Les débuts souriants de Takaichi Sanae, les premiers succès diplomatiques … et après ?
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Un départ sur les chapeaux de roue
Takaichi Sanae est la toute première femme à être devenue Premier ministre de l’Archipel. Cinq jours après sa prise de pouvoir, elle faisait déjà ses débuts sur la scène diplomatique à l’occasion du sommet de l’ASEAN à Kuala Lumpur le 26 octobre. Après avoir été propulsée sur la scène internationale, la nouvelle dirigeante a ensuite accueilli le président américain Donald Trump à Tokyo le lendemain. Sa participation au sommet se déroulant en Malaisie a été un temps débattue. Mais le Japon était attendu à ce sommet annuel et Takaichi a estimé qu’une absence constituerait un aveu de faiblesse face à la Chine et aux membres de l’ASEAN, car on y aurait vu le signe que le Japon s’intéressait moins à la région qu’auparavant. Elle a donc choisi de faire le voyage.
À Kuala Lumpur, la dirigeante japonaise a déclaré que le Japon avait l’intention de poursuivre l’idéal d’une zone Indo-Pacifique libre et ouverte, une politique défendue par Abe Shinzô pendant son mandat (2012-2020). Elle a indiqué vouloir coopérer avec l’ASEAN en ce qui concerne la défense maritime et souhaité défendre les intérêts du Japon dans la zone Indo-Pacifique dans un cadre proposé en 2019 pour promouvoir l’ouverture, l’inclusivité, le respect du droit international, le dialogue, la non-ingérence en politique intérieure ainsi que la coopération maritime. Elle espérait ramener les pays d’Asie du Sud-Est dans le giron des organismes diligentés par le Japon et les pays occidentaux, d’autant plus qu’ils étaient éloignés des États-Unis et pénalisés par les droits de douane arbitraires et punitifs imposés par Donald Trump.
Peut-être en raison de sa médiatisation en tant que première Japonaise nommée au poste de Premier ministre, les dirigeants semblent avoir eu hâte de la rencontrer, les sommets réunissant les principaux pays de l’ASEAN ainsi que l’Australie ont vite rempli son agenda. Les responsables accompagnant Takaichi ont salué sa performance sur la scène internationale, ce « départ sur les chapeaux de roue » lui a permis de montrer combien Japon comptait sur le développement des relations dans la zone asie-pacifique.
Sanae négocie avec Donald
Le 28 octobre, peu après son retour de Malaisie, Takaichi qui recevait Trump à la résidence d’État de Moto-Akasaka à Tokyo, a appelé à un « nouvel âge d’or » des relations nippo-américaines. Elle a pu monter dans l’hélicoptère présidentiel accompagnant Trump à la base navale américaine de Yokosuka, non loin de Yokohama, puis on l’a vue aux côtés du dirigeant de la Maison blanche sur le porte-avions américain USS George Washington, levant le poing et se démenant, elle savait sans doute que les Américains scruteraient sa performance.
Une prestation qui lui a aussi valu des critiques car on lui a reproché de s’être montrée « trop enthousiaste » aux côtés du président états-unien. Mais elle a su se positionner en digne héritière d’Abe Shinzô et renouer les relations avec Trump. « Sanae et Donald » se sont d’emblée appelés par leur prénom, une mise en scène qui lui a aussi permis d’ouvrir la voie au sommet improvisé avec le président chinois Xi Jinping.
Pourtant les relations nippo-américaines peuvent difficilement être qualifiées de « nouvel âge d’or ». Donald Trump a voulu punir la Chine en imposant de forts droits de douane, mais face aux autorités chinoises qui menaçaient d’exercer des représailles sur l’exportation de métaux rares dont les États-Unis ont grandement besoin, les USA ont dû faire machine arrière. Des problèmes importants persistent, le Japon accuse notamment un fort retard sur les États-Unis en matière de défense militaire et économique, notamment car la Chine garde la mainmise sur plus de la moitié du marché mondial de la construction navale.
Il n’est donc pas surprenant que l’une des premières mesures prises par Takaichi à l’égard des USA ait été motivée par un sentiment d’urgence, elle a obtenu un accord de coopération permettant l’extension de l’approvisionnement en terres rares et le renforcement des capacités de construction navale des deux pays.
Dialoguer avec la Chine et la Corée du Sud, malgré la méfiance
Le 30 octobre 2025, quelques jours seulement après sa rencontre avec Trump, Takaichi s’envolait vers Gyeongju en Corée du Sud, pour le forum économique des dirigeants de la Coopération d’Asie-Pacifique (APEC dans l’acronyme anglais). En marge de cet événement, elle a rencontré, tout sourire, le président sud-coréen Lee Jae-myung et a réussi à faire oublier qu’elle incarnait une certaine radicalité contre la Corée. Avec Lee, qui en miroir est souvent considéré comme représentant une ligne dure (du centre gauche) contre le Japon, ils sont parvenus à un accord visant à « établir des relations bilatérales stables et tournées vers l’avenir ». Les deux dirigeants se sont engagés à continuer d’œuvrer ensemble et de favoriser les visites réciproques via une « diplomatie de la navette ».
Le 31 octobre, elle a également rencontré Xi Jinping. Tokyo et Pékin ont indiqué vouloir poursuivre le dialogue afin que les relations stratégiques soient bénéfiques aux deux parties. Takaichi a déclaré : « Je crois fermement aux convictions et au pouvoir de l’action. Je souhaite poursuivre le dialogue, en toute franchise, avec le président Xi afin d’améliorer nos relations bilatérales. » (Ndlr : Les tensions se sont quelque peu envenimées à la mi-novembre après que Takaichi Sanae a déclaré que le Japon pourrait exercer sa légitime défense collective en cas de menace sur Taïwan par la Chine.)
Takaichi Sanae a longtemps été considérée comme l’une des figures les plus bellicistes du PLD notamment au sujet des îles Takeshima (chapelet d’îles contrôlées par la Corée du Sud sous le nom de Dokdo), de la question des « femmes de réconfort » ou du sanctuaire Yasukuni, mais aussi à propos du statut de Taïwan et de la question des droits de l’homme en Chine. Pékin et Séoul qui avaient exprimé de vives inquiétudes à cet égard n’ont guère changé de position, mais comme elle l’a souligné en conférence de presse après s’être entretenue avec Xi Ping au tout début de son mandat, « c’est précisément parce que ces inquiétudes sont ce qu’elles sont que nous devons poursuivre le dialogue ». Elle a souligné son intention de mettre sa diplomatie asiatique sous le signe du bénéfice mutuel.
Les médias américains ont globalement relayé une image positive de Takaichi faisant ses premiers pas sur la scène internationale. Le New York Times a titré son reportage sur le sommet USA-Japon, « Un lien se tisse entre Trump et la dirigeante japonaise » et rapporte qu’elle aurait réussi dans une certaine mesure à obtenir de Trump qu’il promette de s’engager plus dans la zone indo-pacifique et renforce les alliances. D’autres sont même allés jusqu’à qualifier Takaichi de « nouvelle meilleure amie de Trump ».
Takaichi mérite d’être complimentée pour son entrée dans l’arène internationale. Elle s’est abstenue de marteler le discours qu’elle avait l’habitude de tenir et a réussi à se forger une image de diplomate souple, pragmatique et souriante. Le contexte est beaucoup plus tendu qu’il y a 10 ans quand son mentor Abe Shinzô représentait le Japon sur la scène internationale, les relations de coopération avec la Chine, la Russie et la Corée du Nord sont beaucoup plus difficiles, les droits de douane imposés par Trump et la situation sécuritaire mondiale désastreuse pèsent, comme on peut le constater en Ukraine ou au Moyen-Orient, pour ne citer que quelques-unes des crises auxquelles elle va devoir faire face. Pour protéger les intérêts du Japon, elle ne saurait se contenter de faire cavalier seul et rester ferme.
La dissuasion ne saurait plus suffire pour peser face à la Chine, Tokyo doit jouer de la nuance et donc renforcer son alliance bilatérale avec les États-Unis mais aussi être pragmatique à l’égard de la Chine, se concentrer sur le dialogue et des avantages concrets. Le véritable défi de Takaichi Sanae est de trouver les fonds nécessaires pour porter les dépenses de défense japonaises à 2 % du PIB, mais elle devra aussi déployer efficacement les 550 milliards de dollars d’investissements promis par les États-Unis et stabiliser les relations avec la Chine et la Corée du Sud.
(Photo de titre : la Première ministre japonaise Takaichi Sanae et le président américain Donald Trump en meeting sur le porte-avions USS George Washington. Photo prise dans le port de Yokosuka le 28 octobre 2025. Kyôdô)
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