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La glace au thé vert matcha la plus parfumée au monde

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Il existe au Japon un marchand de glaces au thé vert matcha pas comme les autres : il se vante de proposer la crème glacée « la plus parfumée au monde ». Nous avons rencontré son créateur, qui nous a parlé plus en profondeur de l’évolution des goûts et des modes de vie des consommateurs.

Repousser encore et encore les limites du thé vert 

À Fujieda, dans la préfecture de Shizuoka, un établissement se targue de proposer la meilleure glace au thé vert matcha au monde : c'est le café et pâtisserie Nanaya. Ouvert en 2010, cet établissement est une idée de Suzuki Shigehiko, président sur la huitième génération de l’entreprise productrice de thé Marushichi Seicha, qui jouit d’une histoire vieille depuis 1907. À peine passé le noren (ou rideau) portant le chiffre sept, l’odeur du thé vous chatouille déjà les narines...

« Qui dit matcha, dit le thé Uji de Kyoto. Le matcha de Fujieda n’a rien à lui envier en termes de qualité, mais il n’est pas aussi connu, explique Suzuki Shigehiko. Même les habitants de la ville n’en avaient jamais entendu parler ! Il nous fallait donc tout d’abord leur en faire connaître la saveur. Après avoir tenté différentes choses, nous avons fini par faire des… glaces ! »

Suzuki Shigehiko, patron de l'entreprise productrice de thé vert Marushichi Seicha, parle avec passion des atouts de sa boutique Nanaya.
Suzuki Shigehiko, patron de l'entreprise productrice de thé vert Marushichi Seicha, parle avec passion les atouts de sa boutique Nanaya.

Il a tout d’abord mis au point une recette de crème glacée et de chocolat. Cela se mariait bien ensemble, et pour leur donner un petit plus, il a concentré ses efforts pour parvenir à la saveur « la plus parfumée au monde ». Cette idée, Suzuki Shigehiko la doit à son expérience dans le monde de la publicité alors qu’il était étudiant à l’université. Il sait qu’il avait besoin de créer une marque forte pour commercialiser son produit.

Sept, le chiffre porte-bonheur

Pourquoi le chiffre 7 sur le rideau de la boutique et dans le nom du café ?

Chez Nanaya, les glaces au thé vert se déclinent en sept saveurs ; la saveur 1 étant celle au goût le plus léger et la numéro 7 celle au goût le plus prononcé. En comparaison, dans le commerce, les glace au thé vert équivalent au niveau 1 ou 2. Un expert de la poudre verte a testé le numéro 5, et il est catégorique. Pour lui, « il est impossible d’aller au-delà. Les machines pour produire le thé vert ne suivraient pas ». Mais Suzuki Shigehiko a franchi cette limite et a pu créer deux autres variantes, les numéros 6 et 7, la gamme premium de la boutique Nanaya. Le chiffre sept était si important pour lui qu’il fait même partie du nom de la société : « nana » (de Nanaya) signifie « sept » en japonais. Par ailleurs, dans le monde de la publicité, le chiffre sept exprimerait la diversité, et susciterait un sentiment d’excitation chez le consommateur au moment du choix...

Les glaces servies à Nanaya sont des glaces gelato. Elles contiennent donc moins de matières grasses que les crèmes glacées. Elles sont par ailleurs plus propices à la diffusion de l’arôme du matcha. Utiliser du thé vert de qualité moyenne en grande quantité ne fera que rendre la glace amère, et il sera même impossible de la manger ! Mais, le numéro 7 de Nanaya, bien que très parfumé, laisse une saveur douce et onctueuse sur la langue, … et même un peu sucrée ! C'est LE produit phare de Nanaya !

Nanaya propose vingt variétés de glaces : sept de matcha, mais également des glaces au thé grillé (hôjicha) ; de thé noir japonais (wakôcha) et bien d’autres encore.
Nanaya propose 20 variétés de glaces : 7 de matcha, mais également des glaces au thé grillé (hôjicha), au thé noir japonais (wa-kôcha) et bien d’autres encore...

Le secret de ce parfum intense

Autrefois, la ville de Fujieda s’était enrichi grâce à la fabrication de thé de qualité supérieure appelé gyokuro. Mais la faible rentabilité de la production, l’évolution des goûts des consommateurs et le nombre important d’agriculteurs qui ont abandonné leurs terres ont mené à un déclin progressif de sa prospérité. Il y a 30 ans, désespérés, les producteurs de thé gyokuro ont demandé de l’aide au père de Suzuki Shigehiko, Suzuki Masami. Ce dernier leur a recommandé le matcha, essentiellement composé de tencha, dont la culture ressemble fortement à celle du thé supérieur gyokuro. C’est donc ainsi que Marushichi Seicha connut ses premiers succès et que les premiers champs de tencha furent plantés dans la préfecture de Shizuoka. Mais la qualité n'a pas été immédiatement au rendez-vous. Il a fallu passer par des années de dur labeur et d’endettement avant de parvenir à un thé de qualité.

Si le tencha, ingrédient principal du matcha, est cultivé à partir du théier (Camellia sinensis) tout comme le sencha, son mode de culture est toutefois totalement différent. Pendant plus de 20 jours, la culture du tencha doit se faire couverte, afin d’éviter que la plante ne soit exposée à la lumière du soleil. De cette façon, la teneur en chlorophylle de la plante augmente, la couleur verte est plus intense, donnant une plante plus riche en acides aminés. Après la récolte, les feuilles sont étuvées sur de la vapeur d’eau afin d’éviter leur oxydation puis séchées dans un four. La poudre obtenue après un processus de broyage au moyen de meules de pierre porte le nom de matcha.

Champ de thé tencha cultivés par Fujieda. Les champs apparaissant en noir sont recouverts de bâches pour éviter une exposition des feuilles à la lumière du soleil (photo avec l'aimable autorisation de Marushichi Seicha).
Champ de thé tencha cultivés à Fujieda. Les champs apparaissant en noir sont recouverts de bâches pour éviter une exposition des feuilles à la lumière du soleil. (Photo avec l'aimable autorisation de Marushichi Seicha)

Les généraux de guerre de l’époque Sengoku (1467-1568) auraient eu pour coutume de boire du thé avant de partir pour le champ de bataille. Le matcha contient de la caféine, un stimulant qui permet de rester éveillé, et de la théanine, un acide aminé aux propriétés relaxantes. « S’ils ont pu maîtriser leur peur de la mort en allant au combat, c’est peut-être par parce qu’ils buvaient du thé vert matcha ! » explique Suzuki Shigehiko.

Le chocolat au thé vert le plus parfumé au monde

Pour Marushichi Seicha, cap sur le monde. Au concours de la région Asie-Pacifique des International Chocolate Awards, en octobre 2018, les tablettes de chocolat au thé hôjicha et au matcha ont respectivement remporté les deuxième et troisième prix. Au début du mois de novembre de la même année, au Salon du Chocolat à Paris, le plus grand salon du chocolat au monde, Nanaya a présenté une toute nouvelle sélection de chocolats sans produits laitiers (composés uniquement de beurre de cacao, de sucre et de thé). Chaque boîte contenait 16 barres (72 grammes chacune) de chocolat au thé hôjicha et les sept variétés de matcha de Marushichi Seicha. L’assortiment de chocolats a eu un franc succès auprès des visiteurs.

NANAYA MATCHA 7, le produit tel que présenté au Salon du Chocolat à Paris (20 euros)
NANAYA MATCHA 7, le produit présenté au Salon du Chocolat à Paris en 2018 (20 euros)

Comment faire survivre la production

À l’étranger, le matcha connaît un boom sans précédent. On le voit se décliner sous différentes formes, entre crèmes glacées, matcha latte, gâteaux au matcha… Comme l’avait anticipé Suzuki Shigehiko, « la saveur la plus parfumée au monde » fait parler d’elle, si bien que la télévision et les magazines s’y intéressent régulièrement. Des boutiques se sont même ouvertes à Tokyo et à Kyoto, où de longues files de clients curieux se déploient jour après jour.

Mais ce succès est pour autant loin de satisfaire Suzuki Shigehiko. La production nationale de thé est en pleine transformation, et ce n’est que le début. Elle a augmenté de façon spectaculaire à partir de 1965, pour atteindre un pic en 1975. Puis elle n’a cessé de diminuer depuis. De nombreux producteurs de thé prennent leur retraite, et la relève peine à être assurée.

Le boom du thé vert matcha a également profité aux producteurs étrangers qui proposent des produits bon marché. Pour certains, le matcha commercialisé n’en a que le nom : on retrouve même sur les étalages du sencha en poudre vendu sous le nom de matcha... « Il est alors primordial d’informer les consommateurs de la bonne qualité des produits japonais », déplore Suzuki Shigehiko.

Les feuilles de thé sont étuvées sur de la vapeur d’eau, puis torréfiées mais sans être broyées. Ce n’est qu’après cette étape que les feuilles sont écrasées à l’aide d’une meule de pierre. Photo avec l'aimable autorisation de Marushichi Seicha.
Les feuilles de thé sont étuvées sur de la vapeur d’eau, puis torréfiées mais sans être broyées. Ce n’est qu’après cette étape que les feuilles sont écrasées à l’aide d’une meule de pierre. (Photo avec l'aimable autorisation de Marushichi Seicha)

« Les styles de vie et les goûts changent. Je pense qu’il faut mettre au point des techniques reposant sur des recherches et résultats scientifiques solides pour continuer d’innover et de découvrir des saveurs et une qualité qui seront plébiscitées par nos clients. Sans cela, nous ne survivrons pas. Vendre notre thé ne suffit pas. Il faut optimiser la demande et chercher les moyens de proposer des produits à valeur ajoutée. Il faut repenser l’industrie du thé dans son ensemble. »

Après la récolte, Suzuki Shigehiko prélève dans chacun de ses centres de production plus de cent échantillons de feuilles de thé et les inspecte minutieusement chaque matin.
Après la récolte, Suzuki Shigehiko prélève dans chacun de ses centres de production plus de cent échantillons de feuilles de thé et les inspecte minutieusement chaque matin.

L’avenir du thé vert

« Maintenant, lorsqu’un client se rend dans une entreprise, on ne lui sert plus que très rarement du thé avec une théière. La plupart, du temps ce n’est plus qu’une simple bouteille en plastique de thé vert. C’est justement pour cela que, comme pour le café, il est important de former des professionnels au service de thé préparé dans une théière », explique Suzuki Shigehiko.

« Aujourd’hui, Internet tient une place extrêmement importante dans la société, ce qui permet à de petites et moyennes entreprises même en zone rurale de se faire connaître dans le monde entier. Je réfléchis donc chaque jour à de nouveaux moyens de vanter les charmes de cette région qui m’a vu naître et grandir », nous confie-t-il.

Pour fabriquer la fameuse glace au matcha et le chocolat de Fujieda, il faut de la qualité, des connaissances, de la technique, une bonne stratégie de communication et l’envie de d’enrichir au possible sa région natale.

Suzuki Shigehiko pose fièrement devant le rideau à l’entrée de sa boutique Nanaya. « Depuis 1907 » peut-on y lire.
Suzuki Shigehiko pose fièrement devant le rideau à l’entrée de sa boutique Nanaya. Le grand idéogramme au milieu signifie « 7 » et en haut à droite on peut lire « Depuis 1907 ».

Informations

Boutique Nanaya

  • Adresse : 141-1 Uchiseto, Fujieda-shi, Shizuoka 426-0076
  • Horaires : 10 h à 18 h
  • Fermé le mercredi, sauf si jour férié
  • Site web:http://nanaya-matcha.com/

(Article écrit à l’origine en japonais. Reportage et texte de Doi Emi, de Nippon.com. Photos :  Kawamoto Seiya, sauf mention contraire.)

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