Murasaki Shikibu, l’auteure inconnue de la plus grande œuvre littéraire japonaise

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Il y a près d’un millier d’années naissait la plus célèbre œuvre littéraire japonaise, Le Dit du Genji (Genji Monogatari). Si ce classique est mondialement connu, son auteure en revanche l’est beaucoup moins. Il s’agit de la dame de cour Murasaki Shikibu, qui compilait ses observations sur l’aristocratie japonaise à travers ses différents écrits.

Bien qu’étant l’une des plus célèbres écrivains au Japon, le vrai nom de Murasaki Shikibu nous est toujours inconnu. Le Dit du Genji (Genji Monogatari), son écrit phare datant du début du XIsiècle, est pourtant devenu un monument de la littérature, et l’on dit même que ce serait le premier roman écrit au monde. (Voir notre article sur Le Dit du Genji)

L’auteure est également connue pour son journal intime, qui porte son nom, Murasaki Shikibu nikki, et qui en plus d’être un ouvrage d’une qualité littéraire remarquable nous renseigne sur sa vie. 

Son pseudonyme, Murasaki, est vraisemblablement un assemblage du personnage du même nom apparaissant dans Le Dit du Genji, et du nom du poste que son père occupait au ministère des cérémonies (Shikibu-shô), utilisé à partir la fin de la période de Heian (794 -1185). Mais à l’instar d’un grand nombre de ses contemporaines, à l’âge d’or des poétesses et femmes écrivains, son vrai nom reste encore à l’heure actuelle un mystère.

La naissance d’une écrivain

Fujiwara Tametoki, le père de Murasaki, appartient à la famille des Fujiwara, un clan de régents particulièrement omnipotent dans la société japonaise à la fin du Xe siècle. Si les Fujiwara constituent un clan majeur, Murasaki Shikibu, elle, est née dans une de leurs branches mineures, et fait donc partie des rangs moyens de l'aristocratie. 

Murasaki Shikibu naît vers l’an 973. Sa mère n’étant mentionnée dans aucune de ses œuvres, l’on suppose que cette dernière est décédée alors que sa fille est encore très jeune. Son père Tametoki est un grand érudit des classiques chinois.

Murasaki Shikibu a la faculté d’apprendre vite et le monde entier allait connaître son talent grâce au Dit du Genji. À l’époque Heian (794-1185), la société n’approuve guère les femmes qui étudient les classiques. Son père regrettera toute sa vie qu’avec tout ce talent, Murasaki Shikibu n’ait pas été un garçon...

En 996, alors âgée d’une vingtaine d’années, Murasaki Shikibu se rend avec son père dans le domaine d'Echizen (aujourd'hui la préfecture de Fukui), ce dernier y étant nommé gouverneur. Elle n’est toujours pas mariée, chose plutôt inhabituelle pour son âge à cette époque. Lorsqu’elle séjourne à Kyoto, elle a un prétendant du nom de Fujiwara no Nobutaka, un autre membre du même clan, veuf et de 20 ans son aîné. Peut-être le froid et la solitude de l'hiver sur la côte ouest enneigée du Japon jouent-ils dans sa décision, mais au bout de deux ans, les lettres de Fujiwara no Nobutaka finissent par gagner le cœur de la jeune femme, au point de la faire revenir dans la capitale pour qu’il la prenne comme épouse.

De leur union naîtra une fille. Cependant, leur mariage ne sera que de courte durée puisque Fujiwara no Nobutaka meurt quelques années plus tard. Dans les poèmes qu’elle écrit à cette époque, Murasaki Shikibu exprime son chagrin et ses inquiétudes pour l’avenir en raison de sa situation de veuve et de mère solitaire. Murasaki Shikibu se consacrera alors à l’écriture, peut-être comme un moyen de faire face à la situation. Puis, en raison de sa renommée dû sans doute à la publication des premiers tomes du Dit du Genji, elle se voit accorder une place à la cour impériale.

Rivalités entre cours impériales

À cette époque, pour conserver à tout prix le pouvoir, la politique matrimoniale des aristocrates consistait à marier leurs filles avec l'empereur en fonction. Ils se plaçaient ainsi dans la position influente de grand-père de l’enfant, et donc prochain empereur, qui résulterait de cette union. C’est comme cela que les Fujiwara ont pu contrôler le pays pendant de longues années, souvent en tant que régent d’un souverain enfant. En 990, Fujiwara no Michitaka fait en sorte que sa fille Teishi épouse l’empereur Ichijô et devienne impératrice consort.

Cependant, à la mort de Fujiwara no Michitaka, la roue se met à tourner puisque c’est son frère Fujiwara no Michinaga, qui obtient l’opportunité de s’élever dans la société. Sa fille Shôshi s’unit elle aussi l'empereur Ichijô en l’an 1000. Si à cette époque, il est commun pour un empereur d’avoir plusieurs épouses, il est pour le moins inhabituel  d’insister tant pour que sa fille obtienne un statut hiérarchique égal à la première impératrice. C’est pourtant ce que fait Fujiwara no Michinaga, provoquant alors un sentiment de rivalité entre Teishi et Shôshi. Cette situation parvient même jusqu’à Murasaki Shikibu, qui se fait inviter en tant que dame de compagnie pour stimuler les réalisations de la cour de Shôshi.

Murasaki Shikibu écrit justement le journal qui porte son nom alors qu’elle est dame de compagnie de l’impératrice Shôshi. Elle y décrit les vêtements de la cour, les conversations et les rituels tels que ceux entourant la naissance du premier fils de Shôshi. Il y a aussi un épisode où l'aristocrate Fujiwara no Kintô parle d'elle en l’appelant « jeune Murasaki », après avoir lu un passage du Dit du Genji. Ceci est donc une indication que l’œuvre a été écrite à cette époque. De plus, le personnage de Dame Murasaki du livre est à l’origine du surnom donnée à l'auteure.

L’écrivain Sei Shônagon, contemporaine littéraire de Murasaki Shikibu, faisait quant à elle partie de l’entourage de l’impératrice Teishi. À l’instar de Murasaki Shikibu, son vrai nom est inconnu. Auteure du classique Notes de chevet (Makura no sôshi), elle était réputée pour sa vivacité d’esprit. Pour autant, loin d’être impressionnée, Murasaki Shikibu la décrivait dans son journal intime comme orgueilleuse et superficielle.

Dans la lutte entre les deux impératrices Teishi et Shôshi, ce sont les manœuvres politiques de Fujiwara no Michinaga qui finissent par l’emporter, permettant aux deux fils de Shôshi de devenir empereurs. De nombreuses zones d’ombre subsistent cependant sur le destin de Murasaki Shikibu. Elle serait morte à 40 ans à peine, vers 1014. Malgré le peu d’informations disponibles sur elle, son Dit du Genji reste un monument de la littérature nippone à jamais gravé dans la mémoire des Japonais. Sa renommée est telle que le personnage figure sur le billet de 2000 yens.

Le billet de 2000 yens (© Pixta)
Le billet de 2000 yens (Pixta)

Listes des femmes écrivains les plus représentatives de la période Heian et leurs principales œuvres

La mère de Fujiwara no Michitsuna Kagerô nikki (« Journal d’une éphémère »)
Sei Shônagon Les Notes de chevet (Makura no sôshi)
Izumi Shikibu Renommée pour ses poèmes waka
Murasaki Shikibu Le Dit du Genji (Genji monogatari)
La fille de Sugawara no Takasue Le Journal de Sarashina (Sarashina nikki)

(Photo de titre : une statue de Murasaki Shikibu sur le pont Uji-bashi, décor des 10 derniers chapitres de sa pièce maîtresse, Le Dit du Genji. Pixta)

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