L’alliance nippo-américaine perd un ami de longue date : Richard Armitage, 1945-2025

Politique International

Le diplomate américain Richard Armitage est décédé en avril 2025. Acteur prééminent de la relation bilatérale nippo-américaine, il a fait sensation peu après les attaques du 11 septembre avec ses appels au Japon et à d’autres alliés les incitant à « brandir le drapeau » en soutien aux États-Unis. Le politicien japonais Nagashima Akihisa, qui a entretenu des liens étroits avec Armitage pendant trois décennies, se souvient ici de lui.

Se souvenir de la chaleur d’un ami

Richard Armitage est décédé le 13 avril de cette année. C’est au petit matin du 15, heure japonaise, que la nouvelle m’est parvenue. Ce fut pour moi un choc — juste trois jours plus tôt, j’avais été en contact avec lui par courrier électronique et j’avais appris qu’il projetait de se rendre au Japon au mois de mai et souhaitait me rencontrer. L’état de choc a vite laissé place à un profond chagrin à mesure que je revoyais le visage souriant qu’il arborait dans ma mémoire lorsque je l’ai rencontré pour la première fois à Washington DC, il y a de cela trois décennies, alors qu’il était étudiant de troisième cycle.

Quelle que soit son humeur, je me souviens de Richard Armitage comme d’un homme d’un très grand charme. En japonais, on parle de ki do ai raku (喜怒哀楽) « la joie, la colère, la tristesse et le plaisir » qui embrassent tout le spectre des émotions humaines. Et il avait beaucoup à offrir dans ces domaines...

En ce qui concerne ki, la joie, je me souviens de ma première visite aux États-Unis après mon élection inaugurale à la Chambre des représentants du Japon. Il m’accueillit alors avec un sourire resplendissant et me prit dans ses bras pour me féliciter. Je ressens encore la force de sa poitrine large et puissante pressée contre la mienne.

Pour ce qui est de do, la colère, je ne puis oublier la rage bouillonnante et la frustration qu’il a affichées en 1991 lors de la Guerre du Golfe, quand l’insistance du Japon à ne pas participer aux affaires militaires l’a mis à l’écart du reste du monde, comme si sa « diplomatie du chéquier » creusait un gouffre entre lui et les autres membres de la coalition menée à l’époque par les États-Unis.

Dans le domaine de ai, le chagrin, l’image qui me vient à l’esprit est celle de la visite que lui et moi avons rendue à Abe Akie, la veuve de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô, quelques mois après qu’il a été abattu par la balle d’un assassin. La profondeur de la tristesse qu’exprimait son visage tandis qu’il parlait avec elle m’a fait monter les larmes aux yeux à moi aussi.

Et quant à raku, le plaisir que nous procure la compagnie de nos amis, ma mémoire en garde d’innombrables souvenirs — les fois où nous avons levé nos verres ensemble, alors qu’il partageait des souvenirs de l’époque où il jouait au football à l’École navale des États-Unis, les récits palpitants de son service au Vietnam, ou les histoires liées aux plus de 50 enfants adoptifs — dont beaucoup d’orphelins de la guerre du Vietnam — au soutien desquels il a contribué. Son badinage plein d’esprit, prononcé d’une voix rauque, débitait un flux interminable d’histoires que j’aimais toujours entendre, et qui me donnaient souvent le fou rire.

En finir avec la thèse du « bouchon de bouteille »

Tout au long de sa vie, Richard Armitage a incarné le modèle même du patriote. Sa position intellectuelle l’a toujours fait passer pour un fervent ami du Japon. Je ne veux pas contester ce point de vue, mais, pour être plus précis, je dirais que c’est de l’alliance du Japon avec les États-Unis qu’il fut un ami. Il était profondément convaincu que la force des liens avec les Japonais était absolument vitale pour les intérêts américains.

Armitage a occupé un certain nombre de postes officiels pour les États-Unis, dont celui de vice-secrétaire d’État sous la présidence de George W. Bush entre 2001 et 2005. Le domaine dans lequel il était enclin à se spécialiser était l’hémisphère oriental, et plus précisément la région couverte par le US Indo-Pacific Command (Commandement Indo-Pacifique des États-Unis). Il a affronté des défis diplomatiques dans des endroits comme l’Iran, l’Iraq, le Pakistan et les Philippines, tout en travaillant au renforcement des liens de sécurité entre l’Amérique, la Corée du Sud et le Japon.

Dans la liste de ses hauts faits figurent les rapports Armitage-Nye, publiés à six reprises entre 2000 et 2024 en collaboration avec le professeur de Harvard Joseph Nye. Ces rapports ont constitué une contribution monumentale à la politique des États-Unis à l’égard du Japon, contribution qui, allant au-delà des clivages politiques, a insufflé une nouvelle vie dans l’alliance alors que celle-ci semblait partir à la dérive après la fin de la Guerre froide, et offert une orientation aux gouvernements aussi bien démocrates que républicains, de Bill Clinton à George W. Bush, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden.

J’ai eu le grand privilège de participer à des réunions d’étude dans le cadre de la préparation de ces rapports. Le temps passé à l’écoute des débats animés dont se sont nourries les publications finales me permet de dire que leur plus grand intérêt réside peut-être dans l’éradication à laquelle elles sont parvenues de la thèse du « bouchon de bouteille » — la théorie selon laquelle le militarisme japonais devait être contenu par l’alliance avec les États-Unis et le Japon ne devait pas être autorisé à accroître son rôle sécuritaire en Asie de l’Est.

En 1990, le général de corps d’armée Henry Stackpole III, alors à la tête des Corps des marines américains en garnison au Japon, a déclaré : « Personne ne veut voir un Japon réarmé, en réémergence… on peut dire que nous sommes un bouchon dans la bouteille. » Les frictions commerciales entre le Japon et les États-Unis étaient alors à leur paroxysme, et des théoriciens américains, au nombre desquels figurait l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger, tenaient des propos très similaires. Richard Armitage a mis les pieds dans le plat en soutenant que le Japon devait jouer un plus grand rôle en matière de sécurité. Ceci est entré en résonance avec les préoccupations réalistes à propos d’une montée en puissance de la Chine qui occuperait le vide stratégique laissé par la fin de la Guerre froide, et le concept de « bouchon de bouteille » est vite tombé en désuétude au sein des débats sur la politique asiatique qui se tenaient dans les lieux de pouvoir de Washington.

Les derniers vœux d’un ami du Japon

Le premier rapport Armitage-Nye, publié en octobre 2000, identifiait le nœud du problème en termes clairs : « L’hostilité du Japon à la légitime défense collective exerce une contrainte sur la coopération au sein de l’alliance. » Les prescriptions qu’il proposait pour résoudre ce problème étaient tout aussi claires : « Nous considérons que la relation spéciale entre les États-Unis et la Grande-Bretagne constituent un modèle pour l’alliance. »

Jusqu’à la publication de ce rapport, il existait chez les fonctionnaires et les universitaires américains un consensus selon lequel Washington devait fonder sa politique à l’égard du Japon sur l’idée qu’exercer des pressions sur ce pays pour qu’il agisse autrement ne serait que contre-productif, que l’expansion du rôle militaire du Japon serait perçue par la Chine comme une provocation et devait donc être évitée, et que, par voie de conséquence, le renforcement de la coopération au sein de l’alliance entre le Japon et les États-Unis devait être mené avec beaucoup de circonspection.

Cette approche minimaliste a été approuvée par divers membres du groupe chargé de rédiger le rapport, dont Joseph Nye, qui avait été secrétaire adjoint de la défense pour les affaires de sécurité internationale sous la présidence de Clinton, et Kurt Campbell, qui deviendrait plus tard vice-secrétaire d’État sous la présidence de Biden.

Mais, en opposition à leur point de vue selon lequel le renforcement du rôle militaire du Japon était malavisé, Armitage a toujours soutenu que l’essor à venir de la Chine faisait du renforcement de l’alliance avec le Japon une nécessité impérieuse pour les États-Unis. En conséquence de quoi, déclarait-il, Washington devrait entreprendre de faire savoir clairement au Japon quels rôles les États-Unis aimeraient lui voir jouer.

Le groupe en est progressivement venu à la façon de penser d’Armitage. C’est alors que la thèse du « bouchon sur la bouteille » qui avait entravé l’évolution de l’alliance entre le Japon et les États-Unis est devenue caduque.

Le rapport de 2024, dernier de ceux sur lesquels Armitage allait apposer sa signature, a formulé de sérieuses préoccupations quant à l’avenir de l’engagement américain en faveur de l’ordre international. « À brève échéance, les fardeaux du leadership mondial et régional vont donc peser plus lourdement sur Tokyo », avertissaient les auteurs. Maintenant que nous voyons le président Donald Trump, lors de son second mandat, entraîner toujours plus loin l’Amérique sur le chemin de l’isolationnisme, cet avertissement semble en vérité prémonitoire.

Richard Armitage donne des explications sur un rapport proposant des options politiques au Japon au Centre pour les études stratégiques et internationales, Wahington DC, en avril 2024. (Jiji)
Richard Armitage donne des explications sur un rapport proposant des options politiques au Japon au Centre pour les études stratégiques et internationales, Wahington DC, en avril 2024. (Jiji)

Le temps est venu pour le Japon de se soustraire à sa dépendance aux États-Unis dans le domaine de la sécurité. Le Japon doit être prêt à élaborer ses propres stratégies et à endosser la responsabilité de la sécurité régionale et de la mise en place d’un ordre international libre, ouvert et fondé sur des règles — si nécessaire en assumant certains rôles joués jadis par les États-Unis. Je pense qu’il s’agit d’un devoir que Richard Armitage nous a confié dans le cadre de son dernier testament.

(Photo de titre : Richard Armitage en juillet 2015. AFP/Jiji)

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