Crise au Myanmar : le témoignage de ressortissants japonais

Politique International

Cela fait trois mois que l’armée a pris le pouvoir au Myanmar, à l’issue d’un coup d’État le 1er février 2021. De nombreux citoyens ont trouvé la mort dans les violences, et un journaliste japonais a été détenu. La tension ne cesse d’augmenter. Les communications coupées, l’information contrôlée, la voix des citoyens parvient néanmoins à l’étranger, en particulier grâce à un Japonais qui a été en poste trois ans à Yangon, la plus grande ville du pays, et qui est resté en contact avec ses connaissances sur place.

La terreur sous le joug militaire

Doimori Keisuke (il s’agit d’un pseudonyme) a été en poste à Yangon, la plus grande ville du Myanmar, pendant près de trois ans. Il est aujourd’hui de retour au Japon, mais est resté en contact avec la population locale et des résidents japonais.

« J’ai cherché ce que je pouvais faire en tant que citoyen japonais possédant un lien avec le Myanmar » déclare M. Doimori.

Il a donc renoué avec son réseau personnel de connaissances pour prendre des nouvelles et s’informer de la situation.

Dans la majeure partie du pays, les forces armées se sont transformées en milices violentes et anarchiques. De nombreuses vidéos sur YouTube et les réseaux sociaux montrent comment des manifestations pacifiques sont réprimées par la terreur, avec utilisation de tirs à balles réelles et de grenades à main contre leur propre peuple.

Intrusion de soldats dans les habitations en pleine nuit, détentions arbitraires, puis convocation des familles le lendemain pour récupérer le corps, sont devenues monnaie courante. On parle de cautions de 200 000 kyats (environ 110 euros) pour libérer n’importe quelle personne arrêtée. La pratique est vite devenue une véritable demande de rançon.

Certains soldats se seraient emparés des dons des fidèles devant le stupa de la pagode de Shwedagon, un temple du centre de Yangon, une honte pour des bouddhistes.

L’ONU, malgré sa déclaration condamnant les violences de l’un de ses membres, ne peut ignorer les plus de 700 morts civiles d’ores et déjà documentées. L’ONU est à la recherche d’un nouvel outil.

Ci-dessous, un message confié à M. Doimori par un ami du Myanmar :

« Nous exprimons notre gratitude à tous ceux qui s’intéressent à la situation au Myanmar et soutiennent sa population. Malgré les difficultés à obtenir des informations de l’extérieur en raison du contrôle strict d’internet, des voix de soutien de l’étranger nous parviennent. La lutte du peuple du Myanmar concerne également toute l’humanité en quête de démocratie. Nous formons le vœu que davantage de personnes à travers le monde se sentent concernées et agissent pour résoudre la situation. »

Des manifestants évitent les flammes dans les rues de Yangon, le 16 mars 2021 (AFP-Jiji)
Des manifestants évitent les flammes dans les rues de Yangon, le 16 mars 2021. (AFP-Jiji)

Les ressortissants japonais au Myanmar parlent

Un certain nombre de ressortissants japonais vivant au Myanmar coopèrent avec des groupes de citoyens locaux et participent à des actions humanitaires, telles que les soins aux blessés. Quelques-uns d’entre eux ont pu être contactés.

Aoki Tsuneyuki (il s’agit d’un pseudonyme) travaille dans un atelier de fabrication de vêtements. Il est actuellement réfugié dans un hôtel. C’est sa première mission professionnelle à l’étranger sans sa famille, en tant qu’expat. Très reconnaissant envers les habitants du pays qui l’ont énormément soutenu depuis son arrivée, il cherche un moyen de leur rendre la pareille.

« À l’usine, j’ai enseigné très ouvertement tout ce que je sais, de la gestion de la fabrication, la vente, la gestion financière… Certains en ont profité pour fonder leur propre atelier et devenir nos rivaux, d’autres sont passés à la concurrence. Mais ceux qui se sont mis à leur compte ont maintenant tout perdu et sont terrifiés. »

D’après M. Aoki, de plus en plus de personnes partent se réfugier à la campagne, et de nombreux travailleurs des provinces sont rentrés chez eux.

« Ceux qui ne peuvent pas se réfugier à la campagne retiennent leur respiration comme il peuvent. Beaucoup se demandent combien de temps il faudra continuer de vivre ainsi, moi y compris. »

M. Aoki ne cache pas son angoisse. Mais en même temps, il admire la force de caractère des jeunes qui risquent leur vie.

« Les jeunes sont préoccupés par l’avenir de leur pays et tentent de faire bouger le statu quo. La censure militaire leur rend la tâche difficile, mais ils continuent de faire parvenir des informations à l’étranger au risque de leur vie pour faire connaître la réalité de la situation au Myanmar. C’est normal que les jeunes aient des rêves et des espoirs d’avenir. Ce sont les jeunes qui doivent faire bouger le pays, et même le monde. Ne soyez pas indifférents à la situation au Myanmar, c’est important ! »

Les angoisses d’un entrepreneur

Matsuyama Tarô (il s’agit d’un pseudonyme) est dirigeant d’entreprise. Lui aussi a préféré se réfugier dans un hôtel depuis le jour du coup d’État. Voici sa vision de la situation à Yangon, où la tension monde de jour en jour. C’est par le coup de fil très tôt le matin sur le réseau interne d’une connaissance qui loge actuellement dans le même hôtel que M. Matsuyama a su qu’un coup d’État avait eu lieu. Ce fut un choc d’apprendre que Aung San Suu Kyi avait été placée en détention.

« J’ai immédiatement allumé mon ordinateur, mais je me suis aperçu que non seulement la connexion internet était coupée, mais que la ligne téléphonique était de même bloquée. À cet instant, j’ai réalisé que le Myanmar était isolé du reste du monde, comme une “île au milieu des terres”. »

M. Matsuyama n’avait pas cru à la possibilité d’un retour à la dictature, le coup d’État est une sorte de cauchemar. Il avait déjà été témoin des manifestations anti-gouvernement de 2007 menées par des bonzes (dite la « Révolution safran »)

« À l’époque, l’assassinat d’un journaliste japonais m’avait rendu assez nerveux, mais pas cette fois. Lors des grandes manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays à la suite du coup d’État, hommes et femmes de tous âges ont marché en levant trois doigts (index, majeur et annulaire) en appelant au retour de la démocratie. Toutes étaient pacifiques et on voyait même des sourires. Cela m’a fait sous-estimer la situation. »

C’est en mars que la situation a changé du tout au tout. Dans la capitale Naypyidaw, l’armée a tué une étudiante par balle de caoutchouc. Depuis lors, les grenades lacrymogènes, mais également toutes armes de guerre, des balles réelles au mitrailleuses lourdes et lance-roquettes sont devenues monnaie courante à Yangon. Le nombre de victimes à fait un bond en avant et on compte dès à présent plus de 700 civils morts.

« J’aurais cru que les citoyens étaient épuisés, mais ils manifestent au péril de leur vie pour la restauration de la démocratie, en utilisant à plein les dernières technologies informatiques pour coopérer avec la diaspora birmane dans le monde entier. Cela fait vraiment mal de les voir, totalement désarmés face à une armée suréquipée. Mais cela ne les empêche pas de résister courageusement, avec une détermination rare, pour un peuple si pacifique. Cela montre le courage intérieur de ce peuple très doux. Nous autres, ressortissants étrangers, ne pouvons pas faire grand-chose. Mais, en tant qu’employeur, je ne me sens pas le droit d’empêcher mes employés de manifester. »

Les cadres japonais en poste à Myanmar comme M. Matsuyama sont mis devant le choix personnel de rester ou d’être rapatriés. Ils étaient environs 3 000 japonais au Myanmar avant le coup d’État, ils seront moins de 1 000 en mai.

« Je vis dans ce pays depuis suffisamment longtemps pour avoir confiance dans mon jugement. Dès que je jugerai que la situation devient dangereuse, je me ferais rapatrier. Mais je prie pour que ce jour n’arrive pas. J’espère que le soleil de la démocratisation se lèvera de nouveau. Je crois en l’idée que : “il n’y a pas de nuit si noire qu’elle ne finit jamais”. Je vais simplement mettre toute mon énergie pour assurer le travail à court terme. »

Des manifestants portent un homme blessé sous les tirs des militaires à Yangon, au Myanmar, (17 mars 2021, AFP-Jiji).
Des manifestants portent un homme blessé sous les tirs des militaires à Yangon, au Myanmar. (17 mars 2021, AFP-Jiji)

La peur d’un employé avec enfant

Torii Ichirô (pseudonyme) est un employé, chargé de famille. Alors qu’il résidait dans le quartier de Sanchaung, un district très fréquenté de Yangon, mi-mars, suite aux affrontements entre manifestants et forces de l’armée, il a déménagé avec sa famille dans un hôtel pour résidents de longue durée dans le centre-ville.

Sanchaung a été le théâtre d’une série de raids de la police contre les résidents. De nombreux coups de feu étaient entendus et la nuit, tout le quartier était très bruyant, du fait des manifestations au son de marmites frappées en rythme. Comme M. Matsuyama, M. Torii se croyait à l’abri en tant que ressortissant étranger. Mais après avoir vu sur internet des images des milices militaires pointant indistinctement leurs armes les habitants, il a compris que cette logique n’était plus tenable. Un après-midi, M. Torii, qui était sorti en ville, s’est retrouvé entouré de militaire, sans aucun autre civil.

« Je me suis demandé si j’allais être arrêté, interrogé, ou peut-être abattu par erreur. La sécurité du quartier n’était plus assurée et c’est là que j’ai décidé de déménager. Quand nous avons atteint l’hôtel où nous sommes actuellement, je me suis senti plus tranquille. »

À Sanchaung, les centaines de manifestants qui s’étaient rassemblés, ont été circonscrits dans un seul district. Ils ont été arrêtés, sauf ceux qui ont réussi à s’enfuir, et fin mars, l’armée avait presque totalement pris le contrôle du quartier et retiré les barricades. Cependant, les résidents continuent de protester occasionnellement, notamment en brûlant des pneus.

De jeunes vies perdues

Le coup d’État n’a pas vraiment changé la situation pour les écoles, dans la mesure où, dès avant le coup d’État, de nombreuses écoles étaient passées en distanciel ou fermées en raison de la pandémie de coronavirus. Mais pour les parents, le sentiment de danger concernant la sécurité de leurs enfants est extrêmement fort.

À Mandalay, dans le centre du pays, des militaires qui poursuivaient des manifestants, ont fait irruption dans une maison et ont tué une fillette de sept ans qui se trouvait assise sur les genoux de son père. Plusieurs jeunes enfants sont morts, notamment un jeune garçon abattu devant sa maison alors qu’il regardait la manifestation, et un autre qui a pris une balle perdue à l’intérieur de sa maison. L’Unicef a fait mention de plus de 500 mineurs avaient été détenus arbitrairement et qu’au moins cinq étaient morts à la suite de l’occupation d’établissements scolaires par les forces militaires.

M. Torii, dont la situation personnelle ne lui permet pas de quitter immédiatement le pays, s’indigne que des jeunes vies soient fauchées si près de chez lui.

« Il est clair que des enfants sont maintenant ciblés indistinctement, sans considération du fait que ce sont des enfants ou non. C’est une pratique qui rappelle organisations terroristes en Afrique. Tout ce que je peux faire actuellement est d’être extrêmement prudente pour protéger mes enfants.

Pensées pour le Myanmar

Je conclurai par quelques mots de M. Doimori, qui m’a aidé à rédiger cet article.

« Le Myanmar attire et fascine parce que le pays apparaît comme la dernière frontière de l’Asie du Sud-Est. C’est l’un des pays les plus pauvres du monde, peut-être, mais ses habitants sont riches de leur esprit de générosité. Mais, alors que les forces d’autodéfense japonaises sont dévouées à la protection de la population, comme j’ai pu m’en rendre compte en 2011 pendant les quelques mois que j’ai passé comme volontaire à la reconstruction après le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon, je suis toujours indigné chaque fois que je vois que l’armée du Myanmar a toujours les armes pointées non pas sur un ennemi extérieur, mais sur sa propre population. La pensée qui m’anime en permanence, c’est : “que pourrais-je faire pour ce pays ?” »

(Photo de titre : des manifestants lèvent trois doigts en signe de protestation, Yangon, 27 avril 2021)

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