L’argument d’un conservateur contre le nucléaire au Japon
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Une dramatique perte de territoire
« Les conservateurs sont avant tout des réalistes. Un conservateur qui refuse d’affronter la réalité est aussi inutile qu’un progressiste sans idéaux. »
C’est sur ces lignes que s’ouvre « Le b.a-ba du nucléaire à l’intention des conservateurs » (Hoshu no tame no genpatsu nyûmon), un livre écrit pour attirer l’attention sur les contradictions intrinsèques à la ligne du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir). En effet, même après la catastrophe de Fukushima, ce parti qui se veut conservateur et patriotique, préconise encore que le Japon continue voire renforce sa dépendance à l’énergie nucléaire.
Dans cet ouvrage, je développe trois arguments principaux. Je défends tout d’abord l’idée que l’énergie nucléaire est fondamentalement incompatible avec la ligne des conservateurs et des patriotes. Ensuite, je montre que pour des raisons structurelles, les centrales nucléaires sont intrinsèquement vulnérables aux séismes. Enfin, j’explique par ailleurs que les centrales nucléaires fragilisent la sécurité nationale.
La catastrophe du 11 mars 2011 qui a touché la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, gérée par Tepco (Tokyo Electric Power Company), a causé l’évacuation de plus de 150 000 personnes. À l’heure actuelle plus de 20 000 Japonais ne peuvent toujours pas retourner chez eux. Et 14 ans plus tard, l’état d’urgence déclaré aux lendemains de la catastrophe n’a toujours pas été levé.
Dans la préfecture de Fukushima, sur les 300 kilomètres carrés de la zone que le gouvernement a déclarée « interdite à l’habitation pour une durée indéterminée », l’ordre d’évacuation n’a pas été levé et ce, malgré que la dose maximum d’exposition annuelle des civils aux rayonnements radioactifs ait été passée de 1 à 20 millisieverts. Ce territoire, qui est aussi grand que la métropole de Nagoya (l’un des principaux poumons économiques du Japon), reste une zone d’exclusion nucléaire. Le Japon a donc perdu un territoire 50 fois plus grand que les Senkaku, ces îles revendiquées par la Chine qui causent à répétition des tensions diplomatiques récurrentes. Comme si cela ne suffisait pas, les médecins ont diagnostiqué des cancers de la thyroïde à plus de 300 jeunes, or ce type de cancer ne touche normalement qu’une personne sur un million. On recense beaucoup de cas graves qui nécessitent de lourdes interventions chirurgicales.
Quand je présidais le tribunal de district de Fukui dans le procès visant à empêcher le redémarrage de la centrale d’Ôi, gérée par la Kansai Electric Power Company, le Parti libéral-démocrate (qui était alors récemment revenu au pouvoir) et les lobbys du secteur industriel alléguaient que fermer des centrales aurait pour conséquence de contraindre le Japon à importer d’énormes quantités de pétrole et de gaz naturel afin d’alimenter ses centrales thermiques, de générer donc une fuite massive de « richesse nationale » et de mener in fine à l’appauvrissement du pays.
Le 21 mai 2014, le tribunal rendait son verdict. Certes fermer la centrale entraînerait un déficit commercial, mais le tribunal a rejeté l’argument de la « perte de richesse nationale » car la cour a estimé que la véritable richesse nationale était d’avoir des terres riches et productives, où il est possible de s’enraciner et de gagner sa vie. Dans ses conclusions la cour avançait que le risque de perdre ce capital et de ne pouvoir le récupérer constituait une perte plus grave encore pour le Japon. Comparons les arguments du PLD et des lobby avec le compte-rendu de jugement du tribunal de district de Fukui. Où sont les véritables conservateurs ? Qui ose regarder en face la réalité d’une catastrophe nucléaire ? Où sont les vrais patriotes ?
Une panne d’électricité à l’origine de la catastrophe
Quelles sont les spécificités des centrales nucléaires ? Premièrement, elles doivent être surveillées en permanence et alimentées en eau pour que le réacteur puisse être refroidi. Car si l’alimentation en électricité ou en eau est interrompue, on risque immédiatement la fusion du cœur. Or tout incident grave peut signer la fin du Japon en tant que nation.
L’accident de la centrale Fukushima Daiichi a failli rendre inhabitable une grande partie du Japon oriental. Quand Yoshida Masao, qui dirigeait alors la centrale, a compris que l’enceinte de confinement du réacteur n° 2 était sur le point de rompre car la ventilation était devenue impossible, il a eu peur que les retombées radioactives ne contaminent tout l’Est du Japon. Le président de la Commission japonaise de l’énergie atomique s’est demandé s’il allait être nécessaire d’évacuer la population dans un rayon de 250 kilomètres autour de la centrale, ce qui aurait inclus Tokyo.
L’accident de Fukushima n’a pas eu lieu parce que les réacteurs ont été directement endommagés par le séisme ou le tsunami. Le tremblement de terre initial a coupé le circuit électrique externe et le tsunami a ensuite enrayé le circuit de secours. Dans les faits, le refroidissement du réacteur a été enrayé par des pannes de courant, ces coupures d’électricité ont suffi à déclencher une catastrophe.
On comprend donc bien que la résilience des centrales nucléaires dépend moins de la robustesse des réacteurs et des enceintes de confinement, que de la fiabilité du circuit électrique qui les alimente. Les centrales japonaises sont conçues pour résister à des séismes allant de 600 à 1 000 Gals (Gal étant l’unité d’accélération utilisée en gravimétrie pour mesurer l’impact local d’un tremblement de terre). Mais les séismes dégageant une énergie de plus de 1 000 Gals ne sont pas rares au Japon et certains ont même dépassé les 4 000 Gals. C’est pourquoi certaines entreprises de BTP construisent des logements conçus pour résister à des frappes sismiques allant jusqu’à 5 000 Gals.
Le Japon compte en tout et pour tout 17 centrales nucléaires (centrales en construction non comprises). Or six séismes dépassant les normes de sécurité ont déjà touché quatre d’entre elles à Onagawa, Shika, Kashiwazaki-Kariwa et à Fukushima Daiichi (Onagawa et Shika ont d’ailleurs été frappées deux fois chacune). Le Japon qui ne représente que 0,3 % de la surface terrestre, est, avec 10 % des tremblements de terre mondiaux, le pays le plus touché par les séismes. Malgré ce risque intrinsèque, 54 réacteurs nucléaires sont implantés le long des côtes (10 % du total mondial).
Comme il est impossible de prévoir la magnitude d’un séisme dans un pays aussi à risque que le Japon, les entreprises du BTP partent du principe que les édifices doivent pouvoir résister à des séismes au moins aussi forts que le pire jamais recensé.
À la réunion du cabinet de février 2025, le gouvernement a ratifié le septième plan stratégique pour l’énergie. Dans cette dernière version, toute ambition de réduire la dépendance du Japon à l’énergie nucléaire a été abrogée et une place plus importante a au contraire été donnée à l’énergie nucléaire au sein de la stratégie énergétique. Et pourtant, les normes sismiques des centrales nucléaires partent toujours du principe que l’analyse des données passées et l’évaluation des conditions géotechniques locales permettent de prédire avec précision la magnitude maximale des séismes pouvant se produire à l’avenir. Qui est meilleur juge et évalue les faits de la manière la plus réaliste et la plus scientifique : le gouvernement ou les entreprises du BTP ?
Pourquoi la plus grande centrale nucléaire d’Europe est-elle tombée aux mains de l’ennemi ?
Avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 5 000 milliards de yens et une marge bénéficiaire de 5 %, Tepco était une entreprise incontournable du secteur qui gagnait 250 milliards de yens par an. Mais l’accident de Fukushima a coûté plus de 25 000 milliards de yens, soit près de 100 ans de chiffre d’affaires de l’entreprise. Que penser de ce mode de production d’électricité si un seul accident peut anéantir un siècle de revenus et pratiquement ruiner une entreprise phare comme Tepco ? Cette source d’énergie n’est pas seulement inefficace d’un point de vue économique, elle est de plus non durable.
Si par exemple, un accident similaire se produisait à la centrale nucléaire de Tôkai Daini dans la préfecture d’Ibaraki, on estime que les dommages s’élèveraient à 660 000 milliards de yens (alors que le budget du Japon est de 110 000 milliards de yens). Alors à la tête de la centrale de Fukushima, Yoshida s’était résigné à perdre l’enceinte du réacteur n° 2 menacée d’explosion, mais le bâtiment a été sauvé par « miracle » : une faiblesse dans la structure du bâtiment a laissé la pression s’échapper et la destruction a pu être évitée. Sans ce facteur providentiel, les dommages auraient pu se chiffrer à 2 400 milliards de yens.
Ces chiffres montrent clairement que le problème de l’énergie nucléaire n’est pas seulement une question énergétique. Le nucléaire et la survie de la nation japonaise sont profondément intriqués, cette question doit être une priorité pour que la sécurité nationale soit préservée. La guerre que la Russie mène en Ukraine nous a brutalement rappelé combien la menace était lourde. La centrale de Zaporijia, située sur le Dniepr, est la plus grande centrale nucléaire d’Europe. Quand les Russes ont menacé de l’attaquer, l’Ukraine n’a pas hésité à laisser les Russes en prendre le contrôle. Si la centrale avait vraiment été attaquée, la catastrophe aurait pu ravager une grande partie de l’Europe de l’Est, la crise aurait été sans précédent.
On a pu dire que les centrales étaient comme des armes nucléaires pointées sur leur propre pays. En effet, on ne saurait mieux dire. Le Japon compte sur ses côtes 54 réacteurs exposés aux tremblements de terre et laissés sans défense face à de potentielles attaques terroristes ou offensives ennemies. Le cabinet du PLD se moque de ceux qui luttent pour que le Japon dispose d’une capacité offensive permettant d’attaquer des bases ennemies, il plaide pour une posture exclusivement défensive et accuse ses opposants d’être des « hippies utopistes ». Dans le même temps, le parti est aveugle au fait que les centrales nucléaires sont le plus grand point faible du Japon en matière de défense nationale.
Se débarrasser de ces « armes nucléaires pointées sur notre patrie » ne nécessiterait pas d’énormes dépenses militaires, ni de difficiles négociations diplomatiques. Tout ce qu’il faut, c’est regarder la réalité en face et que les conservateurs restent déterminés à protéger la richesse productive de notre territoire afin de la transmettre aux générations futures.
J’ai abordé les questions juridiques liées à l’énergie nucléaire dans mes précédents livres et articles. Comme j’ai clairement indiqué dans « Le b.a-ba du nucléaire à l’intention des conservateurs » que je me définissais comme un conservateur, je m’attendais à une réaction hostile de la part des progressistes qui constituent l’essentiel du mouvement antinucléaire, mais en fait, je n’ai reçu aucune animosité de leur part. J’ai même été surpris par le soutien massif qui m’a été témoigné.
La plupart des critiques venaient de soi-disant conservateurs qui semblaient déterminés à me discréditer moi et la sincérité de mes intentions et me critiquaient, plaidant qu’il était inconvenant pour un juge à la retraite de se mêler de politique. Sur Amazon, les commentateurs ont déversé un torrent concerté d’attaques me calomniant et me visant personnellement. Mais je reste convaincu que les vrais conservateurs, sincères et impartiaux, comprendront mes intentions réelles.
Les géologues reconnaissent que les connaissances scientifiques actuelles ne permettent tout simplement pas de prédire la configuration précise d’un séisme. Un fort tremblement de terre peut se produire demain et provoquer une catastrophe dans l’une des centrales nucléaires du pays, détruisant ou rendant inhabitable une grande partie de notre territoire. Mon objectif est simplement de sensibiliser le grand public à cette réalité terrifiante.
(Photo de titre : « Entrée interdite », panneau se trouvant à Tomioka (Fukushima) dans une zone évacuée toujours interdite au retour pour cause de contamination radioactive suite à l’accident de Fukushima Daiichi de mars 2011. Photo prise en novembre 2023. Jiji)