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Nishino Akihiro : un humoriste japonais reconverti en illustrateur expose son talent à la tour Eiffel

Culture Art Manga/BD

Nishino Akihiro est un artiste aux multiples visages qui a réussi à charmer les Français petits et grands. Comédien, figure célèbre de la télévision japonaise réputée pour son humour et son franc-parler, auteur de scénarios, il s’est en outre découvert depuis quelques temps une passion pour le monde de l’illustration. Les 26 et 27 octobre 2019, il a présenté ses « tableaux lumineux » au premier étage de la tour Eiffel, dans le cadre d’une exposition personnelle. Nous l’avons rencontré à cette occasion.

La tour Eiffel est le monument payant le plus visité du monde. Chaque année, elle accueille près de 7 millions de personnes venues de tous les coins de la planète. Mais en octobre 2019, ce symbole de Paris et de la France a aussi exposé des œuvres de Nishino Akihiro, un des humoristes japonais les plus célèbres notamment en tant que membre du duo comique King Kong. Celui-ci s’est en effet lancé depuis peu dans une nouvelle carrière en tant qu’auteur et illustrateur de livres pour enfants.

Des « tableaux lumineux » qui ont ébloui les Français

Dans l’exposition qui lui était consacrée, Nishino Akihiro a présenté quatre-vingt-deux « tableaux lumineux » tirés de deux de ses albums intitulés respectivement Poupelle et la ville sans ciel (en français aux éditions Nobi Nobi, 2018) et « Tic-Tac, la promesse de la tour de l’Horloge » (Tic-Tac, yakusoku no tokeidai). Les façades du Salon Gustave Eiffel étaient couvertes d’illustrations reproduites sur un support acrylique avec la technique de la « giclée », à l’aide d’une imprimante à jet d’encre haute définition grand format. Les images ainsi obtenues étaient rétroéclairées par des diodes électroluminescentes (LED). Un spectacle féérique aussi saisissant que celui de vitraux inondés de lumière !

Des visiteurs en train d’admirer une esquisse de  « Poupelle et la ville sans ciel » (Entotsu no Puperu, éditions  Nobi Nobi, 2018) réalisée avec un stylo très fin dont la pointe mesure à peine 0,03 millimètre.
Des visiteurs en train d’admirer une esquisse de Poupelle et la ville sans ciel (éditions Nobi Nobi, 2018) 

Les parois étaient tapissées d’images rétroéclairées à la manière de vitraux. Le public avait en outre à sa disposition des tablettes tactiles expliquant en détails la façon de travailler du jeune artiste japonais.
Les parois étaient tapissées d’images rétroéclairées à la manière de vitraux. Le public avait en outre à sa disposition des tablettes tactiles expliquant en détails la façon de travailler du jeune artiste japonais.

Avant de montrer ses œuvres à Paris, Nishino Akihiro avait eu droit à plusieurs expositions, notamment à la Tour de Tokyo et au temple bouddhique Mangan-ji de Kawanishi, dans la préfecture de Hyôgo. Mais en France, son travail a touché un public beaucoup plus large. Ses « tableaux lumineux » ont en effet attiré quelque 6 000 visiteurs au premier étage de la tour Eiffel en deux jours, durant le dernier week-end du mois d’octobre 2019.

Pendant l’exposition Nishino Akihiro d’octobre 2019, de nombreux visiteurs ont admiré les illustrations de ce jeune créateur japonais. Ses « tableaux lumineux » étaient alignés sur les façades du Salon Gustave Eiffel, un espace événementiel ultra-moderne situé à 57 mètres de haut, en plein cœur de la tour Eiffel.
Pendant l’exposition Nishino Akihiro d’octobre 2019, de nombreux visiteurs ont admiré les illustrations de ce jeune créateur japonais. Ses « tableaux lumineux » étaient alignés sur les façades du Salon Gustave Eiffel, un espace événementiel ultra-moderne situé à 57 mètres de haut, en plein cœur de la tour Eiffel.

Trouver une nouvelle voie dans sa vie

Nishino Akihiro est né en 1980 à Kawanishi. Il a toujours été attiré par le rire et le monde de l’humour, dès son plus jeune âge. Au début de la vingtaine, il a fait ses premiers pas dans sa région natale du Kansai et il a peu à peu réussi à s’affirmer comme un comique de premier plan. Il s’est ensuite installé à Tokyo où il est devenu une star d’envergure nationale apparaissant régulièrement dans des émissions télévisées à succès.

« Question travail, tout allait très bien », explique-t-il. Mais le jeune homme avait aussi le sentiment récurrent que la réussite pouvait prendre une autre forme. « J’avais toujours imaginé qu’une fois arrivé au sommet, je découvrirais un monde encore plus vaste, mais ça n’était pas vraiment le cas. »

Au bout de quatre années à Tokyo, Nishino Akihiro a voulu passer à autre chose. « J’ai commencé à réaliser qu’à long terme, me contenter de faire des apparitions à la télévision ne serait pas une solution vraiment satisfaisante pour moi. » Le jeune comédien a donc décidé de renoncer à l’une de ses émissions régulières. C’est alors qu’est intervenu Morita Kazuyoshi, alias Tamori, qui a animé pendant 32 ans un programme de télévision à grand succès intitulé Waratte iitomo (littéralement « On peut bien en rire »). Cet humoriste hors pair lui a ni plus ni moins conseillé de s’essayer au dessin.

« Jusque-là, je n’avais encore jamais dessiné ! » s’exclame Nishino Akihiro. « Mais j’ai eu envie de suivre l’avis de Tamori. C’était le moment idéal. Je cherchais à me lancer dans autre chose. Alors je me suis dis ‘allons-y’. »

Audace et idées novatrices : la clef du succès ?

Nishino Akihiro a commencé par apprendre à dessiner tout seul et puis cinq ans plus tard, en 2009, il a publié un premier ouvrage intitulé « Docteur Encre et le cinéma du ciel étoilé » (Dr. Ink no hoshizora kinema). D’après lui, c’est grâce aux livres illustrés pour enfants qu’il a pu concrétiser son désir de communiquer avec le monde, au-delà du Japon. Un rêve qu’il aurait eu du mal à réaliser avec son métier de comédien. « L’humour est tellement lié à la langue. J’avais besoin de quelque chose qui m’amène plus loin et me permette de créer une forme de spectacle ouverte sur le monde. »

Nishino Akihiro ne craint pas de tenter des approches innovantes et d’explorer de nouvelles possibilités avec ses livres. C’est ainsi que pour Poupelle et la ville sans ciel, son quatrième album, il a décidé que l’auteur ne serait pas responsable de tous les aspects de la production. Il a donc réuni une équipe de nombreux illustrateurs dont chacun avait une tâche bien définie en fonction de ses compétences, qu’il s’agisse de dessiner des bâtiments, des arrière-plans ou des personnages. Et pour couvrir les frais de publication, il a fait appel à une plateforme de financement participatif.

En 2018, les éditions Nobi Nobi ont publié une traduction en français de « Poupelle et la ville sans ciel », le quatrième album de Nishino Akihiro. En décembre 2019, ce livre pour enfants s’était déjà vendu à plus de 420 000 exemplaires dans cinq pays différents. Et il est actuellement en ligne dans 18 langues autres que le japonais sur le site Internet poupelle-multilingual.com.
En 2018, les éditions Nobi Nobi ont publié une traduction en français du quatrième album de Nishino Akihiro sous le titre Poupelle et la ville sans ciel, . En décembre 2019, ce livre pour enfants s’était déjà vendu à plus de 420 000 exemplaires dans cinq pays différents. Et il est actuellement en ligne dans 18 langues autres que le japonais sur le site Internet poupelle-multilingual.com.

Le projet de Nishino Akihiro a bénéficié d’emblée du soutien de trois mille personnes. La notoriété de l’humoriste a joué un rôle déterminant dans sa réussite. Dans le monde du show business japonais, on voit souvent des gens appartenant à des domaines différents participer à une œuvre collective. Nishino Akihiro a profité de cet avantage ainsi que de son savoir-faire avec Internet. Il a su aussi trouver un moyen astucieux de financer son projet qui donne à ses sympathisants l’impression d’en faire partie. Du jamais-vu dans le monde de l’édition des livres pour enfants japonais ! Et il a eu recours à la même approche pour ses expositions. Il a en effet recruté des bénévoles dans les forums de fans en ligne et les réseaux sociaux pour se faire seconder dans la gestion de ces manifestations.

Nishino Akihiro reconnaît volontiers que ses ambitions vont beaucoup plus loin que celles des livres illustrés ordinaires. « Quand j’ai décidé de dessiner Poupelle et la ville sans ciel, j’ai tout de suite envisagé de lui donner une autre envergure qu’un simple album. Je voulais que cette œuvre fasse l’objet d’expositions non seulement au Japon mais aussi dans le reste du monde et qu’elle soit traduite dans d’autres langues. »

C’est ainsi que l’album a été mis gratuitement en ligne pendant une période de temps limitée. Mais cette initiative a valu à son auteur de vives critiques de la part d’autres créateurs.  Pour eux, si « le libre accès en ligne devenait la norme, ils n’auraient plus de moyens de subsister ».

« Ça a fait des vagues, comme prévu », dit Nishino Akihiro avec un sourire ironique, « mais tous ceux qui ont participé au projet étaient d’accord pour reconnaître que c’était une idée intéressante. Par ailleurs, quand les parents achètent des livres illustrés pour leurs enfants, en général, ils en connaissent déjà le contenu. Rien à voir avec des romans ou des films dont on ne veut surtout pas dévoiler la fin à l’avance. Pour moi, il n’y a aucune raison de faire des cachotteries avec les livres illustrés. »

Nishino Akihiro en train de dédicacer un album sous les yeux d’une admiratrice éblouie, à l’occasion de l’exposition qui s’est tenue à la fin du mois d’octobre 2019 dans le Salon Gustave Eiffel de la tour Eiffel.
Nishino Akihiro en train de dédicacer un album sous les yeux d’une admiratrice éblouie, à l’occasion de son exposition.

Poupelle et la ville sans ciel a eu un succès remarquable pour un livre illustré. En décembre 2019, l’album s’était déjà vendu à 420 000 exemplaires au Japon. Mais Nishino Akihiro loin de se reposer sur ses lauriers voit encore plus loin.

« Dès le début, j’avais l’intention de faire un film avec Poupelle et la ville sans ciel et c’est d’ailleurs ce qui va se passer l’année prochaine. L’album ne raconte qu’une partie de l’histoire, trois ou quatre chapitres tout au plus sur les dix qu’elle comporte au total. En fait, le personnage principal n’y figure même pas. Comme je savais qu’il serait difficile de réaliser un film tout de suite, j’ai pris une partie du scénario et j’en ai fait un livre illustré pour donner aux gens un avant-goût de son contenu et l’envie d’en savoir davantage. Pour moi, l’album est une sorte de brochure publicitaire haut de gamme sur le film. »

(A droite) Les façades du Salon Gustave Eiffel étaient tapissées d’illustrations tirées d’albums de Nishino Akihiro, reproduites sur un support acrylique à l’aide d’une imprimante à jet d’encre haute définition grand format et rétroéclairées par des diodes électroluminescentes (LED). Ces « tableaux lumineux » étaient d’une netteté stupéfiante par rapport aux livres (à gauche) et ils mettaient notamment en valeur l’étonnante précision du travail graphique de l’artiste, y compris dans les détails ultra minutieux de l'arrière-plan.
(A droite) Les façades du Salon Gustave Eiffel étaient tapissées d’illustrations tirées d’albums de Nishino Akihiro, reproduites sur un support acrylique à l’aide d’une imprimante à jet d’encre haute définition grand format et rétroéclairées par des diodes électroluminescentes (LED). Ces « tableaux lumineux » étaient d’une netteté stupéfiante par rapport aux livres (à gauche) et ils mettaient notamment en valeur l’étonnante précision du travail graphique de l’artiste, y compris dans les détails ultra minutieux de l’arrière-plan.

Tirer l’inspiration de sa ville natale

L’exposition du Salon Gustave Eiffel consacrée à Nishino Akihiro associait un travail artistique haut en couleurs à des technologies de pointe telles que la réalité augmentée (AR), qui permet d’intégrer des éléments virtuels en 2D ou en 3D dans un environnement réel, et la réalité virtuelle (VR), c’est-à-dire simulée par ordinateur. L’artiste japonais explique que dans le projet initial, il n’était pas question d’avoir recours à l’AR et à la VR.

« Quand on a une bonne histoire, on peut être tenté d’utiliser des technologies de pointe pour la rendre encore plus spectaculaire. Mais pour moi, ce qui compte avant tout c’est de concevoir un univers original susceptible de toucher les lecteurs. Mon travail consiste à créer une ville dans laquelle les gens ont envie d’entrer. »

Le dernier album de Nishino Akihiro intitulé « Tic-Tac, la promesse de la tour de l’Horloge » est sorti en avril 2019. C’est l’histoire d’une mystérieuse horloge perdue dans une forêt qui s’arrête toujours une minute avant minuit, bien qu’elle soit en état de marche. Cet ouvrage superbement illustré donne une idée de ce que nous prépare l’artiste pour les années à venir.

« Tic-Tac, la promesse de la tour de l’Horloge » met en scène des édifices et des paysages de Kawanishi, la ville natale de Nishino Akihiro, y compris sa forêt, ses ponts et son sanctuaire. L’artiste a réussi à intégrer les héros de son histoire dans ce cadre réel, grâce à l’AR. Il envisage de pousser encore un peu plus loin ce mélange de réalité et de fiction en créant un parc à thèmes à Kawanishi. Il a déjà acheté du terrain sur place pour mener à bien son projet. Mais il s’empresse de préciser qu’il y a encore beaucoup à faire avant que son rêve ne voie le jour.

Nishino Akihiro explique comment l’idée de « créer une ville » lui est venue à l’esprit. « Quand on prend de l’âge, on commence à éprouver une sorte d’amour pour son pays natal. C’est comme ça que j’en suis venu à envisager la ville où je suis né comme le cadre de mon histoire. J’ai l’intention de continuer à travailler dans le domaine du spectacle. Avec une forme de spectacle typiquement japonaise qui s’adresse au monde entier. C’est en tout cas le pari que j’ai fait. »

Un jeune visiteur de l’exposition Nishino Akihiro, les yeux rivés vers le haut.  Les « tableaux lumineux » étaient disposés à dessein de façon à être regardés de bas en haut et à orienter naturellement les visages vers le ciel.
Un jeune visiteur de l’exposition Nishino Akihiro, les yeux rivés vers le haut. Les « tableaux lumineux » étaient disposés à dessein de façon à être regardés de bas en haut et à orienter naturellement les visages vers le ciel.

Regarder toujours vers le haut, en direction de ses rêves

Poupelle et la ville sans ciel se déroule dans une ville hérissée de cheminées géantes et entourée de falaises infranchissables où personne ne lève jamais les yeux vers le ciel obscurci par un rideau de fumée. Les deux héros sont les seuls à rêver d’aller voir au-delà. Poupelle, une créature anthropomorphe née d’un amas de déchets, se prend d’affection pour un petit ramoneur Lubicci doté d’un haut de forme, d’un nœud papillon et de bretelles. Mais leur amitié et leur audace provoquent des réactions de colère et de mépris dans leur entourage. Pour Nishino Akihiro, leur histoire est à bien des égards le reflet de la société actuelle. « Ceux qui parlent de leurs rêves se font rire au nez et quand ils essaient de les réaliser, on s’en prend à eux. Mais en vérité, on ne peut rien faire tant qu’on ne lève pas les yeux vers le ciel. Il faut regarder vers le haut. »

Dans le Salon Gustave Eiffel, les « tableaux lumineux » étaient justement disposés de façon à ce que l’histoire se lise de bas en haut et que le visage des visiteurs soit naturellement tourné vers le ciel.

Loin de se préoccuper des critiques que lui vaut parfois son travail, Nishino s’applique à faire passer le même message avec ses illustrations que par son humour, un message plein de confiance, de délicatesse et de curiosité, tout comme lui.

Interview réalisée par Hino Kyôko
Photos : Sawada Hiroyuki

(Photo du titre : Nishino Akihiro en octobre 2019, lors de son exposition dans le Salon Gustave Eiffel, au premier étage de la tour Eiffel)

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