L’unité nippo-américaine mise à mal par l’atypique président Donald Trump
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« La lutte professionnelle sans arbitre » conçue par Trump
En juin 2025, le président Donald Trump, de retour à la Maison Blanche au bout de quatre années, a focalisé son attention sur le déficit commercial que son pays enregistrait depuis longtemps avec le Japon et pris des mesures pour imposer des droits de douane élevés en vue mettre un frein aux importations japonaises.
Même si les pourparlers diplomatiques ont pu finalement aboutir, compte tenu de l’imprévisibilité du président Trump, tracer son chemin en avant constitue un véritable défi pour le Japon. (Lire aussi : L’accord douanier entre Washington et Tokyo est-il réellement « suffisant » ?)
Comment le Japon doit-il s’accommoder d’un président difficile qui fait pression sur les autres pays en brandissant la bannière « America First » ? Yoshimi Shun’ya, qui a été professeur invité à l’Université Harvard en 2017 et 2018, pendant le premier mandat de Trump, déclare que nous devons commencer par nous demander quel genre de personne est l’actuel dirigeant de la première puissance mondiale.

Yoshimi Shun’ya (© Yokozeki Kazuhiro)
« Les gens voient souvent le président Trump comme un champion du nationalisme américain, mais son comportement vise plus à le mettre lui-même en avant que l’Amérique. Il exploite les divisions au sein de la société américaine et ailleurs dans le monde, en les attisant dans son propre intérêt. Il se comporte comme s’il participait à un match de lutte professionnelle sans arbitre. Il frappe, et lorsqu’il est frappé en retour, il frappe à nouveau. Il implique les médias et les institutions internationales, en essayant d’obtenir les applaudissements de la foule. L’arène de la lutte peut tirer parti de toutes les situations, et les gens qui se trouvent aux alentours sont aspirés dans le tourbillon de l’action sans se rendre compte de ce qui se passe. Cet aspect des choses est devenu beaucoup plus extrême lors du second mandat de Trump. »
Le « spectre de l’impérialisme » surgit
« Make America Great Again » (Rendez à l’Amérique sa grandeur) est le slogan de Trump depuis son premier mandat. Cela soulève la question de savoir quand l’Amérique a été grande. Peut-être ce slogan fait-il référence aux États-Unis des années 1950 et 1960, mais les déclarations de Trump parlant d’acheter le Groenland au Danemark, de récupérer le canal de Panama et de faire du Canada le cinquante-et-unième état font écho aux ambitions expansionnistes affichées par les États-Unis de la fin du XIXe siècle au début du XXe.
« Bien entendu, il s’agit de l’Amérique des années cinquante et soixante, avant sa défaite dans la guerre du Vietnam. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans son discours inaugural, Trump a rendu hommage au président des États-Unis William McKinley [en fonction de 1897 à 1901], en suggérant que la politique de McKinley en matière de droits de douane lui sert de modèle. McKinley a été à la tête des États-Unis à une époque où ce pays basculait de façon frappante dans l’impérialisme. Après leur victoire de 1898 à l’issue de la guerre hispano-américaine, les États-Unis ont pris le contrôle des Philippines, de Puerto Rico et de Guam. La même année, ils ont soutenu un coup d’état pro-américain à Hawaï et annexé les îles. Au cours de son second mandat, Trump donne l’impression qu’il est en train d’invoquer le spectre du passé impérialiste de l’Amérique. Cela fait penser aux initiatives récentes de la Chine en vue d’exercer des pressions sur l’Asie du Sud-Est sur des questions territoriales ainsi que le comportement de la Russie dans son invasion de l’Ukraine. »
Pourquoi les États-Unis, une fois autoproclamé leur statut de gendarme du monde, ont-ils produit un président qui fait la promotion d’un expansionnisme dépassé ? Pour Yoshimi, la réponse à cette question réside dans le déclin actuel de l’Amérique.
« Historiquement parlant, les États-Unis ont atteint le sommet de la prospérité entre les années 1920 et les années 1960. Après sa défaite à l’issue de la guerre du Vietnam dans les années 1970, l’élan du pays a commencé à faiblir. Amorcée dans les années 1980 sous le gouvernement de Ronald Reagan, la mondialisation a progressé via le néolibéralisme, et on a pu croire à une renaissance des États-Unis. Toutefois, les divisions se renforçaient à l’intérieur du pays. Seuls prospéraient certains secteurs de l’informatique et de la finance, tandis que de nombreux américains laissés pour compte de la mondialisation s’appauvrissaient. Le pays était divisé entre une “légère” Amérique prospère et une “lourde” Amérique sur le déclin. Trump a adroitement tiré parti de ce mécontentement pour gagner les élections. »

(© USA Today Network via Reuters Connect)
Yoshimi pense que le président Trump va non seulement échouer à ranimer les États-Unis, mais peut-être même accélérer leur déclin. La force du pays repose actuellement sur la mondialisation de l’économie, et les mesures telles que l’élévation des droits de douane, qui entravent ces réseaux, constituent bel et bien un acte d’auto-sabotage.
Les sentiments des Japonais oscillent comme un pendule
Ceci étant, comment les Japonais doivent-ils s’accommoder d’une Amérique sous la houlette du président Trump ?
La stabilité actuelle des relations nippo-américaines repose en grande partie sur les sentiments amicaux du peuple japonais à l’égard des États-Unis. Dans un sondage d’opinion sur les affaires étrangères mené en 2024 par le cabinet du Premier ministre, 84,9 % des personnes interrogées ont déclaré éprouver des sentiments « amicaux » ou « plutôt amicaux » à l’égard des États-Unis.
Depuis 1975, année de la première enquête, le chiffre s’est constamment maintenu au-dessus de 70 %, et depuis les années 2010 il a souvent dépassé les 80 %. La seule fois depuis 2010 où il est tombé en-dessous de 80 % est survenue entre 2017 et 2019, pendant le premier mandat de Trump.
Nous devons être attentifs à la façon dont les sentiments des Japonais à l’égard des États-Unis évoluent maintenant que Trump est revenu à la Maison Blanche, déclare Yoshimi.
« Nous ne disposons encore d’aucun grand sondage d’opinion, tels que ceux effectués par la presse, centré sur l’époque qui débute avec le retour de Trump à la Maison Blanche, mais j’estime qu’il est raisonnable de supposer que les sentiments du peuple japonais à l’égard de l’Amérique — nettement positifs aujourd’hui — ont été grandement affectés par ses remarques et ses politiques excessivement sévères à l’encontre du Japon. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le fort sentiment d’unité entre les deux pays s’est affaibli lors des mandats de Trump. Jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement et les politiciens japonais ne pouvaient pas prendre clairement leurs distances vis-à-vis des États-Unis, alors que 70 à 80 % des citoyens japonais affichaient des sentiments pro-américains. Toutefois, si l’opinion publique change de façon spectaculaire, il est possible que la diplomatie nippone, qui a aligné exclusivement la nation sur l’Amérique, prenne un virage important. »
Dans une étude effectuée conjointement par Nippon.com et JX Press, environ 70 % des personnes interrogées avaient le sentiment que les relations bilatérales étaient en train de se détériorer. Un regard en arrière à travers l’histoire montre que les sentiments des Japonais à l’égard des États-Unis oscillent depuis longtemps comme un pendule entre bonnes dispositions et hostilité.
Vers la fin de l’époque d’Edo (1603-1868), à mesure que se renforçait le mouvement visant à rétablir l’empereur sur le trône, le nationalisme anti-occidental s’est répandu, et il en a résulté des attaques contre les étrangers et des cas d’incendie criminels. Après la Restauration de Meiji de 1868, toutefois, le Japon s’est rapidement converti à une attitude pro-occidentale à mesure qu’il s’efforçait de se moderniser. Le nationalisme a connu un nouvel essor pendant les guerres russo-japonaise et sino-japonaise, mais à l’ère Taishô (1912-1926), beaucoup ont embrassé la culture américaine via les films de Hollywood et le jazz.
Entre les années 1930 et la Guerre du Pacifique, un nouveau virage a au lieu, au cours duquel le Japon a adopté une attitude hostile aux Américains, considérés comme des « sauvages ». Mais après sa défaite de 1945, le pays est devenu à nouveau pro-américain, et la culture des États-Unis s’est répandue dans tous les recoins de la vie quotidienne comme un symbole d’opulence.
Une vague d’antimondialisme met à l’épreuve les relations nippo-américaines
Vu sous ce jour, il devient clair que l’ère actuelle de liens étroits entre le Japon et les États-Unis n’est pas nécessairement vouée à durer éternellement.
« Edwin Reischauer, qui a été nommé ambassadeur du Japon aux États-Unis en 1961, pensait qu’il convenait de développer un fort sentiment pro-américain chez les Japonais pour favoriser la stabilité du dispositif de sécurité bilatéral. Il exhortait le président John F. Kennedy à réduire la présence des bases militaires des États-Unis dans l’Archipel et promettait la restitution d’Okinawa en vue d’opérer un rapprochement avec le Japon. Si le président Trump persiste dans ses politiques égoïstes, les Japonais risquent de s’éloigner des États-Unis, et l’on assistera à une montée d’un nationalisme qui se demande pourquoi le Japon doit toujours s’aligner sur l’Amérique. »
Le genre de nationalisme qui s’oppose à la mondialisation est un phénomène mondial, qui ne concerne pas seulement les États-Unis. En Europe, les partis de droite favorables aux politiques d’exclusion sont en train de gagner des sièges. Au Japon, le parti Sanseitô, avec son slogan « Le Japon d’abord », a grandement progressé lors des élections de juillet à la Chambre des conseillers. Pour le moment, il n’y a pas beaucoup de signes suggérant que le nationalisme japonais vire à l’hostilité envers l’Amérique. Mais on ne peut exclure l’éventualité qu’un événement quelconque déclanche un changement majeur dans l’opinion publique.

Un rassemblement de gens à Tokyo pour un discours électoral le 3 juillet 2025, pendant les élections de juillet 2025 à la Chambre haute, au cours desquelles les politiques concernant les étrangers figuraient parmi les sujets de discorde. (Jiji)
L’avenir des relations entre le Japon et les États-Unis devient de plus en plus incertain depuis l’entrée en scène du président Trump. Mais pourquoi les Japonais de l’après-guerre ont-ils éprouvé des sentiments amicaux envers les États-Unis, un ancien ennemi qu’ils avaient jadis combattu si farouchement ? Dans un prochain article, Yoshimi Shin’ya explorera l’arrière-plan historique qui a façonné cette relation.
(Reportage et texte de Koizumi Kôhei et Igarashi Kyôji, de Power News/ Photo de titre : le Premier ministre Ishiba Shigeru et le président Donald Trump lors de leur première rencontre au sommet le 7 février 2025. Jiji)
