : la diplomatie des droits de l’homme du Premier ministre Kishida
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Des paroles aux actes pour une diplomatie fondée sur les valeurs
Les valeurs libérales et démocratiques sont la cible d’attaques de plus en plus virulentes depuis une quinzaine d’années, à mesure que, un peu partout dans le monde, des États restreignent la liberté de parole, la liberté de la presse, la liberté religieuse et autres droits humains fondamentaux. Ce rejet des valeurs libérales s’est répandu sur toute la planète, passant d’un pays et d’une région à l’autre. Le Japon ne fait pas exception.
On notera avec intérêt qu’au cours de la même période, la diplomatie fondée sur les valeurs est devenue un principe fondamental de la politique étrangère du Japon. Cette tendance s’est amorcée sous le premier gouvernement d’Abe Shinzô (2006-2007), avec son concept d’Arc de la liberté et de la prospérité. Elle s’est concrétisée sous le second gouvernement Abe via le projet Indo-Pacifique libre et ouvert, qui reste un pilier de la politique étrangère du Japon. L’insistance sur les valeurs représentait un virage historique dans la diplomatie japonaise de l’après-guerre. Concrètement parlant, elle a débouché sur une consolidation des partenariats avec les pays qui partagent un même engagement en faveur de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit. Elle a également contribué à renforcer les normes liés aux valeurs libérales dans le monde entier.
D’un autre côté, ces nouvelles orientations n’ont pas modifié de façon significative les moyens employés par Tokyo pour défendre les droits de l’homme et la démocratie dans les pays étrangers. C’est pourquoi Kishida a promis de changer la donne. À l’automne 2021, après avoir annoncé sa candidature à la présidence du PLD (parti libéral-démocrate, au pouvoir), Kishida s’est prononcé en faveur d’un genre plus contraignant de diplomatie des droits de l’homme et a exprimé son soutien à l’adoption d’une législation nationale visant à faciliter l’action du gouvernement contre les infractions commises à l’étranger. Une fois Premier ministre, il a fait montre d’un engagement actif en faveur de valeurs universelles telles que la liberté et la démocratie et a fait de cet engagement le pivot de sa « diplomatie réaliste pour l’ère nouvelle ».
Un responsable de la question des droits de l’homme, une première au Japon
Kishida a pris diverses initiatives en vue de créer un cadre politique pour la nouvelle diplomatie des droits de l’homme. Pour commencer, et pour la première fois au Japon, il a placé les droits de l’homme sous la tutelle d’un responsable : l’ancien ministre de la Défense Nakatani Gen, dont il a fait son conseiller spécial. Nakatani a été coprésident de l’Association parlementaire non partisane pour un réexamen de la diplomatie des droits de l’homme, qui a travaillé à la rédaction d’une version japonaise de la loi dite Magnitsky, conçue pour faciliter l’application de sanctions aux infractions commises à l’étranger contre les droits de l’homme. Depuis la fin de l’année, Nakatani s’empresse de mettre en place de nouveaux dispositifs. Il a institué une commission interministérielle chargée de formuler des directives incitant les entreprises à faire montre d’une « diligence appropriée » pour prévenir les infractions aux droits de l’homme dans la chaîne logistique. Les avancées sur cette question sont toutefois restées modestes, d’autant que, depuis 2018, le gouvernement japonais avait déjà organisé un certain nombre de réunions de groupes consultatifs en vue de formuler des directives de ce genre, dans le cadre des efforts qu’il consacrait à la promotion des Objectifs de développement durable.
Nakatani a en outre constitué une équipe autour d’un projet visant à instaurer, via la coopération entre toutes les agences concernées, un débat sur les droits de l’homme au Japon et à l’étranger. En réponse à l’Initiative Contrôle des exportations et droits de l’homme lancée par l’Australie, le Danemark, la Norvège et les États-Unis lors du Sommet pour la Démocratie, le gouvernement Kishida a annoncé qu’il envisageait de prendre des mesures visant à restreindre les exportations de technologies de surveillance susceptibles d’être utilisées en violation des droits de l’homme. Le 24 décembre, il a déclaré qu’il s’abstiendrait d’envoyer des représentants aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022, en signe de protestation contre les violations de ces droits. Outre cela, le ministère des Affaires étrangères a annoncé son projet de créer un poste de haut niveau chargé de coordonner la surveillance et la gestion, par le ministère, des infractions aux droits de l’homme commises dans le monde. On peut s’attendre à de nouveaux rebondissements dans les mois qui viennent.
Limité dans ses actions et pressé par l’aile conservatrice
Pour mieux appréhender la dynamique de la diplomatie des droits de l’homme de Kishida, nous devons comprendre les forces à l'œuvre dans son changement de politique.
L’un des facteurs clefs a été la nouvelle orientation prise par la politique américaine sous la présidence de Joe Biden, qui a entrepris de restaurer les normes et institutions démocratiques mises à mal par l’administration de Donald Trump. Biden a inscrit le soutien à la démocratie et aux droits de l’homme tout en haut de son agenda international. Le Sommet de décembre 2021 pour la Démocratie lui a donné l’occasion d’obtenir de gré ou de force l’assentiment des participants. Son administration a en outre fait la promotion d’une réponse internationale unanime aux violations des droits de l’homme, comme en témoigne la coordination des sanctions imposées par les pays occidentaux aux fonctionnaires chinois coupables de violations des droits de la minorité ouïghoure.
Sans doute le virage amorcé par Kishida s’explique-t-il aussi par sa prise de conscience de l’obligation où il se trouvait de se distancier à divers égards des deux précédents gouvernements PLD, ceci afin de renforcer le soutien dont disposait son propre gouvernement et de restaurer la confiance accordée au parti au pouvoir. Abe et son successeur Suga Yoshihide ont tous deux connu des problèmes de cote de popularité. L’une des principales raisons de cette désaffection réside dans leur réaction face au Covid-19, mais elle s’explique aussi par le sentiment que le récent renforcement des pouvoirs du bureau du Premier ministre était utilisé pour échapper à la transparence et éviter de rendre des comptes tout en bridant les libertés individuelles (un sentiment alimenté par diverses controverses liées notamment aux scandales Moritomo Gakuen, Kake Gakuen et Conseil des sciences). Pour Kishida, il est impératif d’afficher un engagement vigoureux en faveur des normes libérales et démocratiques en vue de distinguer son gouvernement PLD de ceux qui l’ont précédé.
Dans le même temps, les options de Kishida en termes de passage à l’acte sont restreintes par la puissance des forces conservatrices au sein du PLD, ce qui nous amène à la troisième grande raison qui l’a poussé à faire de la diplomatie des droits de l’homme un pilier de sa politique étrangère.
Kishida représente l’aile libérale d’un parti de plus en plus sous l’emprise des conservateurs de l’aile droite. Dans ce second bloc, on observe un essor du soutien à une diplomatie des droits de l’homme cantonnée au contexte de la « politique de durcissement à l’égard de la Chine ». Dans le même temps, les conservateurs se méfient grandement des initiatives visant à renforcer la protection des libertés individuelles et des droits de l’homme à l’intérieur du Japon. Pour s’assurer du soutien de ce puissant bloc, Kishida n’a guère d’autres choix que de limiter à la politique étrangère la portée de sa croisade en faveur des droits de l’homme.
Enclin par nature au consensus et au compromis, Kishida ne souhaite pas particulièrement affronter Pékin au nom des droits de l’homme. Il est beaucoup plus à l’aise avec l’idée que le rôle du Japon consiste à servir de pont entre les États-Unis et la Chine. Cela contribue à expliquer pourquoi, depuis son accession au pouvoir, il a mis un frein aux efforts en vue de promulguer une version japonaise de la Loi Magnitsky, efforts qu’il avait antérieurement soutenus, et aussi pourquoi son gouvernement a mis si longtemps à rejoindre les États-Unis et les pays européens qui ont annoncé un boycott diplomatique de facto des Jeux olympique de Pékin de février 2022.
Vers l’adoption de normes universelles
Comme nous l’avons vu plus haut, l’élan qui sous-tend la diplomatie des droits de l’homme de Kishida provient en grande partie des forces du PLD attachées au « durcissement à l’égard de la Chine ». Toutefois, si l’objectif est de défendre les droits de l’homme dans le monde entier, cette approche sélective risque de s’avérer contreproductive. Au bout du compte, ce ciblage est voué à alimenter les critiques reprochant à Tokyo d’utiliser les droits de l’homme comme un outil stratégique, un prétexte, peu crédible en vérité, pour diviser le monde eu deux camps. Ces critiques ne peuvent que saper la confiance accordée à la politique étrangère de Tokyo et à son engagement en faveur des valeurs libérales.
Pour éviter que se répande cette façon de voir, nous devons adopter un ensemble de normes concernant les droits de l’homme, applicables sans disparité à tous les pays, et susceptibles d’être utilisée pour expliquer nos décisions diplomatiques en termes de valeurs universelles. La promulgation d’une version japonaise de la Loi Magnitsky irait dans ce sens dans la mesure où elle instaurerait un dispositif autonome de sanctions en cas de violation sérieuse des droits de l’homme.
Pour défendre équitablement les droits de l’homme sans sacrifier sa crédibilité internationale, le gouvernement pourrait aussi soutenir financièrement les activités liées aux droits de l’homme des organisations internationales reconnues et des acteurs locaux non étatiques. D’où l’importance de son engagement, pris au Sommet pour la Démocratie, de verser quelque 14 millions de dollars au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) afin de contribuer à l’élimination des violations des droits de l’homme. Il n’en reste pas moins qu’un organisme comme le PNUD a une marge de manœuvre réduite. Il peut fournir des capacités, mais il n’est pas en mesure d’aider les citoyens victimes de la répression et des sévices d’un État. Le fait est que le Japon ne dispose d’aucun cadre pour offrir une assistance en matière de droits de l’homme aux acteurs non étatiques opérant à l’étranger. Jusqu’ici le Japon n’a joué aucun rôle dans la défense des citoyens victimes des raids et de la répression exercés par les forces armées birmanes depuis le coup d’État militaire de février 2021. Il ne fournit aucune aide aux médias indépendants qui se consacrent à mettre en lumière et à combattre les violations des droits de l’homme, et jouent par la même occasion un rôle essentiel pour la libre circulation de l’information et la transparence du pouvoir. Au lieu de cela, l’appareil japonais d’aide internationale est entièrement construit autour de l’assistance d’État à État.
La meilleure façon de résoudre la question de la souveraineté étatique consisterait à créer un organisme indépendant et autonome, soutenu par des fonds publics, et dont la finalité serait l’assistance aux organisations non étatiques et autres acteurs indépendants opérant à l’étranger. Une autre option serait de mobiliser d’autres pays et de créer un cadre multilatéral à l’échelle de la région. Le Japon pourrait contribuer à l’inversion de la détérioration des droits de l’homme en Asie, qui progresse à un rythme effrayant, en devenant le fer de lance de la mise sur pieds d’un cadre régional de soutien aux groupes de la société civile. Une telle initiative ferait beaucoup pour renforcer le statut du Japon en tant qu’acteur mondial de la promotion et de la défense des normes libérales et démocratiques.
Pour finir, si le Japon entend renforcer son influence et sa participation à l’effort en vue de faire respecter les normes libérales et démocratiques, il se doit de remédier aux lacunes de ses propres systèmes et pratiques en recourant chez lui aux mêmes normes que celles qu’il applique à l’étranger. Les institutions démocratiques du Japon ont été sérieusement mises à mal au cours de la dernière décennie. Kishida doit prendre des mesures pour remédier à ces faiblesses s’il nourrit l’espoir de devenir le premier Premier ministre japonais des droits de l’homme.
(Photo de titre : le Premier ministre Kishida Fumio échange en ligne, le 10 décembre 2021, avec d’autres dirigeants participant au Sommet pour la Démocratie parrainé par les États-Unis. Service de presse du gouvernement/Jiji)
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