Le bouddhisme au Japon

La lutte pour la survie du bouddhisme dans le Japon d’après-guerre

Culture

Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, un nombre de plus en plus important de personnes ont quitté le système paroissial (danka) tandis que leurs styles de vie évoluaient et que leurs communautés traditionnelles disparaissaient. Nombre d’entre eux ont adhéré à d’autres groupes religieux, mais aujourd’hui, même ces organisations n’ont plus leur force vigoureuse d’antan. Bien que le bouddhisme ait connu un déclin considérable en tant que religion organisée, les Japonais continuent de se tourner vers ses enseignements afin de trouver un sens à leur vie ainsi que du réconfort. Voici le dernier article de notre série sur le bouddhisme au Japon.

L’effondrement du système des paroissiens (danka)

La Seconde Guerre mondiale ayant pris fin à la suite de la reddition sans condition du Japon en août 1945, les différentes écoles du bouddhisme japonais ont perdu leur fonction partagée dans le cadre du shintô d’État, et sont ainsi tombées dans une certaine confusion. Puisqu’elles avaient incorporé le pouvoir bien réel de l’empereur dans leurs écrits, elles ont été forcées d’abandonner nombre de leurs doctrines et ont vu leur influence politique se réduire à néant. Au même moment, les réformes des terres agricoles ont eu un énorme impact sur les nombreux temples qui comptaient sur les exploitations pour une large partie de leurs revenus. Le bouddhisme japonais en a été réduit à subsister grâce aux paroissiens enregistrés dans le système des danka depuis l’époque d’Edo (1603-1868), qui faisaient des donations aux temples locaux et payaient pour les funérailles, les commémorations et d’autres services. (Voir notre article : Le bouddhisme de l’époque d’Edo, un outil du shogunat pour contrôler le peuple)

Après la guerre, plusieurs facteurs ont entraîné un boom économique national, ce qui a eu un impact sur le bouddhisme japonais, allant même jusqu’à le sauver d’un déclin apparemment terminal. Pendant un temps, la religion a prospéré dans le Japon nouvellement riche de l’après-guerre. Tout au long des années 1970 et 1980, les donations aux temples ont augmenté, les danka sont parvenus à sortir de la pauvreté et les temples de tout le pays ont été transformés par cet afflux de liquidités. Mais cette période de prospérité a pris fin lorsque la bulle économique a éclaté au début des années 1990. Au tournant du nouveau millénaire, les organisations bouddhistes étaient à nouveau confrontées à la négligence, à la pauvreté et à un manque de pertinence croissant.

En 2023, presque tous les organismes du pays ont ressenti les effets du déclin du système des danka. La chute du nombre de ménages affiliés a été particulièrement marquée dans les zones marginalisées, où de nombreux villages et petites villes étaient désormais peu peuplées et où la plupart des résidents restants étaient très âgés. De nombreux temples ont ainsi dû fermer complètement et même dans les grandes villes, les liens maintenus entre les temples et le peuple depuis des générations par le système des danka se sont considérablement affaiblis. Les traditions bouddhistes ont progressivement été considérées comme anachroniques, et même dans le cadre des funérailles et d’autres évènements pour lesquels la présence d’un prêtre était autrefois indispensable, beaucoup de Japonais n’y voyaient plus aucun rapport. Les prières et les cérémonies bouddhistes ont progressivement été évincées des modes de vie japonais modernes. Conscients de leur importance déclinante, les temples et les écoles ont essayé différentes mesures pour lutter contre cette tendance, sans toutefois parvenir à trouver de solution décisive. Il semblait clair que le système des danka, en place depuis l’époque d’Edo, n’était plus viable et qu’il allait bientôt disparaître. La présence du bouddhisme au Japon s’est affaiblie et la religion dans son ensemble a eu du mal à trouver une stratégie lui permettant de survivre tout en gardant son intégrité, sa mission et son sens du devoir intact.

Des nouveaux groupes pour offrir du réconfort au milieu du changement

En mettant de côté les groupes bouddhistes traditionnels ainsi que leur lutte pour la survie, retournons à la situation du Japon dans l’immédiat après-guerre.

Le développement le plus frappant durant ces années est l’émergence de nouveaux groupes religieux, dont nombre d’entre eux étaient affiliés au bouddhisme. La liberté religieuse s’est largement développée en se relevant du contrôle strict exercé par le shintô d’État et le gouvernement pendant la guerre, ce qui a entraîné l’émergence d’une grande diversité de nouvelles organisations. Beaucoup de ces groupes ont gagné en influence durant ces années, y compris certains qui étaient déjà actifs avant la guerre. Parmi les plus connus figurent le Sôka Gakkai (un groupe affilié au bouddhisme de Nichiren et qui a acquis une puissante influence à travers son aile politique), Risshô Kôsei Kai (une autre école Nichiren) et Shinnyoen (affilié au courant Shingon).

L’une des raisons pour lesquelles ces nouveaux groupes ont pu attirer autant d’adhérents était l’effondrement des communautés traditionnelles des villages, qui, à la suite du boom économique, ont progressivement disparu. Le système des danka était fondé sur les liens entre les temples bouddhistes individuels et les familles qui vivaient de génération en génération dans les mêmes communautés. Face aux changements soudains qui avaient balayé l’industrie, la société et l’économie du Japon dans les années d’après-guerre, ce mode de vie traditionnel a commencé à se désagréger. À mesure que de nouveaux styles de vie plus nomades émergeaient, un nombre croissant de personnes sont sorties du système paroissial.

Mais cette rupture des liens traditionnels avec le temple familial ne signifiait pas que le peuple avait perdu son désir de spiritualité. En effet, beaucoup de personnes privées de cette connexion se sont retrouvées plus que jamais en quête de réconfort face aux défis de leur nouvelle vie. Les nouvelles organisations bouddhistes, en offrant soutien et compagnie en dehors du système traditionnel des danka, ont constitué un refuge de confiance pour beaucoup de Japonais, et dans les décennies qui ont suivi, nombre d’entre eux en sont devenus de fervents adeptes.

Cette période de succès a atteint des sommets dans les années 1990, avant que ces nouveaux groupes perdent progressivement de leur vigueur et de leur capacité à trouver de nouveaux fidèles. Le vieillissement et le déclin de la population ont indéniablement contribué à cette situation, et en outre, de nombreuses organisations se sont faites de plus en plus bureaucratiques et impersonnelles en raison de leur expansion. Plutôt que de travailler au bonheur des gens, elles se sont concentrées sur leur développement en tant qu’organisation, perdant par la même occasion la confiance de leurs fidèles.

Un prestige en déclin

Dans cette série de dix articles, j’ai tenté de retracer le développement du bouddhisme japonais depuis les années de vie du bouddha historique Shakyamuni (vers 500 avant J-C) jusqu’à nos jours. Avec ce dernier volet, j’aimerais envisager ce que l’avenir pourrait lui réserver. Une chose semble certaine : le bouddhisme sous sa forme actuelle va décliner. Je veux dire par là que sa base économique continuera de s’affaiblir, et que le nombre de temples et de prêtres diminuera encore. Et bien qu’il existe encore une certaine demande pour que les prêtres bouddhistes viennent officier lors des funérailles et d’autres cérémonies traditionnelles, il ne sera certainement plus possible de garder la même influence et le même nombre de religieux que le bouddhisme japonais avait su maintenir pendant tant de siècles. L’impact et la portée de ses activités vont donc se réduire.

Ceci s’applique également aux nouvelles organisations bouddhistes qui ont connu une croissance spectaculaire dans les décennies suivant la guerre, et qui verront elles aussi le nombre de leurs adeptes diminuer et leur influence politique s’affaiblir. Au mieux, le bouddhisme japonais peut espérer survivre en tant qu’organisation religieuse discrète et modérée.

Il me semble toutefois probable, parallèlement à ce déclin régulier, qu’un nombre croissant d’individus se tournent de nouveau vers le bouddhisme pour trouver du réconfort sous une forme ou une autre, alors même que les organisations officielles de la religion se réduisent. À mesure que la situation mondiale se fait chaotique et que l’avenir devient incertain, les gens auront besoin d’un refuge spirituel. Il est bien difficile d’échapper à la souffrance inhérente à l’existence humaine en ayant une vision purement scientifique du monde. Dans ces circonstances, les gens auront de plus en plus tendance à s’interroger : « Quels étaient les enseignements originaux du bouddhisme ? La religion peut-elle nous aider à résoudre les tensions et les angoisses de la société contemporaine ? » En ce sens, le bouddhisme a un rôle plus important à jouer aujourd’hui qu’il n’en a jamais eu auparavant.

En conclusion de la série

Dans cette série, j’ai essayé de faire un résumé général de l’histoire du bouddhisme en tant que religion organisée au Japon. Par conséquent, plusieurs de mes écrits se sont concentrés sur la hiérarchie bouddhiste lorsqu’elle agissait pour défendre ses propres intérêts. C’est très certainement l’un des aspects les plus importants de l’histoire du bouddhisme, mais il ne saurait en expliquer seul l’intégralité. Une autre aventure a été vécue individuellement par les êtres humains qui ont sincèrement cru dans ces enseignements et les ont placés au centre de leurs vies.

Au-delà des structures officielles de la religion, il est indéniable que l’exemple des moines bouddhistes et des laïcs qui ont vécu selon les préceptes de leur foi a laissé une impression positive sur de nombreuses personnes. C’est l’une des raisons majeures pour lesquelles le bouddhisme continue d’être estimé en tant que force dans la société jusqu’à aujourd’hui. L’objectif de mes textes a été de fournir une vue d’ensemble de l’histoire du bouddhisme japonais, et par conséquent, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de parler des individus qui ont fait cette religion, mais cet aspect est également essentiel pour en avoir une compréhension globale.

J’espère sincèrement que les enseignements de Shakyamuni continueront d’apporter la paix et le salut au plus grand nombre de personnes à l’avenir, et c’est sur cette note que je souhaite conclure cette série d’articles sur l’histoire du bouddhisme au Japon.

(Photo de titre : Pixta)

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