Le bouddhisme au Japon

Une explosion de la foi : la diversité du bouddhisme de l’époque de Kamakura

Histoire Culture

De la fin du XIIe au début du XIVe siècle, le bouddhisme au Japon a connu des changements majeurs, engendrant de nouveaux courants dont les approches étaient inspirées par les enseignements de l’école Tendai. La religion s’est alors étendue et a commencé à englober les méditations rigoureuses du zen, tout en s’ouvrant aux masses dans un pays qui a progressivement pris goût à toutes ses différentes variétés.

Comment l’école Tendai a donné naissance à de nouveaux courants

Les XIIe et XIIIe siècles étaient des périodes de transition pour le Japon, marquant la fin de l’âge courtois et la montée au pouvoir de la caste des samouraïs et de la nouvelle classe dirigeante. Cette période a également été marquée par une diversification rapide du bouddhisme japonais. Précédemment, les deux grandes écoles ésotériques Tendai et Shingon avaient lutté entre elles pour gagner en influence et obtenir les faveurs des puissants aristocrates de la cour. Durant l’époque de Kamakura (1185-1333), de nouveaux groupes bouddhistes ont émergé, chacun insistant sur les pouvoirs salvateurs de leur approche et sur l’importance de leurs livres sacrés. Une longue période de conflit s’en est suivie, pendant laquelle ces différents groupes ont continué leurs conflits pour le pouvoir et l’influence.

Une grande partie de cette diversité d’écoles religieuses prenait sa source dans l’école Tendai. Les enseignements Tendai étant un amalgame flexible de toutes sortes de pensées bouddhiques diverses qui avaient émergées au cours de nombreux siècles en Inde et en Chine, l’école a fourni un terreau fertile pour de nouvelles excroissances religieuses, alors que les fidèles étaient à la recherche de nouvelles interprétations des idées bouddhiques. Certains moines qui avaient été formés par l’école Tendai en étaient sortis insatisfaits, à cause de la complexité aberrante de ses enseignements et des sophismes engendrés par la volonté de cette école de réunir toutes les différentes variétés du bouddhisme en son sein. À la recherche d’une interprétation du monde plus convaincante et plus cohérente, les religieux se sont chacun regroupés autour d’une des diverses philosophies intégrées dans les enseignements Tendai, chaque communauté déclarant que sa branche était la vraie version de la foi. Ce phénomène s’est ensuite reproduit à de nombreuses reprises pendant cette période tumultueuse et changeante, donnant ainsi naissance à toutes sortes de nouveaux courants qui ont rivalisé énergiquement pour attirer des disciples.

Durant cette nouvelle époque, la quête du salut à travers un pouvoir transcendant n’était plus réservée au monde étroit de la noblesse de cour. Elle était désormais ouverte à l’ensemble de la société japonaise. Le bouddhisme est pour la première fois devenu une religion ayant une véritable signification pour le peuple japonais.

Ces nouveaux groupes ayant émergé de l’école Tendai ont adopté des doctrines qui ont gagné en popularité non seulement auprès de la noblesse, mais aussi de personnes issues de tous les milieux sociaux : samouraïs, marchands, agriculteurs… Au même moment, les deux principales écoles du bouddhisme ésotérique qui étaient auparavant proches de la cour impériale ont répondu à ce mouvement en s’adressant pour la première fois aux masses, et en promettant le salut pour les gens ordinaires. C’est pendant les XIIe et XIIIe siècles que le bouddhisme japonais a pour la première fois pris conscience du rôle important que la religion pouvait jouer pour soulager la souffrance des êtres humains.

Le bouddhisme de la Terre pure et le sutra du lotus

Les nouveaux groupes ayant émergé à cette époque prêchaient principalement deux méthodes pour obtenir le salut. La première part du principe qu’il existe un autre monde, séparé du nôtre, qui est habité et gouverné par le tout-puissant Bouddha, et qu’en priant auprès de lui, les gens pourraient renaître au sein de ce paradis après leur mort. Cette doctrine enseigne que nous pouvons échapper à ce monde de souffrance en entrant dans un monde meilleur. Exemple classique de ce type de pensée : les philosophies de la Terre pure, fondées par des prêtres tels que Hônen (1133-1212) et Shinran (1173-1262).

L’autre méthode de salut principale soutenait l’existence d’un Bouddha invisible, présent tout autour de nous dans le monde que nous connaissons. En récitant certains sutras et en accomplissant certains rituels, nous pouvons exploiter les pouvoirs de ce Bouddha pour transformer notre univers en un lieu plus agréable et paisible. L’enseignement fondamental de cette doctrine : nous pouvons changer notre réalité grâce au pouvoir de la foi. L’école la plus connue issue de ce courant de pensée est celle du sutra du lotus, fondée par Nichiren (1222-1282).

Du point de vue des deux principales écoles du bouddhisme ésotérique, l’arrivée de ces groupes prêchant des versions raffinées de certains aspects des doctrines était fortement indésirable. Les nouveaux venus menaçaient les intérêts des écoles établies. Une forte hostilité a émergé lorsque ces groupes ont étendu leur influence, conduisant à des conflits armés et à une oppression politique dans tout le pays. Il s’est cependant avéré impossible d’endiguer la popularité en plein essor de ces voix montantes qui s’adressaient directement aux aspirations des gens ordinaires. Inexorablement, leur influence et leur pouvoir se sont accrus.

Ainsi, le bouddhisme japonais s’est-il développé selon une structure tripartite : il y avait l’école Shingon, qui prônait des doctrines ésotériques pures, l’école Tendai, qui enseignait une combinaison de philosophies unies dans une atmosphère ésotérique, et les nouveaux groupes religieux qui se concentraient chacun sur un aspect des philosophies disparates embrassées par l’école Tendai. Finalement, après une période de conflit, une sorte de compartimentalisation s’est produite, chaque école occupant sa propre place dans l’environnement religieux. Comme le montre ce processus de diversification, les fondements d’une grande partie du bouddhisme japonais moderne reposent sur la vision du monde établie par la forme ésotérique de cette religion.

L’intellectualisme austère du zen

Au début de l’époque de Kamakura, le bouddhisme zen a été ajouté à ce mélange. C’était une nouvelle version du bouddhisme qui avait commencé à se populariser durant le Ve et le VIe siècle sous la direction de son fondateur, le légendaire Bodhidharma, qui aurait apporté ces enseignements en Chine durant cette période. À l’origine, le bouddhisme tel qu’enseigné par Shakyamuni (le bouddha historique) en Inde était une école qui cherchait à amener ses fidèles à se transcender par la méditation et d’autres pratiques spirituelles. Dans les premières années de ce système éducatif, un « curriculum » détaillait les différents rituels à effectuer. Le Bouddha avait clairement énoncé les procédés par lesquels chacun pouvait parcourir le chemin vers l’illumination afin d’être libéré de sa souffrance. Le zen avait redéfini cette expérience comme quelque chose de mystique et d’indescriptible : elle ne pouvait être comprise qu’une fois atteinte, et il était impossible de la transmettre par le langage. Dans la vie de tous les jours des moines et des autres pratiquants, le bouddhisme zen était donc avant tout dédié à la concentration la plus dévouée. Plus qu’une philosophie ou qu’une vision du monde, cette nouvelle école soulignait l’importance d’une vie d’apprentissage et de méditation.

Ces caractéristiques du zen l’ont rendu populaire parmi les lettrés en Chine, et ses enseignements se sont rapidement répandus à partir du VIIIe siècle. Puis, aux XIIe et XIIIe siècles, ce culte a commencé à arriver au Japon. Aujourd’hui, il existe trois sectes zen au Japon : Rinzai, Sôtô et Ôbaku. Les écoles Rinzai et Sôtô ont été fondées pendant la première période d’expansion de ce courant religieux en provenance de Chine. L’école Ôbaku est apparue plus tard, lorsque Ingen (1592-1673) l’a introduite au Japon au XVIIe siècle.

En raison de l’approche unique du zen, qui valorise une vie de méditation et d’apprentissage, il ne possède pas un ensemble de doctrines fixe. Par exemple, Eisai, fondateur de l’école Rinzai, était un admirateur du bouddhisme ésotérique, tandis que Dôgen, fondateur de l’école Sôtô, a développé sa propre pensée : nous avons tous une nature bouddhique en nous, et nous pouvons nous éveiller à cette nature par l’expérience de la méditation. Bien que les philosophies des trois principales écoles de zen au Japon soient différentes, elles sont unies par une approche ascétique et intellectuelle de la vie centrée sur des pratiques de méditation rigoureuses. De nombreux lettrés de l’époque de Kamakura ont eux aussi adopté ce mode vie, qui a également eu une influence particulière parmi la nouvelle élite du Japon : la classe des guerriers samouraïs. Le zen a agi comme un canal important, aidant à introduire les dernières innovations culturelles de Chine dans le pays. Il a toujours été étroitement lié à l’ikebana, à la cérémonie du thé, au théâtre et à d’autres formes d’art japonais marquées par l’esthétique de la simplicité brute appelée wabi-sabi. Ce côté très épuré est l’une des importantes qualités qui reflètent la philosophie zen, ancrée dans un style de vie quelque peu austère et cérébral d’apprentissage et de méditation.

C’est ainsi que quatre des principales variétés du bouddhisme ont pris racine au Japon pendant la période de Kamakura. En plus des écoles ésotériques déjà présentes depuis l’époque de Heian (794-1185), il existait désormais deux écoles prônant le salut par Bouddha, avec les écoles de la Terre pure et du sutra du lotus, et le bouddhisme zen, qui préconisait une vie austère dédiée à l’illumination par la méditation. Les fondements du bouddhisme japonais, posés durant l’époque de Kamakura, ont tenu plus de 800 ans jusqu’à aujourd’hui.

Le bouddhisme japonais de retour à son point de départ

Comparer l’histoire du bouddhisme en Inde avec le développement de la religion au Japon constitue un exercice digne d’intérêt. En Inde, le bouddhisme a commencé en tant que système d’apprentissage de la méditation et d’autres disciplines spirituelles basées sur les enseignements du Bouddha historique. Il offre une manière de se libérer des pensées illusoires et de la souffrance qu’elles impliquent. Au fil des siècles, ces premiers enseignements ont évolué et sont devenus plus mystiques, conduisant à l’émergence des différentes branches du bouddhisme Mahayana. Celui-ci plaçait sa foi dans le pouvoir d’êtres surnaturels capables d’intervenir pour aider les êtres humains à atteindre l’illumination et le salut. Finalement, les écoles ésotériques sont apparues comme une tentative de réunir ces diverses croyances mystiques. Cette version de la foi a fini par fusionner avec l’hindouisme, et le bouddhisme a par la suite pratiquement disparu de sa terre natale.

Il a ensuite été introduit au Japon sous la forme ésotérique de cette religion, qui représentait la dernière étape de son processus évolutif en Inde : en d’autres termes, son histoire commence au Japon par la fin, avec son évolution la plus récente à l’époque. Au fil du temps, les fidèles qui estimaient que ces enseignements n’offraient pas une véritable voie vers l’illumination se sont tournées vers les nombreuses doctrines Mahayana pré-ésotériques, maintenues en vie par l’école Tendai, et ont choisi parmi elles la branche qui semblait leur offrir le meilleur chemin vers le salut, créant ainsi leurs propres groupes issus de cet ensemble d’enseignements.

Tel était donc l’état du bouddhisme japonais aux XIIe et XIIIe siècles. Si on considère le zen comme une sorte de version Mahayana des enseignements originaux de Shakyamuni, nous pouvons dire que l’essence originelle des idées bouddhiques a été réintroduite dans la religion japonaise à cette époque, du moins en partie. Elle a donc remonté le temps, de l’ésotérisme aux doctrines Mahayana, puis encore plus loin, jusqu’aux dits du Bouddha historique, bien qu’ils n’aient été enseignés que sous une forme partielle. Cette spécificité du développement religieux du Japon a constitué un mouvement tout à fait paradoxal dans la longue histoire du développement de la foi à travers l’Asie.

Cette situation s’est ainsi poursuivie jusqu’au XIXe siècle. Ensuite, pendant les années qui ont suivi la Restauration de Meiji (1868), le Japon s’est de nouveau ouvert au monde et a activement cherché à importer les idées et les connaissances des autres pays. Pour la première fois, des informations sur l’école Theravada, descendante directe de la religion d’origine en Inde, sont arrivés dans le pays par le Sri Lanka et l’Asie du Sud-Est, et le bouddhisme japonais est donc retourné à son point de départ. En observant l’histoire de la religion au Japon sous cet angle, celle d’un ensemble de doctrines qui remontent le temps pour retourner à leurs origines indiennes, on peut d’une certaine façon comprendre la tendance générale du développement du bouddhisme dans le pays. Le résultat de cette longue histoire ? Cette religion englobe au Japon un compendium d’à peu près toutes les pensées bouddhiques, des approches philosophiques de l’illumination proches des enseignements originels du Bouddha historique jusqu’aux courants ésotériques et tout ce qui s’ensuit. Dans ce sens, on peut dire que le bouddhisme japonais est un palimpseste de l’histoire culturelle et intellectuelle du pays, et une incarnation vivante des nombreuses approches que les différents peuples d’Asie ont utilisé pour tenter de résoudre les mystères de l’existence pendant plus de 2 600 ans d’histoire.

(Photo de titre : des moins bouddhistes en méditation dans un dôjô du Zuisen-ji, un temple de l’école Rinzai situé à Inuyama, dans la préfecture d’Aichi © Yomiuri Shimbun/Aflo)

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