Pourquoi la France dit-elle non à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN à Tokyo ?

Politique International

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a prévu de discuter de l’ouverture d’un bureau de liaison à Tokyo lors de son sommet qui aura lieu le 11 et le 12 juillet en Lituanie. La France a cependant exprimé son opposition à ce projet. Nous cherchons à comprendre pourquoi.

Si un bureau de liaison de l’OTAN s’ouvre, il serait le tout premier en Asie. Le désir de freiner la Chine qui renforce ses initiatives hégémoniques dans la zone Indo-Pacifique transparaît dans ce projet, mais la France a déclaré qu’elle y était opposée. Que cela reflète-t-il ? Sans doute la volonté du président Macron de ne pas froisser la Chine. Il semble certain que la consolidation de l’Alliance relativement à sa stratégie vis-à-vis de Pékin sera abordée pendant le sommet de l’OTAN.

Une base pour la coopération de sécurité face à la Chine

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 par la Russie a poussé l’OTAN à envisager l’ouverture d’un bureau de liaison à Tokyo. Lors de son sommet 2022 à Madrid en juin de l’année dernière, l’OTAN a adopté un nouveau concept stratégique, le premier en 12 ans, dans lequel la Russie est considérée comme la menace la plus importante pour la sécurité de l’Europe et de l’Atlantique. La Chine, qui a renforcé sa coopération stratégique avec la Russie, est vue comme « renforçant ses tentatives de démantèlement de l’ordre international ».

Le sommet de Madrid a aussi été le premier auquel a participé le Premier ministre Kishida. Il a souligné à cette occasion les similitudes de risques avec la question de Taïwan, en affirmant que la Chine continue à essayer de transformer unilatéralement la situation, et aussi que l’Asie de l’Est pourrait être « la prochaine Ukraine ».

Lors de sa visite au Japon et en Corée du Sud en janvier dernier, le secrétaire-général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré que « la sécurité de l’Europe et celle de la région Indo-Pacifique sont mutuellement liées ». L’OTAN et le Japon se sont accordés afin de renforcer la solidarité stratégique et le partage des informations, et ont décidé de d’une participation régulière du Japon aux réunions du Conseil de l’Atlantique nord et aux rencontres d’état-major, ainsi que d’un renforcement de la coopération mutuelle dans des domaines très vastes, comme la cybersécurité, la sécurité maritime, et la lutte contre la désinformation.

Comme l’an passé à Madrid, le secrétariat de l’OTAN a invité à son sommet 2023 en Lituanie le dirigeant japonais, le président coréen Yoon Suk-Yeol, et le Premier ministre australien, et a fait savoir qu’il travaille actuellement au projet d’ouvrir en 2024 un bureau de liaison à Tokyo dans le cadre de son « plan de coopération de la prochaine dimension ».

Le président Macron met des bâtons dans les roues

Le président français est venu contrecarrer ce projet. Selon le quotidien britannique Financial Times, il aurait, lors d’une rencontre qui s’est tenue fin mai-début juin, déclaré qu’élargir la sphère d’activité de l’OTAN (en dépassant celle de l’Atlantique nord) serait une grave erreur, et il a exprimé son opposition à l’ouverture d’un bureau de liaison à Tokyo.

Le président Macron, à qui il est arrivé de courtiser la Chine en exprimant « les attentes qu’il plaçait dans ce pays », pour qu’il conduise la Russie à mettre fin à son invasion de l’Ukraine, est connu pour son enthousiasme vis-à-vis de l’expansion des échanges avec la Chine sur le plan économique et commercial. Lorsqu’il s’est rendu en Chine au début du mois d’avril, il a suscité la colère des États-Unis en déclarant au sujet de Taïwan que « le pire serait que l’Europe pense qu’elle doit suivre les États-Unis », des propos qui ont fait des vagues au moment du sommet du G7 et au sein de l’OTAN.

Enfin, à peu près au moment de la parution de cet article du Financial Times, le gouvernement de Xi Jinping a déclaré une nouvelle fois son opposition à la création d’un bureau de liaison de l’OTAN à Tokyo, en affirmant qu’une version asiatique de l’OTAN n’était pas nécessaire et que le Japon ne devait pas nuire à la paix et à la stabilité régionale. Il n’est pas impossible que le président Macron et le ministère chinois des Affaires étrangères aient coordonné leurs propos, et il est indéniable que le résultat a été l’expression d’une forte considération pour la Chine.

Des interrogations sur la stratégie russo-chinoise

L’OTAN a créé des bureaux de liaison dans plus de 10 pays qui n’en sont pas membres, comme l’Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie, afin de développer avec eux une coopération de sécurité. Si elle en ouvre un à Tokyo, ce serait le premier en Asie. Mais les autorités françaises soulignent que par ses statuts, l’OTAN doit prendre ses décisions à l’unanimité de son Conseil, et que si la France s’y oppose, l’ouverture de ce bureau est forcément impossible.

Par ailleurs, afin de s’opposer à la situation dans laquelle la Chine et la Russie renforcent leur solidarité stratégique globale, l’OTAN considère les pays amis que sont le Japon, la Corée du Sud, et l’Australie comme des « partenaires régionaux » dans la zone Indo-Pacifique, et cherche à créer un réseau de coopération défensive et sécuritaire dans des domaines très larges. Le bureau de liaison de Tokyo serait une nouvelle base de développement de ces activités, et un des résultats les plus appropriés au concept stratégique actualisé l’an passé.

De plus, si la crise de Taïwan suscite une grande nervosité aux États-Unis, cette perception n’est pas généralisée en Europe où plusieurs pays souhaitent garder leurs distances avec celle-ci. La France n’est pas isolée à cet égard, mais son attitude aura sans doute une certaine répercussion sur la réponse des pays européens.

Pour le Japon, l’ouverture d’un bureau de liaison est un projet caressé depuis la première visite d’Abe Shinzô, alors Premier ministre, au siège de l’OTAN en 2007. Après la création en 2018 d’un bureau de représentation du Japon auprès de l’organisation à Bruxelles, la perspective d’un bureau de liaison à Tokyo est devenue plus concrète.

L’administration Biden qui n’a cessé de soutenir discrètement ce projet garde le silence à ce sujet, et le gouvernement nippon paraît pour le moment déterminé à suivre de près l’évolution de la situation. Dans la perspective du sommet de l’OTAN ce mois-ci, les discrets efforts diplomatiques du Japon et des pays membres seront scrutés.

(Photo de titre : le ministre japonais des Affaires étrangères Hayashi Yoshimasa et le secrétaire-général de l’OTAN Jens Stoltenberg pendant la conférence de presse consécutive à la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, le 4 avril 2023. AFP-Jiji)

diplomatie sécurité politique Chine France défense Emmanuel Macron OTAN